« Qui bon chien veut tuer, la raige li met seure »
ou comment un grand parti confine,
par crainte électorale,
l’une de ses membres des plus actives

Voici comment, sous l’Ancien régime des Baronnies, on s’y prenait pour se débarrasser d’un bon élément dont on craignait qu’il occupât trop de place : on l’accusait d’avoir la rage et de menacer le groupe pour pouvoir plus facilement l’en exclure et l’on inventait pour se faire une irréelle maladie. Aujourd’hui, on expliquerait qu’au nom d’un risque sanitaire (fictif à la différence hélas de la pandémie qui nous paralyse cette année[1]), on doit le confiner un temps pour ne pas qu’il gêne et qu’il contamine. On imagine conséquemment bien mal que ces procédés d’une autre époque existent encore. Et pourtant. L’un des plus historiques partis politiques de France, à l’histoire extraordinaire, vient de le pratiquer à l’encontre de l’une de ses membres, par ailleurs députée de la Sarthe : Marietta Karamanli.

Les faits sont si choquants qu’ils ont conduits l’auteur[2] de ces lignes à prendre la plume et à les expliquer. Par moments, on se croirait en uchronie mais hélas ils sont réels et manifestement assumés.

Des faits matériellement inexacts. il est, officiellement, reproché en novembre 2019 à l’intéressée d’avoir osé se porter candidate comme tête de liste aux élections municipales de la Ville du Mans alors qu’un candidat officiel, par ailleurs ancien ministre et terminant le mandat du Maire précédant, décédé, aurait déjà été, préalablement et régulièrement investi par le parti.

Toutefois, ces faits sont matériellement inexacts.

En effet, au moment où la députée a annoncé qu’elle souhaitait se porter candidate, elle n’a exclut aucunement le fait que d’autres candidats pouvaient se présenter et même qu’ils soient démocratiquement choisis par les militants en application des règles non seulement édictées et prescrites par la circulaire interne nationale du PS n°1413 en date du 21 novembre 2018 mais encore telles que rappelées le 07 octobre 2019 par la Premier fédéral de la Sarthe. Elle attendait simplement et seulement que des débats ainsi qu’un vote soient organisés. A la suite de celui-ci, comme elle l’avait du reste fait en juin 2018 à la suite du décès du maire Jean-Claude Boulard. A cette époque, un choix (fût-il serré) avait été acté par le groupe PS et Mme Karamanli l’avait respecté.

Or, en novembre 2019, ce n’est pas la députée sanctionnée par les siens qui n’a pas respecté les règles. C’est la fédération sarthoise (peu importe d’où l’idée ou l’ordre soit venu) qui a décidé de ne pas appliquer la circulaire précitée et la décision de son, pourtant, Premier fédéral. C’est ensuite le Parti, qui a annoncé une candidature dite officielle alors que précisément, elle ne l’était pas… encore. Concrètement, les militants auraient dû être appelés à choisir entre les candidats à la candidature et Mme Karamanli a simplement énoncé qu’elle souhaitait être cette candidate officielle et qu’elle s’y préparait. Toutefois, par peur manifeste qu’elle l’emporte, le parti a préféré bafouer le droit des militants à désigner leur candidat et a annoncé, en mépris du Droit, l’existence d’un candidat officiel, par ailleurs proche du Premier secrétaire du Parti socialiste ayant lui-même annoncé sur une chaîne de télévision ladite candidature officielle. C’est alors tout l’appareil du parti qui s’est mis « en marche » pour officialiser ce qui n’avait démocratiquement et juridiquement pas été acté : en irrespect flagrant des propres règles de désignation du parti politique.

Voilà le fait générateur et la faute originels : le parti, refusant d’appliquer ses propres règles de désignation des candidats, a prétendu choisir démocratiquement l’un des siens alors qu’il ne s’est agi que d’une désignation unilatérale d’un Baron dans un fief. Par suite, la fédération sarthoise a reproché à la députée de maintenir, en dissidence, sa candidature contre le candidat officiel.

Cependant, de facto comme de jure, qui est entré le premier en dissidence ? Qui a bafoué l’autorité du parti et a cru bon de ne pas laisser les militants décider de leur choix ? Qui les en a finalement privé ? Ce n’est pas la sanctionnée mais bien le « procureur » ayant demandé la sanction et l’appareil même du parti. Et, si un vote rétroactif a eu lieu sans véritable appel à candidature, comment le considérer légal puisqu’il s’est matérialisé hors-les-normes ?

Une juridiction qui ne dit pas son nom & bafoue tous les principes du droit processuel. A la suite de cette faute non assumée et commise par le Parti, tout s’est retourné non seulement contre la députée candidate à la candidature mais encore contre son entourage, ses proches, ses militants. Nombreuses et nombreux ont été celles et ceux traînés dans la boue sarthoise comme s’ils avaient été des lépreux et des fautifs, des manipulateurs et des dissidents, tout simplement parce qu’ils suivaient une candidate n’acceptant pas de se soumettre à l’injustice. La machine officielle du parti s’est alors mise à broyer, à détruire, et même à mentir et à diffamer toujours plus. Déjà les juridictions judiciaires ont reconnu certaines de ces diffamations (cf. Tribunal judiciaire du Mans, 28 septembre 2020) mais, entraînés dans une spirale qu’ils ont eux-mêmes créé et entretenue, les officiels du parti en Sarthe ont continué leur opération dévastatrice et calomnieuse.

Au lieu de reconnaître la faute originelle ayant conduit le parti à désigner un homme non démocratiquement et régulièrement choisi, le mot d’ordre a été : chassons la dissidente qui a osé se maintenir car effectivement, à la suite de cette injustice, la députée a maintenu sa candidature et a même, contre toute attente, en pleine pandémie et alors que de nombreuses listes d’opposition existaient, réussi à se hisser au second tour démontrant bien son assise électorale forte et réelle. Il n’en fallait pas davantage pour que la fédération sarthoise y voit un affront supplémentaire et engage contre l’une des siens une procédure de « destitution » qui singe l’existence d’une sanction juridictionnelle juste et équitable mais n’en a que les atours à la manière, là encore, des ordalies préjugées d’Ancien régime.

Le 31 août, la députée est « convoquée » devant la Commission nationale des Conflits (Cnc) du parti et on lui indique qu’elle sera contactée « dans les prochains jours » par le camarade rapporteur de son dossier.

Un mois passe. Rien.

Puis, le 06 octobre, dix jours avant l’audience prévue, elle reçoit un simple SMS lui demandant si elle souhaite « livrer sa perception » ! Même une juridiction dictatoriale mettrait plus de gants pour au moins faire semblant d’écouter l’accusée. Au moins, sur ce (rare) point, le parti n’est pas hypocrite : il fait comprendre à l’intéressée que tout est déjà joué et qu’une sanction – uniquement politique et non juridique – se prépare. L’audience[3] a finalement lieu de façon dématérialisée le 06 novembre suivant et a été l’occasion d’une mascarade, hélas non confinée.

D’abord, le président de la juridiction privée a cru bon de discuter le fait qu’il ne s’agissait pas, à ses yeux, d’une juridiction[4] mais d’une « instance » régulatrice du parti. Aussi, parce qu’il ne s’agirait pas d’un organe juridictionnel, il ne serait en rien gênant que la Cnc ne respectât pas les fondements mêmes du droit processuel tels que le respect du principe du contradictoire. Ainsi, peu importe que l’accusée n’ait pas eu accès au dossier la concernant, peu importe qu’elle n’ait pas eu droit à un temps minimum pour préparer sa défense, peu importe qu’elle n’ait pas eu droit à la connaissance des arguments de son ou de ses adversaires, peu importe qu’elle n’ait pu y répondre, peu importe qu’elle n’ait pu bénéficier lors de l’audience d’une représentation de ses intérêts et donc d’une défense (à laquelle la parole n’a pas été donnée). Etonnamment, pourtant, la Cnc a commencé son « audience » en précisant que l’accusée « comparaissait » devant elle. La Cnc a par suite « visé », telle une juridiction, de nombreuses normes internes et elle a rédigé sa « décision » en « attendus » et en dispositif fait de trois articles tranchant une question de Droit. Bref, sur le fond comme sur la forme et au regard des jurisprudences assises d’Aillières et de Bayo[5], la Cnc est bien et ne peut être qu’une juridiction. Elle en empreinte les formes et tranche, au fond, une question présentée comme juridique. Même privée, cette juridiction n’échappe pas au Droit (et notamment à celui des associations ainsi qu’aux Codes civil et pénal) même si le président de l’autorité, l’a explicitement nié.

Le problème est, par suite, que sous des paravents et atours juridiques, la Cnc a tranché une question politique et non juridique.

Elle a cherché – et a réussi – à obtenir le discrédit et la disqualification de l’accusée, exclue temporairement de 12 mois du parti[6], le temps que le prochain congrès se déroule entre personnes certainement plus fréquentables à ses yeux. Pour se faire, la Cnc a énoncé que « fin novembre 2019 » le premier secrétaire fédéral de la Sarthe aurait « lancé un appel à candidatures pour désigner » le candidat socialiste aux élections municipales du Mans. Etonnamment, on ne retrouve pas de date à cet appel de « fin novembre ». En revanche, avec certitude, le 14 novembre[7] (bien avant la fin novembre donc), c’est le Premier secrétaire du parti qui déclarait sur une chaîne nationale de télévision son choix d’investir officiellement un candidat. A quoi servirait alors qu’une semaine plus tard la fédération ait lancé un appel ? Comment ne pas y voir une violation de la procédure même de désignation ? Comment ne pas comprendre que l’intéressée n’ait effectivement pas voulu répondre à cette tartuferie ? Comment ne pas sourire (pour ne pas pleurer) lorsque la Cnc ose écrire « que le vote des adhérents du Parti socialiste demeure le fondement de sa démocratie interne, bien qu’indicatif pour les villes de plus de 20 000 habitants, et que son organisation relève de la responsabilité des instances locales compétentes » quant on sait que ce prétendu vote, où il était proposé de choisir entre…. personne puisqu’en présence uniquement du candidat choisi par la direction nationale, a eu lieu après que le choix ait été unilatéralement acté par le parti lui-même comme sous des cieux peu démocratiques ?

Un Baron absent physiquement mais présent en toute instance. S’impose par ailleurs dans cette affaire une évidente mais triste comparaison. L’amateur de séries aura reconnu la très belle fiction télévisée d’Éric Benzekri & Jean-Baptiste Delafon, Baron noir[8]. Or, si la série s’est manifestement inspirée de faits et de conjectures, la fiction a ici dépassé la réalité et en vient à l’incarner.

Qui est notre Baron manceau ? C’est apparemment Stéphane Le Foll. C’est lui, le candidat officiel ou désigné unilatéralement comme tel. C’est lui qui a semble-t-il tiré – presque discrètement – les ficelles du jeu manceau en sollicitant des actions à l’encontre de sa camarade. Pourtant, il ne l’assume pas. Tout est fait pour faire croire que c’est la fédération sarthoise et non lui qui aurait engagé les actions en exclusion de la députée mais l’écran de fumée s’évapore selon nous rapidement. Et, même la Cnc s’y perd. A l’audience, elle prétend que Mme Karamanli comparaît devant elle à la demande institutionnelle et sur saisine de la fédération de la Sarthe mais son objet précise clairement et explicitement que le différent est celui de la députée « contre Stéphane Le Foll, candidat investi par le Parti socialiste ». Autrement dit, dès l’objet de sa saisine, la Cnc commet deux erreurs grossières aux limites de l’hallucination juridique :

  • d’abord, au fond, elle n’entend physiquement pas le Baron manceau lors de l’audience (mais peut-être est-ce lui qui a demandé à ne pas être présent et à ne pas s’expliquer) alors qu’il est le premier concerné. Comment permettre alors un contradictoire si la partie accusatrice ne s’exprime pas, tenue pour acquise de façon préjugée et non discutée ?
  • Ensuite, comment la Cnc peut oser prétendre (ce qu’elle a fait par la voix de son président en fin d’audience) « incarner la Justice » et ses valeurs d’impartialité et d’indépendance lorsque la saine préjuge le fait – dès son énoncé – que le candidat est celui régulièrement « investi par le Parti » ?

L’enjeu était pourtant là : discuter – le plus objectivement possible – si la candidature de l’un ou de l’autre avait été régulière. Or, affirmer dès le début qu’on tient pour acquis la candidature du maire actuel préjuge de la culpabilité dissidente de l’accusée.

La Cnc, finalement, même si elle l’est formellement, ne s’est effectivement pas comportée comme une Juridiction au sens matériel et noble du terme : elle n’a servi en rien les valeurs de Justice dont elle s’est pourtant drapée. Ni indépendante, ni impartiale, elle a rendu au mépris des idéaux pourtant affichés et portés par ce grand parti politique, une décision politique pré-écrite.

Une frontbencher qui dérange ? Après tout, et on veut bien le reconnaître sans difficulté, il n’y a pas de problème à ce qu’un parti prenne la décision politique de choisir un candidat plutôt qu’un autre. Cela n’est aucunement discutable. Le parti peut préférer un Baron à une députée dont personne ne remet en cause les travaux, la rigueur, l’investissement et la probité. Toutefois, s’il fait ce choix, il doit l’assumer et ne pas – comme il le fait – prétendre que ce choix a été démocratique et régulier.

Ce ne sont jamais celles et ceux qui ne font rien ou presque rien qui dérangent et qu’un groupe va chercher à faire taire. Insignifiants, il suffit de les ignorer pour les mépriser. En revanche les citoyens de la trempe de Marietta Karamanli sont bien plus rares et précieux parce qu’ils travaillent, parce qu’ils proposent, parce qu’ils écoutent et acceptent la contradiction, parce qu’ils sont loyaux lorsqu’un débat contradictoire et démocratique a eu lieu, parce qu’ils sont prêts à admettre qu’ils ont parfois eu tort, parce qu’ils se remettent sans cesse en question(s) et en piste(s), parce qu’ils sont continuellement sensibles à l’avis des autres et acceptent que cet avis les affecte. Il nous semble alors, qu’au fond, la Baronnie mancelle ici décrite n’a pas été bien originale. La députée Karamanli, même en 2017, a été réélue. Elle compte, du fait de son investissement sans faille pour les territoires qu’elle représente et pour la Nation française, un attachement électoral évident et des soutiens réels.

Loin des backbenchers insipides, elle a souvent osé proposer, discuter et même se remettre en cause. Comment ne pas voir que cela puisse en déranger quelques-uns ?

A Albi, en 1903, Jean Jaurès expliquait que « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire » fut-ce dérangeant, fut-ce désagréable. Le parti a commis une faute en affirmant qu’un choix démocratique avait été matérialisé et, par suite, il s’est laissé entraîner dans une infernale spirale où désormais il semble impossible de réunir les parties déchirées. Pourtant, n’est-ce pas aussi cela, la force d’un groupe qui se dit peuplé de camarades ? Les inimitiés existent, les relations interpersonnelles ne sont pas avec chacune et chacun au beau fixe, mais lorsque l’intérêt collectif ou général se lève, les rancœurs personnelles doivent cesser au détriment du groupe. Chacun le voit mais chacun estime que c’est l’autre qui est le fait générateur du trouble.

Notre conviction est que le fait générateur provient de l’accusation et non de l’accusée. Notre conviction est que si l’accusation faisait amende honorable, tous les camarades y gagneraient.

Mathieu Touzeil-Divina

Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou – Président du Collectif L’Unité du Droit


[1] Ladite pandémie n’a d’ailleurs, semble-t-il, pas affecté le conflit ici évoqué. On est donc loin des situations comme celles par exemple évoquées, au sein du même parti, lors des élections municipales de la commune de Frignicourt ; cf. CE, 04 novembre 2020, M. B. (req. 440355) avec nos obs. au jcp A 2020 ; n° 46 ; 13 novembre 2020 ; act. 642. Sur cette thématique appliquée, Rambaud Romain, « Contentieux des élections municipales : les « Lois » de l’écart de voix » in Ajda 2020 ; p. 1596 et s. Du même : « Municipales 2020 : retour sur le scrutin et perspectives contentieuses » in Recueil Dalloz ; 2020 ; p. 1400 et s.

[2] Universitaire, professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, l’auteur a par ailleurs été auparavant citoyen, enseignant-chercheur et électeur près la circonscription de la députée Karamanli, au Mans où il l’a connue. Il n’est ni membre du Parti socialiste ni d’aucun autre groupement politique.

[3] En toute transparence, l’auteur des présentes lignes signale qu’il a été admis – comme observateur et non comme représentant des droits de Mme Karamanli – à assister à ladite audience à laquelle il a donc assisté comme premier témoin. Il n’y a pas pris la parole en défense et n’a aucunement été invité à la prendre en ce sens mais il peut en source directe assurer de ce qui s’y est dit.

[4] Sur la notion de juridiction : Perrot Roger, Beignier Bernard & Miniato Lionel, Institutions judiciaires ; Paris, Lgdj ; 2020, 18ème éd.

[5] CE, Ass., 07 février 1947, Bernard d’Aillières (Rec. 50) et CE, Ass., 12 décembre 1953, de Bayo (Rec. 544).

[6] Cf. décision du 10 novembre 2020 de la Cnc à la suite de l’audience du 06 novembre précédant.

[7] En ligne : https://www.ouest-france.fr/elections/municipales/le-mans-municipales-ca-chauffe-a-la-tete-du-parti-socialiste-81e52222-0798-11ea-a52b-7b23c89c0c49 [consulté le 13 novembre 2020].

[8] A son propos, on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu, « Un élu critique à l’écran vériste & politique : Le Baron noir (…) » in Considérant ; n°02 ; 2020 ; p. 133 et s.

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