Nous sommes aujourd’hui le 25 novembre, et c’est la Ste Catherine où tout prend racine, alors voici de quoi célébrer le(s) droit(s) de l’Arbre … avec une pensée toute particulière pour une nouvelle docteure en Droit ayant justement soutenu sa thèse sur ce sujet, Mme Marie EUDE …

Publication n°16 – du confinement de novembre 2020
des droits de l’Arbre ?
– Pr. Mathieu Touzeil-Divina (c)
image (c) Julia Even

Les propos ci-dessous sont extraits de l’ouvrage : L’ARBRE, L’HOMME & LE(S) DROIT(S) (L’Epitoge ; 2019) :

« Une véritable délégation administrative vint examiner la « forêt naturelle ».
Il y avait un grand personnage des Eaux et Forêts, un député, des techniciens.
On prononça beaucoup de paroles inutiles. On décida de faire quelque chose et, heureusement, on ne fit rien, sinon la seule chose utile : mettre la forêt sous la sauvegarde de l’Etat
 ».

Giono Jean, L’homme qui plantait des Arbres ;
Paris, Gallimard Jeunesse ; 2010 ; p. 26 puis p. 28 et s.

« Des hommes existent qui ne savent pas ce qu’est un arbre,
une feuille, une herbe, le vent du printemps,
le galop d’un cheval, le pas des bœufs, l’illumination du ciel
 »

Giono Jean, préface aux Vraies richesses ;1936.

Arbre(s) généalogique(s). Hommage(s) entremêlé(s). Outre un intérêt scientifique personnel pour les Arbres et leurs liens ou branches juridiques, cet ouvrage est aussi (sinon surtout) le fruit de deux hommages parallèles ou entrecroisés. D’abord, officiellement dirions-nous, l’ouvrage prend prétexte du 65e anniversaire, dans la seconde quinzaine de mars 1954, de la parution au Vogue international de la célèbre nouvelle de Jean Giono (1895-1970) « The Man Who Planted Hope and Grew Happiness »plus connue en France sous le nom de « L’Homme qui plantait des Arbres » (ce qui n’empêche pas l’espoir). Il a beaucoup été écrit sur l’historique[1] de cette nouvelle, à propos de laquelle reviennent symboliquement les deux filles de Jean Giono (Aline (1926-1986) & Sylvie) dans la préface au présent opus, et qui répondait d’abord (en 1953) à un concours du Reader’s Digest mais qui fut bannie dudit concours « Le personnage le plus extraordinaire que j’ai rencontré » (« The Most Unforgettable Character I’ve Met ») lorsque les rédacteurs du média comprirent que le désormais célèbre berger Elzéard Bouffier n’avait jamais vraiment existé, fût-il extraordinaire et extraordinairement bien présenté. A la suite de cet incident, la nouvelle parut librement aux Etats-Unis d’Amérique (dès 1954) au Vogue[2] donc puis par tirés-à-part. Elle fut également publiée à Londres (1956), à Zurich et à Rome (1958) pour enfin paraître en France (et en français) en 1973 au sixième numéro de la Revue Forestière Française. Il était alors tout « naturel » d’associer à notre ouvrage non seulement l’esprit et la famille de Jean Giono (à travers sa fille Sylvie que nous remercions très sincèrement) mais aussi, grâce au soutien du président Meny (qui offre au présent opus une très belle étude sur l’Arbre et l’espace chez Giono) des Amis de Jean Giono. La nouvelle est effectivement la matérialisation première de ces liens entre Arbre, Homme & Droit(s) que nous cherchons à étudier ici et c’est un honneur, pour chacun, que l’hommage que nous voulons rendre à Jean Giono puisse ainsi se matérialiser avec ses Amis et ses proches[3].

Autre proche et autre hommage, c’est aussi au poète Jean-Claude Touzeil[4] que cet ouvrage est dédié. A la manière d’un Elzéard Bouffier, Jean-Claude a planté des centaines sinon des milliers d’Arbres déjà mais, ici, la réalité a dépassé la fiction et ces Arbres existent et prospèrent tant sur des terrains privés que sur le domaine public. Ancien conseiller municipal de la commune de Durcet (Orne), qui aurait tout aussi bien pu s’appeler Vergons, l’homme a réussi non seulement à y organiser des plantations publiques mais aussi à protéger quelques espèces remarquables environnantes par la mention de servitudes juridiques à leur profit. Dans le sillage direct de Giono (qu’il admire et pour lequel il avait traversé la France entière), Jean-Claude a même participé de façon active en 1996-1997 à la création d’une association[5] (nommée « 50 000 chênes ») destinée à la reconstitution du maillage bocager l’entourant en pays d’Athis-de-l’Orne. Auteur d’autant de poèmes qu’il existe de noix sur un Ginkgo Biloba adulte chaque année, après avoir été professeur de Lettres, metteur en scène, planteur, jardinier (au côté de son père), blogueur et animateur d’un Site Internet sur lequel les Arbres sont présentés et magnifiés tous les jours ou presque[6], fils d’une « étrangère » à l’accent prononcé, amateur de chansons françaises, époux d’une femme extraordinaire et père attentionné de deux enfants, l’homme est donc aussi poète (et a reçu plusieurs prix[7] à cet égard). On lui doit d’ailleurs, parmi plusieurs succès, différentes éditions de ses Peuples d’Arbres[8]. On l’aura compris, c’est aussi à notre père, Jean-Claude Touzeil, que cet ouvrage est amoureusement dédié. Cela dit, nous avons bien conscience en écrivant cet avant-propos et en ayant dirigé le présent ouvrage que toutes celles et tous ceux qui y ont contribué ne font pas formellement partie de notre « famille » au sens juridique et civiliste. Toutefois, parce que toutes et tous ont participé si spontanément et avec autant d’enthousiasme et de bonne humeur à ce beau projet, nous sommes heureux de les considérer – fraternellement – comme des membres à part entière de notre Arbre généalogique de cœur (et la chose est suffisamment rare pour un ouvrage juridique, qu’il était important de l’écrire). Un merci tout particulier est en ce sens adressé à Arnaud Lami et à Marie Eude pour leur aide dans la confection et la préparation du présent opus.

Revue Méditerranéenne de Droit Public. Il nous est apparu évident, lorsque nous avons évoqué la publication du présent ouvrage aux Editions l’Epitoge qu’il devrait s’inscrire dans la collection « verte » des quatre publications sous séries du Collectif L’Unite du Droit. En effet, même si le présent ouvrage est construit autour de la notion d’Unité du Droit[9] (qu’il traduit), il met d’abord en avant des contributeurs et des contributions méditerranéennes et ne cherche pas à n’envisager que la situation nationale des liens entre Arbre(s), Homme(s) & Droit(s). La démarche est beaucoup plus universelle. Par ailleurs, le fait que le logotype du Laboratoire Mediterraneen de Droit Public soit un olivier enraciné dans les cultures et les droits, dans les histoires et les identités du bassin méditerranéen, a évidemment également plaidé en faveur de ce choix. En outre, avant même qu’un prochain numéro de la Revue Méditerranéenne de Droit Public ne s’intéresse aux droits régissant la Mer, il nous a semblé intéressant (avant même d’autres études annoncées plus détaillées et spécialisées sur l’olivier, la vigne et leurs fruits) de mettre en avant ici l’une des caractéristiques végétales du bassin méditerranéen : l’Arbre et ce, en espérant que les regrets et/ou prophéties de Michelet (1798-1874) puissent être contrés :

« De la Judée à Tunis, au Maroc, et d’autre part d’Athènes à Gênes, toutes ces cimes chauves qui regardent d’en haut la Méditerranée ont perdu leur couronne de culture, de forêts.
Et reviendra-t-elle ? Jamais. Si les antiques dieux, les races actives et fortes (sic), sous qui fleurissaient ces rivages, sortaient aujourd’hui du tombeau, ils diraient :
« Tristes peuples du Livre, de grammaire et de mots, de subtilités vaines,
qu’avez-vous fait de la Nature ?
 » ».

Michelet Jules, Bible de l’Humanité ; Paris, Chamerot ; 1864 ; p. 470.

Au sein du présent opus, on a même dirigé infra une présentation, entre Hommes & Droits, de vingt-trois essences d’Arbres méditerranéens à l’image des vingt-trois entités étatiques qui forment le bassin de la mare nostrum.

Arbres Majuscules. Au cœur de cette contribution, trois termes ont été volontairement magnifiés et (nous y reviendrons) quasi personnifiés. C’est ce qui explique l’usage des majuscules aux termes d’Homme, de Droit (au sens général) mais aussi d’Arbre.

L’Homme & l’Arbre : présences & symboles civilisationnels puissants. Inévitablement et inlassablement liés sont l’Homme et l’Arbre. Ici encore, il faut laisser les poètes nous l’expliquer.

« Du berceau en osier
Au cercueil en sapin
En passant par le lit
En chêne ou en bambou
L’Arbre est notre éternel
Compagnon de passage
 ».

Touzeil Jean-Claude, « Le passeur » in Peuples d’Arbres ;
Saint-Meen-le-Grand, Editions Inch’Allah ; 1984 ; p. 25 et s.

« Autrefois les bûcherons chantaient

Si c’est pour un berceau heureux
Si c’est pour un lit d’amoureux
Si c’est pour le cercueil d’un vieux
Vas-y bûcheron – fais de ton mieux
Si c’est pour le trône d’un roi – regarde plutôt à deux fois 
».

Prevert Jacques, « L’espoir vert » in Arbres ;
Paris, Gallimard ; 1976 ; p. 56 et s.

L’Arbre (comme le Droit) est ainsi présent à tous les moments de la vie humaine : de la naissance à la mort : il l’accompagne comme le ferait un protecteur, un ami. Il faut alors rappeler que les utilités et fonctions humaines de l’Arbre sont quasi infinies : environnementale de transformation des gaz carboniques en oxygène vital et de régulateur des climats mais aussi des catastrophes naturelles comme les inondations, sociale parfois comme lieu d’échanges et de communications, économique (avec le papier évidemment mais aussi le bois de chauffage ou de construction), domaniale (pour délimiter un domaine public comme la route ou empêcher qu’un talus ne s’effondre comme on le voit souvent lorsque les Arbres sont arrachés à tort), médicale depuis des millénaires et parfois même sacrée…

Par ailleurs, ce que détaille magnifiquement le professeur Pontier au présent opus, l’Arbre génère ou véhicule une force symbolique puissante dans notre histoire. Toutes (ou la plupart des) civilisations en ont fait un lien puissant de communication sociale ou mystique et souvent de représentation divine. C’est ainsi l’Arbre à palabres de sociétés africaines réunies autour de baobabs pour évoquer toute décision importante. C’est aussi, en France, le chêne des druides puis de Saint-Louis (1214-1270) qu’ont repris nombre de Palais de Justice et qui évoque ce lieu de décision juridique mais aussi la force et la majesté. Dans tous les cimetières (mais aussi dans la symbolique du Droit), l’Arbre est aussi le symbole de ce « lien », de cette « communication » entre les esprits des ancêtres, l’histoire et la tradition enracinés dans la terre et, à partir des branches, du ciel et des divinités. L’Arbre apparaît alors comme un lien sacré lorsqu’il est un être unique et identifié. Planté en nombre et en forêt, il peut aussi évoquer tant la protection divine d’un lieu « à part » qu’un endroit mystérieux et dissimulé aux yeux des mortels. Toutes les civilisations humaines – tant pour l’aspect utilitaire que pour l’aspect symbolique – ont alors compris qu’il faudrait parfois surveiller les forêts et en faire des lieux hors du droit commun (nous y reviendrons mais c’est précisément là l’origine étymologique même du mot forêt). Dans l’Ancien testament[10], on trouve par exemple la mention d’Asaf, « garde de la forêt du Roi » dont on espère qu’il donnera l’autorisation et le bois destinés à la construction de la Sainte cité de Jérusalem. Dans la mythologie humaine, par ailleurs, explique parfaitement Robert Harrison dans son exceptionnel ouvrage[11]Forêts – les bois constitueraient l’origine de toute société humaine. C’est au cœur des forêts avant que n’existent les communautés que les Hommes se seraient d’abord regroupés. Reprenant les travaux du Napolitain Giambattista Vico (1668-1744), Harrison fait de cette citation de la Scienza Nuova (1725) son incipit :

« Les choses se sont succédé dans l’ordre suivant : d’abord les forêts,
puis les cabanes, les villages, les cités et enfin les académies savantes
 ».

Le même Harrison[12] rappelle par exemple que certaines civilisations (dont la romaine) font même émaner leurs mythiques fondateurs directement de la forêt. Romulus & Remus ne sont-ils pas à cet égard les fils de Rhea Silvia dont l’étymologie même évoque la forêt (Sylva) ? Par ailleurs, certains historiens comme Mommsen (1817-1903) rappellent que les Romains, précisément, doivent leurs noms à la transformation du terme « Ramniens[13] », synonyme d’« Hommes de la forêt ». Enfin, de façon géographique, la forêt représente en France près d’un tiers du territoire national ce qui fait du pays l’un des plus importants Etat forestier d’Europe (mais ce, bien après la Suède, la Finlande et la Slovénie qui possèdent des étendues forestières couvrant respectivement 75, 69 et 60 % de leurs territoires). Il faut dire par ailleurs que si la France possède un tel espace boisé c’est non seulement du fait de propriétés privées (aux trois quarts) mais aussi et surtout (s’agissant des propriétés publiques) du fait d’un atout ultra-marin exceptionnel à travers – notamment – la Guyane (couverte de bois à près de 96 % de sa superficie). Voilà comment sont constitués nos 17 millions d’hectares de forêts couvrant jusqu’à 37 % de notre territoire national[14].

Qui sauvera l’autre : l’Homme ou l’Arbre ? Finalement ce que l’on comprend à travailler sur les Arbres c’est que puisque ces derniers, notamment par leurs fonctions écologiques de régulateur de climats et d’air pur, peuvent sauver l’Humanité, cette dernière aurait tout intérêt à sauver les Arbres… pour se sauver elle-même. Regardons ainsi en face l’impact de tous les pays dits développés sur la déforestation mondiale : pour le soja, la cacao, l’huile de palme et évidemment le papier on détruit et défriche en millions d’hectares et la tendance, malgré les alarmes, ne semble pas encore fléchir[15]. Et si le Droit nous y aidait ? C’est ce cri que pousse avec nous au présent ouvrage l’ami et professeur Eric Naim-Gesbert. L’Arbre a parfois besoin de l’Homme qui a besoin de l’Arbre et parfois les deux peuvent solliciter le Droit. C’est ce qu’explique brillamment dans la présente Revue, en s’interrogeant sur les fonctions de la gestion forestière, Jacques Liagre. Et c’est déjà indirectement le sens des propos que tenait Paul Reneuve (1901-1960) (ancien conservateur des Eaux & Forêts) :

« Non, la forêt ne pousse pas toute seule.
Non, le
« garde forestier » n’est pas seulement le gendarme de la forêt ».

Reneuve Paul, Législation des forêts ; Nancy, Ecole Nationale forestière ; 1966 ; p. VIII.

L’Arbre & le(s) droit(s) : des temps comparables mais non humains. Deuxième comparaison importante (après l’utilité indiscutable du Droit et de l’Arbre pour l’Homme), l’Arbre partage avec le Droit (mais non avec l’Homme) ce caractère non d’atemporalité mais de temps différent et supérieur à celui d’êtres humains. La plupart des Arbres ont effectivement vocation à s’épanouir et à vivre pendant des siècles et non pendant moins d’un. Le Droit et l’Arbre, s’ils ne sont pas stoppés par la folie et les caprices humains (ce qui est cependant fréquent), ont alors vocation à dépasser les temps humains et à survivre aux hommes qui les ont plantés. Voilà un élément qui met l’homme mal à l’aise : savoir que ses créations ou celles qu’il a aidées vont lui survivre et le dépasser dans l’échelle des temps. Il en est pourtant ainsi et c’est ce que résumait parfaitement la grande Colette Magny (1926-1997) :

« L’Arbre est né avant l’homme et mourra bien après lui. Qui aura la patience du chêne ? ».

Magny Colette, « Les multinationales déboisent »
in Kevork (ou le délit d’errance) ; Verfeil-sur-Seye, Cmp ; 1989.

Voyez ainsi les deux ifs dits millénaires et funéraires entourant la petite église ornaise de la Lande-Patry et où, il y a moins d’un siècle un barbier officiait au cœur du tronc de l’un des deux (et auprès desquels – déjà – un certain Jean-Claude Touzeil aurait joué). Voyez les séquoias californiens de la vallée Mineral King que l’article de Christopher Stone[16] a rendu encore plus célèbres par sa défense contre le projet de Walt Disney (1901-1966) d’y implanter, après avoir éliminé ces Arbres pluri-centenaires, une station de sports d’hiver. Voyez le célèbre Old Tjikko, cet épicéa suédois de plus de 9 550 années ! Ces Arbres sont hors des temps humains : ils les dépassent, y survivent. La vanité humaine a pourtant parfois du mal à l’intégrer comme si, sur la planète, seuls les Hommes avaient droit de vie. C’est aussi ce que traduit récemment le forestier le plus célèbre de la planète (après Elzéard Bouffier), Peter Wohlleben[17], quand il consacre l’un de ses chapitres à un « Eloge de la lenteur ».

L’Arbre & le(s) droit(s) : l’étymologique forêt. L’un des premiers liens entre l’Arbre et le ou les droit(s) se matérialise par l’existence même du mot « forêt ». En effet, le terme viendrait du latin « foris » signifiant « en dehors », « hors de ». Par extension, le terme forêt a désigné au Moyen-Age, des espaces boisés et réservés par les Rois « en dehors » des domaines et des propriétés privés, publics et/ou de de la Couronne[18]. L’objectif était alors d’y maintenir une vie sauvage « hors des Lois » et de la vie humaine en société et ce, pour que les Rois puissent y chasser. A ce propos, explique Harrison[19], « une forêt désignait (…) une terre confisquée par un décret royal. Une fois la région afforestée (…), on ne pouvait plus la cultiver, l’exploiter, ni empiéter dessus ; elle était mise hors du domaine public (sic), réservée aux plaisirs du Roi. En Angleterre, elle échappait ainsi à la juridiction commune. Les contrevenants étaient jugés, non pas selon la Loi commune, mais selon un corpus très particulier de « Lois de la forêt » ». Un juriste comme John Manwood (décédé en 1610) a ainsi écrit dès 1592 une première édition d’un célèbre Traité des Lois de la forêt[20]qui témoigne précisément de ce droit « à part » ; l’un des éléments de caractérisation de la forêt (à la différence du bois par exemple) étant précisément le fait qu’elle échappe au droit commun entraînant conséquemment l’existence d’agents ou d’officiers spéciaux. Ainsi, historiquement, la première préoccupation juridique forestière en France n’a pas été, pour une fois, romaine mais bien royale et nationale. Pour Rome en effet, les bois étaient des res nullius dont il n’était pas question de se préoccuper (et les Romains en ont d’ailleurs manifestement abusé[21]). Pour les Rois de France, en revanche, les forêts vont devenir des lieux rattachés à leurs prérogatives : de chasse d’abord mais aussi de coupes et de ventes de bois par suite. Depuis, il existe (pour les Rois ou pour l’Etat) non un droit des Arbres mais un régime forestier spécial. Tout ouvrage traitant depuis l’Ancien Régime de cette spécificité juridique forestière commence conséquemment par des propos similaires à ceux exprimés de façon encore contemporaine[22] : en ces lieux d’Arbres réunis en forêts, « le droit commun ne saurait suffire, car le patrimoine forestier présente des caractères bien particuliers ; il est facile à ruiner plus que tout autre ; il tient une place importante dans l’économie du pays ; il joue un rôle d’utilité publique ».

L’Arbre étudié en Droit : enfin, les temps changent ? Il y a trois années seulement le sujet faisait presque glousser comme s’il était impensable en Droit d’envisager l’Arbre. Désormais (ce dont témoigne notre ouvrage), on semble avoir dépassé le rire (et parfois même la moquerie qui souvent sont plutôt signe d’incompréhension que d’une réaction raisonnée et argumentée). A propos des animaux et de leurs droits, c’est ce que présentait pareillement Jean-Pierre Marguenaud[23] en décrivant la réaction de certains collègues : « c’est plus fort qu’eux, dès qu’ils entendent parler de personnalité juridique des animaux, ils oublient la technique juridique pour réagir encore et toujours en termes d’humiliation anthropomorphique ». A titre personnel, et à propos des Arbres, deux éléments ou exemples nous semblent aller dans cette même direction. Ainsi, il y a trois ans, lorsque nous avons présenté un sujet de thèse sur le(s) droit(s) de l’Arbre, nous avons reçu un nombre de réactions dépréciatives sinon moqueuses sensiblement élevé. Aujourd’hui qu’une telle thèse se prépare, les réactions ont changé et même si, lorsque nous avons évoqué le présent ouvrage, plusieurs collègues ont à nouveau ri sous cape : « Et pourquoi pas un droit de la mouche et après un droit de la feuille d’olivier ? », nous sentons bien qu’enfin les mentalités opèrent une mutation. Oui, les végétaux et les animaux ont des droits et, enfin, le juriste français s’en rend compte. De trois ou quatre contributions initiales proposées, en six mois, des dizaines de personnes ont sollicité d’écrire dans cet opus ; preuve – selon nous – de son intérêt – même juridique – aujourd’hui évident. Bien sûr, d’aucuns continueront à sourire et à tenir des propos sûrement aussi déplacés que la formule (mythique) que l’on prête à la Cour suprême[24] des Etats-Unis d’Amérique dans l’affaire Sierra Club c/ Morton où, constatant que si les Arbres ne pouvaient se tenir debout devant elle… ils ne pouvaient plaider ! Comme si la personnalité juridique était assimilée au fait de pouvoir physiquement porter plainte et de se tenir debout devant une Cour (les personnes à mobilité réduite apprécieront). Les temps changent et nous nous en réjouissons.

Des frontières évolutives du « vivant ». Par ailleurs, s’il était peut-être plus facile il y a un siècle encore d’affirmer que seul l’être humain en vie pouvait ou devait être considéré à l’instar d’une personne juridique, désormais, de nombreuses évolutions scientifiques se sont diffusées et poussent au moins le juriste si ce n’est à modifier son point de vue et ses qualifications au moins à accepter de les questionner. Ainsi, peut-on relever au côté de Catherine Labrusse-Riou, il y a déjà trente années de cela, que l’identification de la personne humaine est désormais bien plus complexe qu’elle ne le fut (à partir de quel moment le fœtus est-il par exemple une personne ? Le cadavre en est-il encore une ? Qu’apporte la bioéthique en la matière ?). Aux certitudes ont succédé les doutes[25] : « aux frontières de la vie et de la mort s’installe le trouble sur l’existence de la personne comme sujet ou comme objet ».

Du droit (français) de L’Arbre ou de la forêt ? Voilà un élément que l’on oublie souvent en Droit mais que les administrateurs des forêts n’ignorent pas : l’Arbre ou plutôt sa réunion et son exploitation en forêt(s) a très tôt donné lieu à des droits spéciaux (à une législation et même à un « régime » juridique forestiers propres) appliqués par des administrations et des agents particuliers (l’actuel Office National Forêts (Onf) qui trouve son origine dans la vénérable Administration des Eaux & Forêts créée en 1291 par Philippe IV le Bel (1268-1314)). Deux éléments doivent, cela dit, être énoncés au préalable. D’abord, il est important de souligner ici que nos propos même s’ils concernent les Arbres de tous pays ne seront principalement étudiés au présent ouvrage qu’à l’aune principale du Droit français (avec une incursion précitée en Méditerranée grâce à la contribution de l’ami des Arbres et des perroquets, le professeur Carlo Iannello). Cela dit, grâce au texte de M. Maurel sur l’eau et la forêt, des pistes en droit international seront également et heureusement suivies. Par ailleurs, il faut observer que s’il n’existe pas (encore) de « droit des Arbres » comme il existe un ensemble de règles relatives aux successions ou aux investissements, le Droit s’est nécessairement intéressé aux Arbres comme il s’intéresse à tout. Il existe donc des normes sur les Arbres mais elles sont dispersées. Par ailleurs, ces normes – en France mais aussi dans la plupart des pays – s’intéressent beaucoup plus aux forêts (afin de gérer leur exploitation économique) à propos desquelles il existe depuis des siècles des codifications. Conséquemment, notre ouvrage sort-il de cette acception forestière principale pour envisager le(s) droit(s) des Arbres[26] et non uniquement celui des forêts[27].

L’Arbre (ou plutôt la forêt et son « régime ») en France, à l’origine d’institutions & de droits propres. L’une des premières (et peut-être la première) juridiction administrative française spécialisée a d’ailleurs été consacrée aux activités forestières (ainsi qu’à la chasse qui s’y déroulait et à la pêche) : il s’agit de la célèbre « Table de marbre ». Il en fut établi une auprès de chaque Parlement (dont celui de Paris où siégeaient notamment le Grand-Maître des Eaux et Forêts aux côtés du Connétable de France). Cette juridiction suprême opérait l’appel et les dernières instances des décisions juridictionnelles prises par deux premiers ordres : les grueries royales ou maîtrises particulières et les grandes maîtrises des Eaux et Forêts. Il s’agissait d’un ordre juridictionnel très hiérarchisé et très implanté sur le territoire royal. On en trouve des traces dès le XIVe siècle et l’on peut ainsi y attester non de la naissance d’un droit des Arbres mais de celle d’un « régime » propre aux forêts notamment royales. Concrètement, son contentieux et sa procédure (malgré l’existence d’une véritable doctrine juridique faisant autorité[28]) ont surtout été fixés par l’une des plus célèbres ordonnances de Colbert (1619-1683).

Depuis la « Table de marbre » : de Colbert aux Codes forestiers. On doit en effet (aussi[29]) à Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances et le plus célèbre des ministres de Louis XIV (1638-1715), d’être à l’initiative de la plus importante codification en matière de droit forestier et ce, par une très célèbre ordonnance d’août 1669 qui faisait elle-même suite à plusieurs normes cherchant à réformer la législation des forêts royales, ecclésiastiques et locales. Certes, dès 1291 avec Philippe IV le Bel, la France a connu un droit forestier spécial (définissant dès cette époque les « maîtrises » des Eaux et des Forêts, leurs agents quasi-fonctionnaires et leurs contentieux). Certes, également, il faut rappeler l’apport des normes respectives de Philippe VI (1293-1350) (29 mai 1346) et de Charles V (1338-1380) (en 1376) (le premier ayant notamment pris une ordonnance dite de Brunoy[30] (au château éponyme en forêt de Sénart) planifiant davantage les coupes et préfigurant des aspects du développement durable contemporain[31]) mais c’est bien l’ordonnance « vérifiée en Parlement et chambre des comptes » le 13 août 1669 de Louis XIV « sur le fait des Eaux et Forêts » qui a considérablement réglementé de façon générale et codifié la matière et l’a durablement marquée par-delà la Révolution française.

Fruit de plusieurs années de travaux, ordonnée à l’heure où Colbert était devenu Secrétaire d’Etat de la Maison du Roi (et chargé notamment de sa Marine mais aussi depuis 1661 du « département des bois »), la norme avait pour objectif d’assurer non seulement la surveillance et la protection forestières (afin d’éviter un gaspi habituel) mais encore sa valorisation et son optimisation (la France comptant sur ses navires commerciaux et militaires aux bois réputés). Dès qu’il fut chargé de cette mission, Colbert ordonna que l’on clôturât toutes les forêts royales « voulant remédier aux désordres qui se sont introduits dans toutes les forêts [du] Royaume » et obtint en ce sens du Roi un premier arrêt du Conseil en date du 15 octobre 1661 ; à partir duquel le Ministre ordonna le premier inventaire national d’envergure en matière forestière. Désormais, ordre était donné aux officiers des maîtrises de sanctionner durement tous ceux osant braver l’interdit et osant pénétrer dans le territoire forestier royal et sacré. Et pour être sûr que chacun en soit averti, il demanda à ce que l’arrêt du 15 octobre 1661 soit lu non seulement dans toutes les maîtrises forestières mais aussi aux cours de toutes les « messes paroissiales qui sont autour des dites forêts » ! Très clairement, l’objectif de Colbert est ici financier (et non environnemental !)[32] : « pour lui, la forêt est l’annexe des Arsenaux, le fournisseur obligé en bois de chauffe de la Cour et de la Ville, l’unique source d’approvisionnement en combustible des forges, verreries, tuileries, fourneaux. Tout gaspillage en ce domaine forestier est aux yeux du Ministre lourd de conséquences pour le Trésor royal et la puissance du pays ». On retrouvera cette préoccupation de l’utilité forestière pour les constructions navales chez Rousseau (1712-1778) et ce, particulièrement dans son projet de Constitution pour la Corse (1765). Avec Colbert, les maîtrises ont ainsi évolué, des réserves obligatoires en haute futaie ont été édictées et le bois, source d’énergie première à l’époque et matériau principal de constructions (sur terre et sur mer), fut juridiquement encadré et même replanté. Devint alors un mauvais souvenir le temps où, avant cette « grande réformation » sylvicole (débutée en 1661 et achevée autour de 1678), la France[33] devait acheter au Royaume de Suède, notamment, des chênes pour ses mats de navires belliqueux. Un ouvrage – essentiellement juridique – témoigne de l’importance de cette réforme forestière : le Traité des Bois[34] (1676). Surtout, grâce à cette « réformation », Colbert, pour la première fois depuis Sully (1559-1641), réussit à parvenir – grâce aux Arbres (et à ce qu’ils lui rapportèrent) – à équilibrer le budget de l’Etat ! Du reste, aujourd’hui encore, la codification de Colbert est sensible dans notre législation forestière qui a, cela dit, reçu quelques inflexions non seulement avec la Révolution (Loi de la Constituante du 29 septembre 1791 jetant les premières fondations de l’administration nouvelle des Forêts sans sa juridiction spéciale) mais aussi avec les Restaurations (avec le premier véritable Code forestier issu de la Loi du 21 mai 1827).

Du Code forestier de 1827 à l’Arbre normalisé. Cette dernière norme, parallèlement à la création dès 1824 de l’Ecole forestière de Nancy[35], ancre le droit forestier dans celui, futur, de l’environnement. Rappelons-nous, en effet, que l’exposé des motifs de la Loi de 1827 expliquait déjà que les forêts « protègent et alimentent les sources et les rivières, elles contiennent et raffermissent le sol de nos montagnes, elles exercent sur l’atmosphère une heureuse et salutaire influence ». Toutefois, ce pas protecteur ne se fit pas sans heurts et l’on se souvient, en Occitanie en particulier, des mouvements de révoltes (comme celui de la « guerre » dite des « demoiselles » en Ariège) de citoyens critiquant vertement l’abandon de certains de leurs droits de cueillettes, de pacages ou de prélèvements de bois. Par suite, le Code forestier subira plusieurs toilettages[36] et, en droit positif, la dernière mise à jour a été effectuée par une ordonnance de 2012 proposant un « Code forestier nouveau » qui, depuis, a subi quelques infirmes raccords notamment en 2016 et en 2018. « L’Arbre »en forêt ainsi« normalisé » et « instrumentalisé » par le Droit, reçoit heureusement au présent ouvrage une approche bien plus vivifiante sous la si belle plume du professeur Billet.

Annonce des branches du plan retenu. Les Arbres, comme les êtres vivants, naissent, vivent et meurent et ce sont ces trois temps entre Arbres, Hommes et Droit(s) que nous allons également ici respecter.

D’abord, il s’agira d’exposer quelques-uns des liens juridiques entre Hommes & Arbres (I). Par suite, on s’intéressera en particulier à la question de la personnification juridique de l’Arbre en vie (II). Enfin, en clin d’œil aux deux auteurs à qui l’ouvrage est dédié, les poètes Giono et Touzeil, on se demandera si Elzéard Bouffier – notamment – ne pourrait pas être assimilé, entre Hommes & Droit – à un collaborateur occasionnel du service public forestier (III).

I. Le Droit & l’Arbre via l’homme :
liens & utilités juridiques

« Il plantait des chênes. Je lui demandais si la terre lui appartenait. Il me répondit que non.
Savait-il à qui elle était ? Il ne savait pas. Il supposait que c’était une terre communale,
ou peut-être était-elle la propriété de gens qui ne s’en souciaient pas ?
Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires
 ».

Giono Jean, L’homme qui plantait des Arbres ;
Paris, Gallimard Jeunesse ; 2010 ; p. 17 et s.

« Les Arbres sont
à qui les regarde 
».

Touzeil Jean-Claude, « Les Arbres sont… » ;La Mans ; Donner à Voir ; 2018 ;
carte postale avec une photographie de Flora Divina-Touzeil.

Droit(s) de propriété(s). Si le poète affirme que les Arbres « sont », c’est-à-dire appartiennent au sens du Droit mais aussi existent dans le regard des Hommes…, « à qui les regarde », le juriste positiviste, lui, en est embarrassé. La question de la propriété des Arbres est effectivement au cœur de millions de procès et d’affaires dans lesquelles il est presque impensable que personne ne revendique de droit réel de propriété. Rares sont effectivement les Hommes, comme le maire de la commune de Labastide-Beauvoir (près de Toulouse), à oser proclamer[37] : « On ne peut pas être propriétaire d’un Arbre. On est plutôt son obligé » !

L’Arbre & ses voisins. En premier lieu, en effet, on connaît, en Droit et à propos des Arbres, surtout les querelles de voisinages qui opposent, en droit privé (et parfois public), des propriétaires d’espèces végétales à des voisins souhaitant obtenir un élagage voire un abattage du fait de la responsabilité des choses arborées ou de leurs fruits ou feuilles leur causant préjudices. En droits civil et administratif, des jurisprudences fournies traitent ainsi des conséquences d’un mauvais entretien des Arbres et de leurs chutes éventuelles, des distances de plantation à respecter entre les fonds ou à proximité d’un domaine public, des végétaux dits mitoyens, de l’Arbre empêchant la vue, de celui menaçant de s’écrouler alors que rien n’est fait par son gardien[38], des espèces avoisinant des lignes électriques aériennes, etc. Au présent ouvrage, c’est le docteur Touzain qui revient sur ces contentieux de responsabilité(s) (civile et pénale) du fait des Arbres.

Dès 1647, c’est au Dictionnaire civil et canonique (Paris, Quesnel ; Tome I ; p. 43) que l’on revenait par aphorismes sur ces questions en retenant notamment que les Arbres par principe « ne doivent nuire au voisin » ou encore que leur présence est obligatoire près des cimetières et qu’ils doivent conséquemment « être replantés aux lieux des morts ».

L’Arbre « reflet de l’intérêt social » : une des premières défenses juridique & environnementale des forêts : le doyen Foucart[39] (1799-1860). Pour le doyen Foucart, l’Arbre apparaissait comme le « reflet de l’intérêt social », un bien si important et si utile aux hommes qu’il était d’intérêt général d’en revendiquer le plus souvent la domanialité publique. Sous l’Ancien Régime, décrit ainsi Foucart, la France était « couverte de bois » et « le législateur favorisait les défrichements »[40] sans prendre en considération le fait que cette richesse était épuisable. L’Homme gaspillait et, à la suite de nombreux excès générés par « l’imprudence et la cupidité », l’Arbre fut attaqué de toutes parts. Pourtant, son utilité environnementale, était déjà entendue et appréhendée : « Les forêts (…) ont sur le climat et sur les eaux une influence »,il fallait donc, affirmait Foucart protéger ces biens d’une façon particulière[41]. Or, quel régime permettait (et permet encore) de telles possibilités très protectrices et conservatrices ? Celui de la domanialité publique. Il est alors intéressant de considérer ici avec l’auteur que le premier rôle que le doyen de Poitiers assignait à l’Arbre n’était pas un rôle économique mais bien une fonction environnementale : sur le climat et sur les eaux : un rôle d’intérêt général dépassant même la Nation pour englober la Terre. Enfin, à titre anecdotique, nous relèverons par ses Eléments de droit public et administratif les nombreux développements que Foucart[42] consacra aux Arbres et aux bois ainsi qu’aux différentes pratiques et servitudes qui les touchaient (et qui étaient à cette époque en voie d’extinction puisque le Code forestier de 1827 les avait considérablement limitées[43]) à l’instar du marronnage[44], des pâturages, pacages et autres panages dont le plus connu était certainement celui de la « glandée » c’est-à-dire le droit de mener les porcs dans une forêt pour qu’ils s’y nourrissent des fruits des chênes. A, par ailleurs, également fait l’objet de développements foucartiens la question de l’affouage.

« N’affoue jamais » (sur un air connu). Alors que le terme est désormais rarement employé et même connu des citoyens, le mot (qui vient du latin affocare qui signifie mettre au feu (au foyer ; ficus)) est encore juridiquement en vigueur et en pratique(s). En effet, ainsi que nous le rappelions au Dictionnaire de droit public interne[45], même si le droit d’affouage est aujourd’hui peu connu, il est cependant toujours pratiqué en droit positif – ainsi que le détaille Rémi Radiguet au présent opus – et ce, dans de nombreuses communes sylvicoles. En effet, l’affouage n’appartient pas à la seule histoire du Droit mais est intégré au Code forestier et au Code général des collectivités territoriales (notamment aux art. 243-1 et s. du C. for.). Il s’agit du droit pour des citoyens de se servir, uniquement en quantité raisonnable et pour une consommation personnelle, du bois d’une forêt communale principalement pour se chauffer (d’où l’origine latine rappelée). L’étude récente du contentieux administratif nous a même récemment permis[46] d’en connaître une expression. En l’espèce, en 2012, le conseil municipal de Chanaleilles avait décidé par quatre délibérations de répartir le reliquat du produit de ventes sylvicoles entre plusieurs citoyens de quatre sections communales. Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait annulé ces actes ce qu’a confirmé, en appel, la Cour administrative de Lyon. En cassation, le Conseil d’Etat, pour statuer, a d’abord visé l’art. L. 2411-10 Cgct selon lequel les citoyens des sections communales peuvent jouir « des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature » et, s’il s’y matérialise des revenus en espèces, ils doivent être affectés en fonction de l’intérêt général. En conséquence, appliquant ce principe à l’affouage et au visa de l’art. L 243-1 C. for., le juge a rappelé que les bois de coupe sont a priori partagés en nature entre les bénéficiaires qui ne peuvent par suite les vendre. L’art. 243-3 du même Code précise même que le conseil municipal a aussi la faculté d’affecter la vente de l’affouage au « profit du budget communal ou des titulaires du droit d’affouage ». Il en résulte, affirme le juge, que si « les membres de la section ont (…) la jouissance de ceux des biens de la section dont les fruits sont perçus en nature, ils ne sont pas titulaires d’un droit de propriété sur ces biens ou ces droits. Les revenus en espèces, qui doivent être affectés en priorité à la prise en charge des dépenses relatives à la mise en valeur et à l’entretien des biens de la section ainsi qu’aux équipements correspondants, doivent être employés dans l’intérêt exclusif de cette personne publique qui ne peut, en principe, les redistribuer entre ses ayants droit. Toutefois, un conseil municipal peut décider de ne pas partager en nature une coupe de bois d’affouage entre les titulaires du droit d’affouage mais d’en vendre tout ou partie, soit au profit du budget communal pour un emploi dans l’intérêt de la section, soit à titre dérogatoire au profit des membres de la section titulaires du droit d’affouage ». La vente et la répartition des bénéfices n’était donc pas totalement prohibée. Toutefois, « le conseil municipal doit préalablement, d’une part, affecter à l’affouage la coupe dont il envisage la vente en fonction de la quantité de bois propre à satisfaire la consommation rurale et domestique des titulaires du droit d’affouage et selon un mode de partage déterminé et, d’autre part, arrêter les délais et les modalités d’exécution et de financement de l’exploitation de cette coupe. Il doit, également, préciser les motifs pour lesquels, le cas échéant, il ne destine pas tout ou partie du produit de la vente au budget communal mais le réserve aux membres de la section titulaires du droit d’affouage ». Or, dans cette affaire, « en jugeant que les coupes de bois litigieuses n’avaient été ni affectées à l’affouage ni délivrées sous ce régime dès lors que le conseil municipal n’avait pas préalablement déterminé les quantités de bois qu’il destinait à l’affouage et le mode de partage retenu, la cour n’a pas commis d’erreur de droit » et il fallait bien annuler les quatre délibérations municipales.

Arbre, haie, bois, promenade publique, espaces boises & autres forêts. Il n’existe pas véritablement de définition juridique de l’Arbre aussi étonnant que cela puisse paraître[47] et il faut donc remercier pour cela Mme Eude, au présent ouvrage et dans ses travaux annoncés de doctorat, d’en donner quelques pistes puis propositions. En effet, le Droit se contente (comme souvent) d’épouser l’acception scientifique des biologistes pourtant, même eux, ne sont pas unanimes. On retiendra donc ici une définition selon laquelle il s’agirait d’un végétal ligneux doté de trois caractéristiques majeures : un système racinaire qui l’ancre au sol, une tige (ou tronc) sans branches ou feuilles jusqu’à une certaine hauteur puis des ramifications de feuilles et/ou d’épines sur des branches partant dudit tronc. En 1760, Claude-Joseph de Ferrière (1680-1748) dans son Dictionnaire de droit et de pratique (Paris, Brunet, Tome I ; p. 118 et s.) retenait quant à lui que l’Arbre était « le premier et le plus grand de tous les végétaux ; qui n’a qu’un seul et principal tronc, qui pousse beaucoup de branches et de feuilles et qui jette beaucoup de bois ». Cela dit, l’auteur exposait et précisait ensuite vingt-sept hypothèses juridiques d’Arbres et ce, depuis les « Arbres déshonorés » (dont on a coupé les branches) aux « Arbres radots » « plantés pour servir d’ornement » notamment aux châteaux, les plaçant ainsi « à l’abri du vent ». En outre, si le Droit emploie de façon souvent synonyme les termes de bois, d’espaces boisés et de forêts (avec parfois des connotations de domanialités publiques (pour des bois[48] et des promenades publiques[49]) ou privées (pour des forêts dites domaniales[50]) ou des questions d’ampleur (le bois étant fréquemment jugé plus petit que la forêt[51]), le juge a en revanche su distinguer les espèces seules des haies d’Arbres. En effet, comme le rappelle par exemple un jugement du Tribunal administratif de Lyon[52], chargé d’examiner si des particuliers devaient planter leurs Arbres à deux ou à six mètres du talus délimitant le domaine public ferroviaire voisin (en fonction de la qualification précise de haies), des ifs « même taillés et plantés en alignement » (ce qui est la première caractéristique d’une haie) ne peuvent en matérialiser une s’ils sont individualisés et considérés à part entière. Ils doivent donc s’agglomérer suffisamment pour que leurs individualités se fondent.

Un domaine étonnamment plus privé que public ? Quiconque connaît un peu le droit administratif des biens sait que sa définition du domaine public, qu’elle soit doctrinale (depuis Foucart et non Proudhon[53]), qu’elle soit prétorienne[54] ou législative (art. L 2111-1 Cg3p[55]) repose sur les éléments suivants d’identification : « le domaine public d’une personne publique (…) est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ». On peut donc s’étonner de ce que les forêts des personnes publiques, généralement à l’usage direct de tous mais également potentiellement considérés comme aménagés spécialement pour le service public forestier (par des chemins, l’existence de gardes, de forestiers, de clôtures et de barrières, etc.) échappent à la domanialité publique qui pourtant permettrait de protéger au mieux les espèces arborées. En effet, l’article précité du Cg3p commençait par la mention « sous réserve de dispositions législatives spéciales ». Or, pour des raisons essentiellement pécuniaires (afin de permettre la vente et donc l’aliénation des bois), un « régime forestier » a été mis en place depuis des siècles et considère, avec certaines protections dignes de la domanialité publique cela dit, l’existence d’une domanialité essentiellement privée des forêts publiques. C’est ce qu’a traduit la célèbre jurisprudence[56] Abamonte à propos de la forêt domaniale du Banney. Ainsi, un bien d’une personne publique est a priori intégré à son domaine privé sauf s’il réunit les critères précités de la domanialité publique. Or, pour être certain que personne ne verra dans les forêts publiques un domaine tout aussi public (ce qui pour nous est précisément évident non seulement du fait de l’accès direct aux usagers mais encore de l’existence d’un voire de plusieurs services publics en ces lieux), c’est le législateur qui tient à préciser que les bois et forêts publics soumis au régime forestier sont immédiatement et intégralement considérés comme des biens du domaine privé[57] (art. L. 2212-1[58] Cg3p). Par ailleurs, signalons ici un phénomène intéressant. Depuis une vingtaine d’années, et notamment depuis l’entrée en vigueur du Cg3p en 2006, l’intérêt premier de la domanialité publique (sa protection) s’est vu concurrencé par un objectif de valorisation. S’agissant des forêts publiques, c’est comme si l’on assistait à la démarche inverse : très rapidement on a cherché à valoriser économiquement et à optimiser tout produit forestier et, aujourd’hui, enfin, certains (mais hélas non tous les gouvernants) cherchent à d’abord protéger (dans une vision durable) les Arbres ce qui devrait effectivement être la première des volontés.

Arbres de la liberté & de la Fraternité (juridiques). Sous l’Ancien Régime, en signe de respect et parfois d’amitié, on enfonçait dans le sol de grands mâts verticaux qu’on nommait des « mais » ou « mais d’honneur » (ornés souvent de rubans voire de couronnes) et qui étaient des Arbres[59] « ébranchés jusqu’au houppier » mais coupés de leurs racines et sans feuilles.

A partir de 1789, on prit aussi l’habitude de planter ou plutôt de replanter des Arbres encore en vie souvent jeunes mais déjà feuillus et symboles de renouveau, de vitalité voire de continuité malgré les changements. En ce sens, Norbert Pressac (1751-1822), curé de Saint-Gaudens dans la Vienne et premier homme a priori à avoir donné l’exemple (selon la légende révolutionnaire) de la plantation ordonnée d’un « Arbre de la liberté » en 1790, aurait alors dit[60] : « au pied de cet Arbre, vous vous souviendrez que vous êtes Français ». Pour l’anecdote, le chêneau mourut rapidement et Pressac le fit remplacer en 1794 et il se plut dans son nouvel habitat près de deux siècles puisque c’est une tempête de 1961 qui l’emporta.

« Unissez vos cœurs et vos bras, Enfants, citoyens, magistrats ;
Plantons l’Arbre sacré, l’honneur de ce rivage !
Que ton emblème, ô liberté, Soit le signal de la gaîté,
La tristesse en ce jour n’est que pour l’esclavage :
Les jeux, les chants sont un hommage – Pour les succès, des Français.

Chœur : Les jeux, les chants sont un hommage – Pour les succès, des Français.

Ornés des civiques couleurs, Bel Arbre, tes rameaux vainqueurs
Triompheront toujours des rois et de l’orage ;
Sur ton écorce on lit nos droits ; Ta cime au loin défend nos toits ;
Tes fleurs sont de la paix l’ornement et le gage ; La victoire suit ton ombrage.
Grâce aux succès, des Français 
».

Gretry Modeste (musique) & Maherault René (paroles), « Ronde pour la plantation de l’Arbre de la liberté » ; (écrite pour la remise aux Directeurs des drapeaux pris à Naples) 1799.

Ces Arbres, symbole d’union nationale furent ainsi spontanément répartis sur le territoire français entre 1790 et 1792 mais ce n’est qu’en 1794, avec un décret de la Convention du 03 pluviôse an II (33 janvier 1794), que l’Etat en ordonna la plantation aux citoyens des communes au cas où, depuis 1790, certaines ne s’en seraient pas occupé ou au cas où l’espèce « aurait péri ». Le régime juridique proposé à l’Arbre est alors intéressant puisque la Convention décida de confier « cette plantation et son entretien » non aux communes et à leurs représentants mais « aux soins des bons (sic) citoyens ». Serait-ce là un bien commun ? Un Arbre de la Liberté – ou de la Fraternité – comme le retient au présent opus Julia Schmitz dans sa très belle et fraternelle contribution ?

Par suite, sous le Directoire, un nouvel arrêté s’intéressa aux Arbres de la liberté et en obligea la plantation lors de la fête de la souveraineté du peuple[61]. Symbole de renouveau et volonté d’affirmer le nouvel ordre juridique (républicain), plusieurs Arbres firent conséquemment l’objet d’attentats par des contre-révolutionnaires (en Vendée notamment). L’Arbre était devenu l’incarnation de la vie républicaine française. En outre, plusieurs de nos Républiques (en 1848, en 1870, ou après la Seconde Guerre Mondiale) ont utilisé cette symbolique végétale d’union nationale et de Liberté. Certaines sources mentionnent même, en 1830, l’existence de plantations similaires au nom seul de la Liberté et de l’union et non, évidemment, de la République. Pourtant, et c’est ce que démontre avec son habituel talent le professeur Ricci au présent ouvrage, la Révolution française si elle a pu magnifier l’Arbre en le prenant pour symbole de Liberté ne s’en est pas pour autant soucié des points de vue environnemental et durable. En ce sens, la Loi des 10-11 juin 1793 sur le mode de partage des biens communaux semble effectivement avoir davantage sacrifié l’Arbre.

De surcroît, il est intéressant de constater que peu de temps avant la Révolution, les Lumières ont essayé de soustraire l’Arbre de sa connotation religieuse, mystique ou sacrée (ce que les révolutionnaires avec les Arbres de la Liberté et de la Fraternité vont précisément chercher à amplifier). Ainsi, c’est au nom de la rationalité et seulement du symbole que Charles Le Roy (1684-1753) (conservateur du parc de Versailles et commandant conséquent des chasses royales) a écrit dans l’Encyclopédie de Diderot (1713-1784) à l’article « Forêt » : « Il parait que de tous temps on a senti l’importance de la conservation des forêts ; elles ont toujours été regardées comme le bien propre de l’état (sic), et administrées en son nom : la religion même avait consacré les bois, sans-doute pour défendre, par la vénération, ce qui devait être conservé pour l’utilité publique. Nos chênes ne rendent plus d’oracles, et nous ne leur demandons plus le gui sacré ; il faut remplacer ce culte par l’attention ; et quelque avantage qu’on ait autrefois trouvé dans le respect qu’on avait pour les forêts, on doit attendre encore plus de succès de la vigilance et de l’économie. L’importance de cet objet a été sentie de tout temps ; cela est prouvé par le grand nombre de lois forestières que nous avons : mais leur nombre prouve aussi leur insuffisance ; et tel sera le sort de tous les règlements économiques. Les lois sont fixes de leur nature, et l’économie doit continuellement se prêter à des circonstances qui changent. Une ordonnance ne peut que prévenir les délits, les abus, les déprédations ; elle établira des peines contre la mauvaise foi, mais elle ne portera point d’instructions pour l’ignorance ».

Arbres officiels : les drapeaux nationaux de représentation juridique. Si, comme l’expose dans la présente Revue l’amie Juliette Gate, l’Arbre est au cœur de la symbolique religieuse abrahamique avec l’Arbre de vie, il a aussi été adopté par plusieurs Etats – même temporels – comme emblèmes officiels que connaissent les vexillologues. On connaît tous à cet égard le célèbre cèdre qui magnifie le drapeau libanais, la feuille d’érable du drapeau canadien mais on peut aussi citer à ce propos les rameaux d’olivier présents sur les drapeaux de Chypre ou encore de l’Organisation des Nations Unies (Onu) en symbole de paix. En Guinée équatoriale, c’est un kapokier (Bombax ceiba) ou fromager qui est mis en avant sur le drapeau national alors qu’en Australie, les îles Norfolk ont choisi d’être représentées, entre deux bandes vertes, par un pin de Norfolk (Araucaria heterophylla), espèce endémique et désormais symbolique de son territoire. Retenons enfin, et peut-être surtout, l’exceptionnel drapeau du Bélize qui magnifie un acajou (Swietenia macrophylla) sous lequel on peut lire : « Sub umbra florea » (je fleuris à l’ombre).

De jure comme de facto ces Arbres des drapeaux sont-ils des représentations juridiques nationales officielles au même titre que certains blasons ou armoiries officiels. Jusqu’en 1870, en ce sens, il existait en France une norme régissant nos armoiries républicaines en y intégrant auprès d’un bouclier en pelta, d’un faisceau de licteur, du monogramme « Rf » pour République française, des branches de chêne et d’olivier. Désormais ces symboles notamment arborés sont ceux de la Présidence de la République et ne sont plus l’objet direct de normes ce qui a permis au président Macron d’y insérer récemment et discrètement une croix de Lorraine[62] en toute infraction à la Laïcité.

De l’utilité juridique mais surtout économique & fiscale de l’Arbre. Du point de vue économique, l’utilité des bois comme matière de chauffage, de construction, et d’industrie a rapidement été consacrée par le Droit. Ainsi, dès le 06 Août 1790, en pleine période révolutionnaire, l’Assemblée Nationale considérait : « que la conservation des bois et forêts est un des objets les plus importants et les plus essentiels aux besoins et à la sûreté du Royaume, et que la Nation seule, par un nouveau régime et une administration active et éclairée, peut s’occuper de leur conservation, amélioration et repeuplement pour en former en même temps une source de revenus publics ». L’Assemblée décréta en conséquence que : « les grandes masses de bois et forêts nationales sont et demeurent exceptées de la vente et aliénation des biens nationaux ordonnées par les décrets des 14 mai, 25 et 26 juin derniers ». L’utilité économique de l’Arbre s’est donc bien rapidement exprimée et imposée à l’Homme (déjà sous l’Ancien Régime) alors que son apport au droit de la santé, soulignent Arnaud Lami – et ses Bichettes – dans la présente Revue méditerranéenne, est également considérable.

L’Arbre, source de revenus et de droits publics. D’un point de vue économique, cela dit, l’une des premières utilités de l’Arbre en Droit a manifestement été marchande et c’est sûrement la raison pour laquelle le Droit postrévolutionnaire a prioritairement donné naissance à un Code forestier plutôt qu’à un Code domanial général. Un auteur comme Foucart décrit ainsi au XIXe siècle le mécanisme juridique qui poussa fréquemment les gouvernants, lorsqu’ils avaient un besoin rapide d’argent mais ne voulaient pas lever une nouvelle contribution fiscale, à ordonner la coupe de bois : l’Arbre apparaissant ici au secours de l’impôt. C’est pourquoi, sachant que les bois devaient être protégés mais que parallèlement il s’avérait fréquent d’en ordonner la coupe puis la vente, il devenait difficile d’en proclamer l’inaliénabilité. Un Code forestier fut donc rapidement mis en œuvre et distingua deux classes d’Arbres : celles soumises au nouveau Code et les autres. L’utilité publique de l’Arbre était alors telle qu’outre un Code spécial on lui offrit une administration propre, des écoles forestières, des ingénieurs, des agents forestiers, des gardes, des inspecteurs, des arpenteurs etc[63]mais, comme rappelé supra, la plupart de ces éléments n’étaient que la transformation ou la continuité directe de créations royales d’Ancien Régime.

L’Arbre, utile à la domanialité publique. Par ailleurs, il existait nous apprend Foucart, vis-à-vis des routes à l’époque dites nationales, une utilité extrêmement importante de l’Arbre (le plus souvent des platanes sous le Premier Empire[64]) et ce, en ce qu’il permettait de délimiter le domaine public : la route, même par temps de neige ou de brouillard, étant toujours située… entre les Arbres ! Cette autre utilité pratique entraînait selon l’auteur deux conséquences principales : d’abord, l’Arbre, en tant que bien qu’il qualifiait d’intérêt général, même s’il appartenait à un propriétaire privé, ne pouvait être abattu à l’envi s’il se trouvait à proximité d’un domaine public. Par ailleurs, il pouvait être grevé de servitudes[65]. En outre, affirmait le doyen, l’Arbre ainsi considéré devenait un « accessoire » du domaine public et par conséquent … un objet lui-même appartenant audit domaine et ce, même s’il avait été planté par une personne privée.

Ainsi résumait-il[66] par ce triptyque : « [1.] les plantations contribuent à l’agrément des routes, dont elles font de longues avenues ; [2.] elles indiquent leur direction aux voyageurs lorsque la terre est couverte d’eau ou de neige ; enfin, [3.] elles offrent une ressource à l’industrie, à laquelle elles fournissent des bois de différentes natures ».

L’Arbre, accessoire indispensable. On reconnaissait même, dit Foucart, une telle utilité à l’Arbre pour délimiter le domaine public routier qu’il existait des servitudes au profit du domaine obligeant les riverains à planter – à leurs frais – des Arbres et à les entretenir au nom de l’intérêt général. Ainsi était-ce principalement le cas pour les riverains des voiries routières nationales et départementales. Le préfet y avait même le droit de prendre des arrêtés pour réglementer et condamner les propriétaires pour tout pied non ou mal planté. De plus, précisait le doyen de Poitiers : « les Arbres morts ou manquants doivent être remplacés, sous les mêmes peines, aux frais du planteur ». Ces obligations ne s’atténueront qu’à partir de la fin de la Seconde République. Même s’ils étaient donc formellement propriétaires, les riverains concernés du domaine public devaient ainsi non seulement planter et replanter des essences indiquées par l’autorité préfectorale mais aussi, et en conséquence, n’étaient-ils autorisés de « couper ou arracher ces Arbres qu’avec l’autorisation du préfet ». En cas contraire, outre une amende, l’administration pouvait requérir la condamnation à un « emprisonnement de vingt jours à six mois » pour ceux qui auraient eu la mauvaise idée de faire périr leurs essences alors qu’elles étaient grevées de servitudes au profit du domaine public. En outre, rappelait Foucart, il existait encore d’autres servitudes telles que celles d’entretien, d’élagage, d’essartement, etc[67].

Histoires de droits de propriétés sur les Arbres. Alors, nous indique Foucart, on pouvait comprendre que la question de la propriété des Arbres en bordure de routes appartenant à la voirie ait longtemps été discutée, eu égard à son importance extrême tant économique que domaniale : l’administration invoquant des servitudes d’intérêt général et les riverains un droit de propriété privée et, notamment, les composantes d’usus et d’abusus dont ils s’estimaient souvent lésés. In fine, la question qui se posait surtout était alors économique : qui avait le droit de vendre ces Arbres et en conséquence la possibilité d’en tirer des bénéfices ? La question avait été si primordiale pour les gouvernants d’Ancien Régime et ceux du nouveau, qu’en moins d’un siècle, une dizaine de normes successives ont été prises et ont, selon le gré du vent presque, attribué parfois la propriété aux uns ou… au domaine public. En 1855, par exemple, la propriété des Arbres était présumée (selon la Loi du 12 mai 1825) appartenir à l’Etat « en tant qu’accessoires du domaine public ». Toutefois, les propriétaires riverains avaient la possibilité de renverser cette présomption en apportant des preuves de la matérialité de leurs prétentions. Quant à savoir comment apporter une telle preuve, Foucart donnait l’exemple suivant des haies dont l’entretien témoignait aisément de ladite propriété[68] : « la possession même annale qui se manifeste suffisamment à l’égard d’une haie par la tonte fréquente qui en est faite peut fournir une présomption de propriété ».

De la disparition progressive des Arbres routiers d’alignement. Il y avait autrefois une multitude d’Arbres considérés comme des accessoires du domaine public routier. Toutefois, du fait du goudronnage massif des routes (rendant la voirie plus aisément visible même par mauvais temps), de leur élargissement (qui a entraîné l’abattage de milliers d’espèces) mais aussi afin de réduire les coûts d’entretien, la France a réduit de façon drastique l’existence des Arbres d’alignement encadrant nos routes. Plusieurs circulaires[69] ont bien cherché à freiner ce mouvement destructeur mais les protecteurs des Arbres se sont retrouvés face à des lobbystes bien plus riches et plus puissants qu’eux : les défenseurs des automobiles. En effet, en 1989 une note ministérielle[70] relevait que « les plantations d’alignement (…) ont constitué depuis plusieurs siècles un élément essentiel du paysage routier français. Le long des routes nationales les sections plantées représentaient à la fin du siècle dernier près de 50 % de la longueur du réseau national »alors qu’elles constitueraient, aujourd’hui, autour d’une petite dizaine de pourcentage seulement de ce même réseau national. Pourquoi ? Très simplement parce que chaque année des centaines de personnes perdent la vie en percutant des Arbres d’alignement (ce qui représente près d’un dixième des causes de décès de la route). Pourtant, si l’on regrette évidemment ces morts affreuses, pourquoi incriminer l’Arbre lorsque l’alcool et la vitesse sont les causes véritables desdites disparitions ? Jamais un Arbre, même malintentionné, ne s’est jeté contre un automobiliste, même arrogant.

Ce sont les Hommes qui détruisent les Arbres et leurs vies et non l’inverse. Il faut donc travailler davantage les luttes contre la vitesse et l’alcoolémie au volant plutôt qu’abattre des végétaux inoffensifs mais ce, sauf à croire, comme nous y a incité le poète que les « peuples d’Arbres » sont aussi (et déjà) « en marche » contrairement aux apparences :

« Arbres solitaires
Mauvais caractères
Anarchistes romantiques
Plantés au gré du vent.

Hameaux d’Arbres en bouquets
En famille ou presque
Réfugiés mutilés blessés
Boat-people à la dérive
Sur les océans du monde

(…) Cèdres bleus saules pleureurs
Des résidences secondaires
Platanes bien pensants dans la ligne
Tilleuls taillés au cordeau
Respectueux de l’ordre
Clochards inconnus sur le trottoir
Mendiant un coup à boire

(…) Arbres livres
Des hommes libres
Au fil des pages-feuilles

Arbres miroirs et références
Mémoire de l’univers

Peuples d’Arbres en marche
De toute éternité
 »

Touzeil Jean-Claude,
« Peuples d’Arbres » in Peuples d’Arbres ; op. cit. ; p. 54 et s.

Heureusement plusieurs hommes et femmes politiques ont cherché à replanter et à s’émouvoir de la disparition des Arbres d’alignement. Citons en ce sens la très belle lettre de Georges Pompidou (1911-1974) à Jacques Chaban-Delmas (1915-2000) alors son premier ministre le 17 juillet 1970 : « bien que j’ai plusieurs fois exprimé en Conseil des ministres ma volonté de sauvegarder « partout » les arbres, [une] circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l’égard des souhaits du Président de la République. Il en ressort, en effet, que l’abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l’on n’envisage qu’avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques. C’est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n’ont, semble-t-il, d’autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n’est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l’importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage ». Et le Président de conclure avec magnificence : « La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes – et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes – est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d’un milieu humain ».

Arbres & Unité du Droit ? Ce qui surprend peut-être le lecteur en matière de liens entre Arbres et Droit c’est qu’il n’existe a priori pas de Droit de l’Arbre comme « branche » juridique. Autrement dit, il existe de multiples droits s’appliquant à l’Arbre (de propriété(s), public, privé, international, de l’urbanisme, forestier, administratif, privé, notarial, de l’environnement, etc.) comme si chaque législation spéciale avait agi sans prendre en compte les autres et comme si l’Arbre était un accessoire de chacune (à part peut-être pour le Code forestier). Cette absence de continuité et de communauté juridique dessert la cause arboricole et l’on doit notamment aux travaux précités de Mme Saurat de l’avoir particulièrement mis en avant : l’Arbre manque d’un statut unique ou uniforme mais pour ce faire il faudrait peut-être une reconnaissance constitutionnelle ou internationale (afin de ne pas entrer en conflit avec des Lois existantes). Ne serait-il conséquemment pas question de tenter de lui offrir, de façon plus globale, des droits comme ceux de la personnalité juridique ?

II. L’Arbre, personnifie par le Droit :
à l’image de l’Homme ?

L’idée de personnification de l’Arbre est fréquente en littérature et dans les arts (c’est-à-dire au profit d’autres fictions que le Droit). Dès les Métamorphoses[71], on envisage de « devenir Arbre » en comparant de façon anthropomorphique les non-humains aux personnes physiques. Pour la doctrine juridique majoritaire en revanche[72], l’Arbre est assurément une chose[73] : un bien meuble et immobilier « par nature » (sic).

Les personnes, les choses & les actions. La « triplette » romaniste. Celle que nous qualifions ici de « triplette » romaniste peut se résumer de la sorte et innerve le Droit français depuis des millénaires : il n’existerait que deux catégories d’éléments juridiques : les personnes (qui sont uniquement les êtres humains en vie ce qui exclut toute autre possibilité) et les choses (c’est-à-dire tout le reste même en vie mais non humain (comme les Arbres et les animaux) ou humains mais non en vie (comme les cadavres et fœtus in utero). Seules les personnes pouvant « actionner » les choses, il en résulterait que le Droit pourrait se résumer à l’étude des personnes, des choses et des actions. On doit cette trilogie explicative, fondée sur l’opposition entre « être » (une personne) et « avoir » (des choses) à des auteurs comme Gaius (120-180), Tribunien (mort en 542) et Justinien (482-565) dans leurs respectives Institutes du droit romain. Selon eux, et désormais selon la pensée juridique plurimillénaire, le Droit serait totalement contenu dans la seule étude des personnes, des choses et des actions : Omne autem jus, quo utimur, vel ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones. En conséquence de cette trilogie (qui n’est originellement que doctrinale mais que le Droit a consacré), rares sont ceux qui osent envisager (directement ou indirectement) sa critique et le fait que les Arbres, notamment, puissent être considérés comme des personnes juridiques en tant qu’être vivants. Parmi ces rares promoteurs des droits de la personnalité, on retiendra René Demogue[74] (1872-1938), Christopher Stone[75] & William O. Douglas[76] (en 1972), Marie-Angèle Hermitte[77] (en 1988), Michel Serres[78] (en 1990) ; la connexion de ce dernier avec Robert Harrison étant alors évidente[79]. Si l’on met donc de côté les premières réflexions de Demogue, c’est autour des années 1970-1980 que les principales réflexions juridiques ont été menées en France et aux Etats-Unis. L’édition française (2017) de Stone est alors très claire quant à l’objectif juridique officiellement poursuivi. Il s’agit même presque d’un pléonasme puisque le sous-titre de l’ouvrage est « Vers la reconnaissance de droits juridiques aux objets naturels » : on parle bien ici de « droits juridiques » (sic) afin de bien insister sur le fait qu’il ne s’agit pas « que » de questions morales ou philosophiques. A l’opposé, et parmi ceux (beaucoup plus nombreux) qui refusent et combattent l’hypothèse d’une personnalité juridique « naturelle », citons, de façon contemporaine, Luc Ferry[80], Simone Goyard-Fabre[81], François Ost[82], Yann Thomas[83], Patrick Le Louarn[84], Geneviève Giudicelli-Delage[85], David Boyd ou encore, au présent ouvrage, l’ami Julien Betaille (qui parle quant à lui de « mirage juridique »), etc. Toutefois, de nos jours, nous rappelle Marie-Angèle Hermitte[86], on assiste manifestement à un « décentrement des catégories juridiques » qui pousse à ce que l’auteure nomme à très juste titre selon nous un « animisme juridique[87] » qui heurte nos habitudes occidentales.

Lectures occidentales individualistes. C’est un fait : les premiers pays à avoir consacré comme personnes au sens juridique des êtres non humains (la nature, Pachamama, un fleuve ou encore des animaux) sont principalement[88] des Etats non occidentaux et dans lesquels ont existé ou existent encore (comme en Amérique latine ou en Asie) des visions holistes et animistes au cœur desquelles l’Homme n’est pas le centre de toute action et de tout pouvoir, de toute prise de décision, d’âme, de langage et d’action. Or, nos visions (européennes) singulièrement individualistes et humano-centrées nous poussent à ne voir et à n’envisager prioritairement que l’Homme et non son environnement. Nos droits même, depuis les philosophes des Lumières, sont essentiellement individuels et individualistes (ce qui rend compliqué sinon impossible pour d’aucuns leurs reconnaissances au profit de groupements ou d’êtres considérés comme non humains). Raymond Saleilles (1855-1912) en 1910 l’avait parfaitement saisi lorsqu’il dénonçait[89] : « l’erreur capitale, parce que ce fut l’erreur initiale, vient de ce prétendu axiome, d’après lequel l’individu seul a des droits ».

Evidemment, cela rappelé, il est assez logique qu’une société est beaucoup plus encline à consacrer la personnalité juridique d’un Arbre ou d’un chat si elle croit au fait qu’il puisse avoir une « âme » ou une « sensibilité ». C’est là tout l’objet de l’ouvrage récent de Kohn[90] qui nous invite à dépasser la vision binaire d’un monde séparé entre les humains, qui pensent, agissent et réfléchissent (c’est-à-dire sont, en qualité de « personae », les sujets et titulaires des « actiones »du droit romain sur les « res ») ce que les Arbres, animaux et autre choses juridiques ne feraient pas. En ce sens écrit l’anthropologue dans l’Epilogue de son ouvrage[91] : « Je propose une théorie de la réalité de l’enchantement et de l’animisme au-delà de l’humain, et je m’efforce de l’étayer et de la mobiliser conceptuellement dans le cadre d’une approche anthropologique susceptible de nous emmener au-delà de l’humain ». Par ailleurs, remarque-t-on aisément, il y a comme une gradation animiste instinctive chez la plupart des auteurs occidentaux prêts à reconnaître une âme et une personnalité à l’être humain et éventuellement dans un second temps à l’animal (dont le comportement est souvent observé à travers des yeux anthropomorphiques). Ce n’est alors seulement ensuite qu’éventuellement (lorsque ce premier pas a été accompli) les auteurs s’intéressent aux végétaux et c’est ce premier constat qu’offre le philosophe Coccia[92] dans sa récente Vie des plantes. Imaginez alors les difficultés que rencontrerait un juriste travaillant (et prônant) la personnification juridique des Arbres et même d’êtres inanimés comme les cadavres humains ! Elles sont avant tout idéologiques et non juridiques.

Ce qui manque aujourd’hui au Droit (occidental en particulier), résume par suite Marie-Angèle Hermitte[93], c’est effectivement cette « conception globale du vivant portée par la catégorie de biodiversité, variabilité des organismes vivants et des écosystèmes ». Ce questionnement rejoint en partie celui porté par Bernard Edelman[94] dans sa « critique de l’humanisme juridique ». Heureusement, quelques ouvrages récents comme les succès (internationaux) de librairies de L’Homme et le bois[95]de Lars Mytting ou de La vie secrète des Arbres de Peter Wohlleben pourraient peut-être accentuer cette prise de conscience écologique mais il y a encore sûrement beaucoup à faire pour que l’Homme occidental comprenne qu’il n’est pas le centre du monde dont il serait le tout-puissant moteur. Particulièrement intéressante est effectivement la démarche du forestier Wohlleben qui nous propose de comprendre l’organisation forestière à l’image d’une organisation humaine. Toutefois, cet anthropomorphisme (parfois très – sinon trop – poussé chez l’auteur) peut donner le sentiment que les Arbres seraient des êtres en tous points comparables aux Hommes. Or, nous ne le croyons personnellement pas et pensons que cet argument peut aisément se retourner contre les défenseurs des Arbres. En effet, promouvoir des droits pour les Arbres ne signifie pas que l’on souhaite qu’ils deviennent nos Egaux (comme le prétendent d’aucuns) mais seulement qu’il s’agit désormais de les prendre véritablement en compte. Il ressort alors de deux ouvrages fondamentaux de Robert Harrison (celui précité sur les forêts ainsi qu’un second sur les cadavres[96]), qu’il est temps de prendre simplement conscience de ce que l’Homme n’est pas seul au monde et qu’il est entouré d’autres êtres. Nous partageons avec eux l’existence terrestre.

La peur des « communs ». Cette absence de considération résulte aussi sûrement de ce que nous sommes (particulièrement les juristes) profondément individualistes et peu conduits à considérer des notions englobantes ou collectives sinon communes ; chacun n’ayant envie que de prendre en compte ses biens propres et n’ayant d’attention que pour ses proches. C’est ce que la doctrine (depuis un article retentissant[97]) a appelé la « tragédie des communs ». Sans pour autant remettre en cause l’existence même du droit de propriété, la – ou plutôt les – théorie(s) des communs serai(en)t pourtant sûrement une autre piste (que celle des droits de personnalité que nous prônons) pour dépasser (ainsi que le soutient notamment Mme Saurat dans sa thèse) l’acception classique des droits de propriété et l’opposition binaire entre personnes et choses en insistant davantage sur les notions (et les effets) de l’utilité et de la protection plus encore que de la seule possession patrimoniale. On a alors ici peu de peine à rejoindre Léon Duguit[98] (1859-1928) quand il explique que la propriété n’est pas (ou plutôt ne devrait pas être) un droit mais une « fonction sociale ». Toutefois, la très stimulante théorie des communs[99] s’applique davantage aux forêts et aux biens communs environnementaux[100] qu’à l’Arbre à proprement parler puisque, s’il est isolé, l’Arbre ne peut en bénéficier ; l’idée de communs reposant avant tout sur l’existence d’une ressource collective associée à une communauté.

Du Contrat social au Contrat naturel ? On doit à Michel Serres[101] (même si l’on ne partage pas toutes les idées et les conséquences jusnaturalistes qu’il propose ou imagine à partir de ce constat) une idée extraordinaire : celle de la transformation du Contrat social, cette utopie expliquant la formation de la société humaine à l’époque des Lumières (Rousseau, Locke (1632-1704), Hobbes (1588-1679), etc.), en ce qu’il nomme un « Contrat naturel ». Ce dernier, globalisé et signé symboliquement entre tous les êtres vivants (ce qui est tout aussi utopique que la théorie du Contrat social) traduirait la volonté de tous de respecter l’environnement sans ne faire primer, comme souvent, que l’Homme. Il s’agirait de prendre enfin conscience de ce que l’Humain n’est pas seul et doit prendre en compte tout ce qui l’entoure. L’idée de ce Contrat naturel, engagement des Hommes envers notre milieu et toute la biodiversité est une proposition formidable. Cette idée de contrat est importante car elle souligne le besoin de Droit et a minima de régulation(s). C’est parce que les Hommes, spontanément, ne respectent pas les Arbres et l’environnement, qu’il est proposé de les responsabiliser, comme on le ferait avec des enfants, en les forçant symboliquement à faire état d’engagements écrits et formalisés. Ce Contrat naturel témoigne de ce que le Droit a précisément cette fonction de régir les conflits lorsque le plus fort (l’Homme) profite du plus faible (les Arbres). Le Droit protège et c’est sa fonction la plus noble. C’est celle, par exemple, qui s’exprime dans cette belle affiche signée Philippe Fore (1997) : « les gendarmes sont des gens d’Arbres ». Ce que propose alors Michel Serres est simple : revendiquer que les sujets de Droit ne soient pas que les Hommes et affirmer que tous les êtres vivants soient représentés (et donc deviennent sujets de Droits) audit Contrat naturel. Il le réexprime parfaitement lorsqu’il écrit que la Déclaration universelle de l’Unesco ne le sera vraiment que lorsqu’elle prendra en compte la Nature. Et, à l’argument matériel des positivistes demandant la preuve dudit Contrat, inexistant dans les faits (qu’il s’agisse du Contrat social ou naturel) faute d’instrumentum, Rousseau comme Serres essaient d’expliquer, à qui accepte de les entendre sans mauvaise foi, que ces contrats proposés sont des conditions du vivre-ensemble, des méthodes d’explication et non, évidemment, des échanges matérialisés sur un support papier d’obligations. « Reconnaître » les êtres vivants par ce Contrat naturel, n’est-ce pas le premier pas vers leur personnification et, partant, vers la garantie de leurs droits et leur respect ? Nous le croyons profondément. En ce sens, résume l’auteur[102] : « pour rendre équitable l’échange, il faut un Contrat. La connaissance commence avec le Droit ».

La peur des positivistes d’une fiction neo jusnaturaliste. Les propositions de qualification juridique en phase avec la personnalité et non avec la dénomination de choses des Arbres notamment effraient nombre de juristes positivistes qui craignent, par ces mouvements, que l’on assiste à un retour au(x) droit(s) naturel(s) jugé(s) ascientifique(s) et plus moral(ux) que juridique(s). En effet, à force d’attribuer à la nature personnifiée des droits, des pensées, des volontés éventuelles, ne glisse-t-on pas vers une démarche si anthropomorphique[103] qu’elle en nierait ou en sous-estimerait les droits positifs pour ne consacrer que des volontés que seuls certains seraient capables d’interpréter et qui nous dépasseraient ? Le risque – nous ne le cacherons pas – est effectivement présent mais nous ne croyons pas – pour autant – qu’il soit insurmontable. Il nous semble effectivement que la prise de conscience humaine de ce que les éléments et l’environnement qui nous entourent nous dépassent est une très bonne chose. Le renversement de l’individualisme juridique égocentré ne peut qu’être bénéfique pour la protection végétale et animale et ce, tant que des juges contrôlent et mettent en balance les intérêts de chacun. Reconnaître des droits aux Arbres, par exemple, ne signifie pas qu’ils primeront sur tout et que l’Homme meurtri s’effacera toujours. Cela ne signifie pas davantage qu’il faut oublier le droit positif de l’environnement qui serait jugé impuissant ou inutile. Par ailleurs, il n’est pas question d’affirmer ici la supériorité des droits de la nature ou qu’un droit naturel soit consacré. Nous demandons seulement à ce que le droit positif prenne acte de l’existence – y compris juridique – des êtres végétaux et en tire des conséquences plus protectrices. Par ailleurs, d’aucuns affirment que la personnification serait impossible en ce qu’elle créerait une fiction juridique particulièrement propre au jusnaturalisme (présumé inexistant par les positivistes). Nous ne dirons et ne démontrerons pas ici que le jusnaturalisme existe ou devrait exister ou être reconnu. Nous disons simplement que les fictions juridiques sont l’essence même du Droit qui, précisément, n’existe pas physiquement ou matériellement et n’est qu’une convention intellectuelle humaine. La fiction juridique (comme celle de la personnalité morale par exemple) n’est en rien étrangère au droit positif qui en est parcouru de toutes parts. Il en existe même des représentants légaux (c’est ainsi le cas des députés qui incarnent la Nation). Alors, pourquoi pas des Arbres qui, eux, au moins existent physiquement (à la différence de ladite Nation) ? On a souvent raillé les Arbres en disant que puisqu’ils ne parlent pas et ne se déplacent pas jusqu’à la Cour, ils ne pourraient pas aller en Justice mais les personnes morales comme l’Etat ou une société ne le peuvent pas non plus. Pourtant le Droit, au nom d’intérêts financiers, leur a reconnu la personnalité juridique. Les Arbres peuvent donc autant en bénéficier.

Une conscience nécessairement globalisée. Par ailleurs, cette prise de conscience et ces actions même si elles sont – à l’heure actuelle – nécessairement matérialisées en plusieurs endroits du globe (essentiellement en Amérique latine et en Asie) n’ont évidemment pas vocation à demeurer locales ou nationales. L’Arbre, s’il peut être teinté de nationalité, appartient à des espèces globalisées (au même titre que l’Humanité) et les questions qu’il pose en Droit français sont les mêmes que dans d’autres pays. Il s’agirait donc, dans l’absolu, d’obtenir une réaction juridique internationale. Ici encore, la mondialisation ou globalisation juridique aurait donc la possibilité de se matérialiser et c’est par ce biais peut-être que l’on pourrait intégrer les réflexions contemporaines sur les communs.

Les Arbres : des choses, des biens. A l’exception des choses communes rappelle et précise, avec le brio qu’on lui connaît Maxime Boul dans cet ouvrage, les biens sont des choses appropriables (c’est là leur « nature » et leur qualification même de biens). Or, les Arbres sont en ce sens (bien) a priori des biens.

Les Arbres, immeubles et/ou meubles : nature & destination. Aux termes de l’article 516 du Code civil, « tous les biens sont meubles ou immeubles ». Or, avec l’Arbre nous sommes en présence d’un bien immeuble « voyageur » qui peut devenir meuble et redevenir immeuble ! En effet, on peut considérer avec Baudry-Lacantinerie (1837-1913) qu’à l’instar d’un fonds de terre, les immeubles sont[104] « voués à l’immobilité » par leur emprise au sol et force est de constater qu’a priori, effectivement, un Arbre par son incorporation racinaire au terrain (immobilier) sur lequel il est (im)planté est un immeuble « par sa nature ». En effet, retient le Code Napoleon (art. 517), « Les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent ». Précisément, ajoutent juristes et jurisprudences, l’Arbre serait aussi parfois un immeuble par destination à l’instar de biens et même d’animaux agricoles. En ce sens, accessoire d’un fonds immobilier, l’Arbre mobile peut être maintenu en pépinière dans une caisse ou un pot comme tout meuble mais il a vocation à s’enraciner sur un terrain et à devenir par suite un immeuble.

Parallèlement, les fruits ou branches de l’Arbre font partie intégrante de l’immeuble mais lorsqu’ils tombent ou sont coupés, ils deviennent des meubles bien séparés de leur origine. En ce sens, sont rédigés les art. 520 (« Les récoltes pendantes par les racines et les fruits des arbres non encore recueillis sont pareillement immeubles. Dès que les grains sont coupés et les fruits détachés, quoique non enlevés, ils sont meubles. Si une partie seulement de la récolte est coupée, cette partie seule est meuble ») et 521 du Code civil (« Les coupes ordinaires des bois taillis ou de futaies mises en coupes réglées ne deviennent meubles qu’au fur et à mesure que les arbres sont abattus »). Et Baudry-Lacantinerie de résumer : « la terre (…) immobilise tout ce à quoi elle donne la vie, les Arbres et leurs fruits ». Explicitement et de façon limpide, dès l’Ancien Régime, Domat[105] (1625-1696) exposait quant à lui qu’on comprend « aussi sous le nom d’immeuble tout ce qui est adhérent à la surface de la terre, ou par la nature, comme les Arbres, ou par la main des hommes comme les maisons et autres bâtiments, quoi que ces sortes de choses puissent en être séparées et devenir meubles ». En 1760, de Ferrière dans son Dictionnaire préc. (Tome I ; p. 212 et s.) présentait ainsi près d’une trentaine d’acceptions du mot « bois » pour expliquer toutes les nuances existant entre le bois de l’Arbre en vie et celui de l’Arbre mort et /ou coupé. L’auteur rappelant que dès Louis X (1289-1316) et son ordonnance de 1315, neuf bois étaient ainsi déjà distingués en Droit entre les « Bois chablis » que le vent a renversé et ainsi devenus meubles ou ceux « déchaussés » dont on a ôté « la terre du pied ».

Remise en cause contemporaine de la nature immobilière ? A la suite de quelques contentieux, la doctrine a parfois évoqué que même si l’opposition entre meubles et immeubles paraissait d’ordre public – ainsi que l’affirme la Cour de cassation (par ex. in Cass., 3e civ., 23 juin 1991 (n°89-18638)) – il demeurait loisible à des parties de considérer meuble… un immeuble. C’est notamment la thèse du prof. Dross (op. cit. ; § 342-1 et s.) et l’on sait que si un Arbre est un immeuble dès qu’il est déraciné – à terre – il en devient mobilier puisque « mobilisable ». Un récent arrêt de la Caa de Marseille est venu troubler cette donne. S’y posait la question de savoir si l’on pouvait appliquer au bénéfice d’Arbres marseillais, parallèlement à des travaux publics, l’art. R. 532-1 Cja permettant au juge administratif de mettre en œuvre un référé « toutes mesures utiles » ordonnant, notamment, l’expertise d’immeubles litigieux (et susceptibles de subir des préjudices du fait de travaux publics). Oui, selon le TA[106] mais non selon la Caa[107] qui a souhaité écarter l’application du référé en retenant son applicabilité comme ne concernant que « les dégradations susceptibles d’affecter les immeubles riverains d’une opération de réalisation de travaux publics ». Or, selon la Cour, les « Arbres ne constituent pas des immeubles au sens de ces dispositions ». Notre collègue le (futur doyen) Boul en a donc conclu que, peut-être, la Caa souhaitait ici remettre en cause la qualification immobilière des Arbres. Nous demeurons quant à nous très prudents en la matière car il nous semble qu’ici le seul objectif a été (pour gagner du temps) de refuser l’application de l’art. R. 532-1 Cja et nous craignons qu’il ne faille entendre par cette décision non l’envie prétorienne de nier un caractère immobilier mais seulement l’hypothèse d’une exclusion des dispositions litigieuses, le juge retenant que les Arbres n’étaient pas des immeubles « au sens [des] dispositions » du référé c’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas de constructions et/ou de terrains immobiliers. Par ailleurs, en l’espèce, peut-être que le juge a pu considérer les Arbres – destinés à l’abattage – comme étant déjà (par anticipation) des biens meubles ? C’est aussi une possibilité.

Selon les lieux et les propriétaires : des droits & des polices distincts. Les travaux préc. de Mme Saurat insistent particulièrement sur cet état de fait (connu des administrateurs forestiers mais peu du grand public) : les droits attachés aux Arbres, et particulièrement aux forêts, sont différents selon que l’espèce est esseulée ou non, qu’elle est en forêt ou en terre agricole, en ville ou aux bords d’une route, qu’elle est reconnue ou classée « remarquable », « protégée » ou, enfin, qu’elle est l’objet d’un propriétaire public ou privé. De même, confirme au présent ouvrage notre collègue et ami Fabrice Bin, les polices de la forêt sont-elles également parfois – et du fait de ces distinctions – aussi touffues et complexes qu’un « épais taillis », bien éloignées de « l’élégant bosquet » à la Française.

Les Arbres peuvent subir des préjudices mais non plaider ? Le 12 août 1980, rappelle Martine Remond-Gouilloud[108], une cour de Justice américaine a accepté, alors que personne ou presque ne s’y attendait, de sanctionner les auteurs d’une pollution au détriment d’une forêt sans valeur et déserte. Alors, peut-on résumer, les juges ont osé reconnaître un préjudice écologique non pas au regard de l’Homme et de ses droits de propriété(s) mais à l’égard direct de la nature. Un premier pas juridique venait de s’accomplir. Force est effectivement de constater que les Arbres souffrent de l’activité et des actions humaines. Comment les protéger ? Comment obtenir la réparation de leurs préjudices ? Qui pourrait alors plaider sinon parler en leur nom ? C’est aussi le questionnement matérialisé, le 25 octobre 2018, par le millier d’agents de l’Onf qui ont manifesté, en forêt de Saint-Bonnet-Tronçais dans l’Allier, contre « l’industrialisation croissante » des forêts publiques françaises et la privatisation annoncée de l’Office National actuellement encore public. Devant l’amplification de la marchandisation à l’extrême des espaces boisés français, les agents ont en effet interpellé l’opinion publique en dénonçant les coupes rases trop souvent multipliées et l’oubli d’une gestion durable de nos forêts. C’est une « industrialisation » de la filière bois que dénoncent ces hommes et ces femmes qui poussent le cri d’alarme que les Arbres eux, et par définition, ne peuvent pousser. « Ils veulent sauver les forêts publiques » estimait en ce sens France Info[109] dans sa dépêche en partenariat avec l’Afp. La vision économique aurait (comme périodiquement en France en matière de forêts) repris les devants et effacé l’objectif de gestion durable et de vision à long terme.

La vision économique triomphe-t-elle toujours ? De fait, c’est peut-être là la seule question ou le seul choix politique d’importance. Si, malgré une reconnaissance de droits ou de protection(s) et parfois même une personnalité juridique les Arbres ou autres êtres vivants protégés cèdent toujours devant les intérêts économiques et financiers, tout ceci n’a aucun intérêt. Tant que l’intérêt écologique ne sera pas prioritaire (car il nous concerne tous à long – et non à court – terme comme les intérêts financiers individuels ou collectifs) ou, a minima, aussi important que les autres intérêts en jeu, la bataille juridique sera vaine. S’en déduisent deux formes de réactions : pessimiste et optimiste.

Le pessimiste, au visa des normes dites Pachamama d’Amérique latine, rendues par exemple en application de l’art. 71 de la Constitution équatorienne et en reconnaissant la personnalité juridique, remarquera qu’à chaque fois qu’on a cherché à les appliquer et que des intérêts financiers étaient en jeu, ce sont ces derniers qui ont primé. Il ne servirait donc à rien (à part symboliquement) de reconnaître des droits et des personnalités juridiques nouvelles. En France, plus proche de nous, regardons cet étonnant arrêt du Conseil d’Etat de mai 2018[110] qui témoigne parfaitement de ce que le droit administratif est devenu un droit de la concurrence intégré où le principe de traitement égal entre les partenaires économiques et le droit à une saine et égale concurrence priment – toujours – sur l’Egalité sociale et même sur la responsabilité environnementale. Ne sommes-nous pas condamnés à voir la finance toujours triompher y compris sur la vie humaine ?

L’optimiste (que nous sommes parfois) en revanche (outre le symbole qui serait déjà un premier pas) remarquera que le temps de la reconnaissance juridique et des changements de mentalité(s) est long. Ainsi, il nous semble certain que la personnification arboricole contraindra davantage les intérêts économiques car elle placera la Nature et les Arbres en l’occurrence non sur un pied d’Egalité humaine mais de comparaison. Il s’agit de personnes au pluriel et non de personnes humaines seulement détentrices de droits et d’actions sur tout. La personnification est alors à nos yeux le premier pas idéologique et juridique nécessaire au changement de mentalités et c’est là le devoir du Droit que d’éclairer la route lorsque les Hommes ne souhaitent pas, par égoïsme, l’emprunter (ce qui rejoint ici l’utilisation des discriminations dites positives). Du reste, il y a heureusement des hypothèses où les intérêts écologiques triomphent et on peut s’en réjouir, comme le fait Giono dans sa chronique dite des « trois Arbres de Palzem ». L’auteur y explique que lorsque l’on a creusé le canal de la Moselle, les constructeurs se sont trouvés face à trois Arbres :

« Trois Arbres très ordinaires, de vulgaires peupliers. C’était l’affaire de cinq minutes de bulldozer. Quelqu’un dont je ne connais pas le nom (je le regrette), ni le grade, mais qui mérite le premier, a considéré que même pour faire passer un canal très utile à la sidérurgie, on n’avait pas le droit d’arracher ces trois Arbres. Il a fait consolider la berge sur laquelle ils s’élevaient, il l’a même surélevée, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas contenté d’écarter les bulldozers, mais qu’il a consacré du temps, donc de l’argent, pour conserver ces trois Arbres[111].
Et ceci est exceptionnel
 »

Giono Jean, « Les trois Arbres de Palzem »
in Les trois Arbres de Palzem ; Paris, Gallimard ; 1984.

Objets de protection ou sujets de droit(s) ? Notre but est bien ici de dépasser la seule protection incertaine des objets en la transformant en une protection plus sûre (et notamment contraignante) par la représentation d’un sujet et en permettant, surtout, que les réparations ordonnées soient effectuées au profit direct des Arbres. Bien sûr, l’Arbre est déjà parfois objet de protection. Ainsi en est-il au titre de l’art. L 411-1 du Code de l’environnement : « lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats ». Comme des monuments, certains Arbres historiques ne peuvent être détruits ou abîmés et plusieurs classements urbanistiques mettent en jeu ce type de protection émanant tant de la puissance publique que d’associations privées comme celle, dénommée « A.r.b.r.e.s. » qui attribue depuis presque vingt ans le label[112] d’« Arbre remarquable de France ». Au présent ouvrage c’est l’article de l’amie et professeure Laëtitia Guilloud-Colliat qui revient précisément sur les formes de protections juridiques entourant l’Arbre : qu’il s’agisse des mécanismes permettant la gestion durable des forêts ou de ceux limitant ou encadrant sa destruction à des fins généralement économiques. Toutefois, aujourd’hui, les Arbres objets dépendent de la volonté (et souvent de l’absence de volonté) de leurs propriétaires. En en faisant des sujets personnifiés, ceux qui les représenteraient seraient invités à agir de façon bien plus aisée.

Un sujet peut-il avoir des droits sans devoirs ? Oui ! L’idée notamment défendue par François Ost selon laquelle seuls les humains auraient des devoirs (non niés par l’auteur[113]) envers les Arbres qui, quant à eux, n’auraient aucun de ces mêmes devoirs, impliquerait l’impossibilité de les consacrer comme personnes juridiques ; ces dernières étant toutes marquées par ce couple de droits et d’obligations. Or, précisément, il existe bien (fût-ce rare) des hypothèses où des personnes juridiques – parce que l’on cherche à les protéger – ne peuvent être « que » sujets (passifs) de droits et non (actifs) de devoirs. Il en est ainsi de certains individus incapables et, par définition, de toutes celles et de tous ceux que l’on va placer sous la « tutelle » d’une autre personne non seulement pour les représenter mais encore – et surtout – pour les défendre. Viendrait-il à quelqu’un l’idée d’affirmer en Droit qu’un humain placé dans le coma est un objet ? Il demeure une personne malgré son absence de devoirs exécutés personnellement. La Loi peut donc protéger une personne « peu » ou « in-capable » en lui proposant un tuteur : un représentant.

Des sujets peuvent-ils être distingues dans leurs droits ? Oui ! L’Egalite des droits n’est pas synonyme de la personnalite. Pensons aux personnes morales, aux mineurs, aux incapables, aux étrangers… Tous sont, en droit positif français, des personnes juridiques mais aucun n’a les mêmes droits : le mineur ne peut se marier librement, l’étranger ne vote pas à une élection locale sauf s’il est membre d’un pays de l’Union européenne, le majeur placé sous curatelle ne peut vendre ses biens à l’envi, etc. Le Droit sait parfaitement distinguer des catégories de personnes et offrir à certaines – pour des raisons estimées opportunes par la société – ce qu’il ne permet à d’autres. Donner la personnalité juridique aux Arbres ne va donc pas leur donner tous les droits d’une personne physique humaine (et personne ne le souhaite ou le soutient). Juridiquement, pour les Conseils constitutionnel et d’Etat, il est ainsi possible de distinguer des personnes en fonction de situations matérielles distinctes dans lesquelles elles sont placées et d’un intérêt général[114]. Autrement dit, non seulement ce n’est pas l’Egalité juridique qui est ici prônée mais encore, même si elle était reconnue, elle n’empêcherait pas de pouvoir – tout de même – imaginer des distinctions de traitements juridiques.

Des sujets dits incapables peuvent-ils voir leurs droits representes s’ils ne peuvent faire etat de leur volonte ? Oui ! C’est précisément là l’intérêt d’avoir permis l’existence de représentants et même de « tuteurs » pour toutes les hypothèses où le Droit et donc la société ont estimé (même lorsque les représentés pouvaient pourtant s’exprimer à l’instar des mineurs) que des personnes méritaient de voir leur parole et leurs intérêts, leurs droits et la défense de leurs préjudices éventuels, interprétés et représentés par d’autres. C’est du reste là toute la grandeur du Droit des hommes que de penser à représenter les plus faibles et à tenir compte de leurs volontés ou – ce qui est évidemment un risque – de celles que l’on interprète à leur profit. En la matière, le « tuteur » (d’une personne ou de la nature[115] par exemple) n’a pas besoin d’être le propriétaire du sujet ou de l’objet représenté.

En 1910, Raymond Saleilles publiait ses leçons sur la personnalité juridique (Paris, Arthur Rousseau). En 1922, Henri Capitant (1865-1937), en en présentant la seconde édition, expliquait que l’un des apports de l’ouvrage désormais classique avait été d’affirmer qu’il n’était « pas nécessaire que le sujet de droit soit un être de volonté » ce qui est précisément également aujourd’hui notre credo et ce, car il suffit juridiquement qu’un représentant agisse avec une volonté « au service de l’ayant-droit ». Or, même si c’est concrètement un être humain qui agit au nom de la personne (morale ou arboricole) représentée, c’est bien cette dernière qui est « le centre des intérêts ». Or, résumait (avant de le critiquer) Saleilles dans sa XXIIe leçon : « Si le droit n’est pas la volonté en acte » alors il est peut-être simplement « un intérêt protégé » (ce que développera quant à lui Léon Michoud[116] (1855-1916)). L’histoire juridique est précisément celle de la multiplication de la reconnaissance des droits. D’abord, seuls ont pu s’exprimer juridiquement ceux que l’on a considérés comme des êtres humains citoyens mais non les étrangers, les esclaves, les femmes et les enfants ; ces trois derniers ayant longtemps eu un statut proche de celui de l’objet. Par suite, la citoyenneté est souvent devenue nationalité. On a reconnu des droits aux citoyens les plus riches (présumés les plus capables). On a mis (progressivement et en partie) un terme à l’esclavage, on a revalorisé certains droits des mineurs et des femmes. Par ailleurs, ceux que le droit positif considère comme diminués ou incapables (en tutelle ou en curatelle par exemple) et les enfants notamment ont des droits que des tuteurs incarnent. Un sujet incapable a donc aussi des droits et peut les voir représentés. Par ailleurs, disait déjà Stone[117] en 1972, à propos des personnes morales dotées juridiquement de personnalité malgré leur caractère fictionnel avéré : « Le monde des juristes est peuplé de titulaires de droits inanimés, tels que les trusts, les entreprises, les joint-ventures, les municipalités (…) et les Etats-Nations, pour n’en citer que quelques-uns ». Très simplement, nous pensons donc qu’il faudrait appliquer aux Arbres un régime de personnalité juridique à l’instar de celui des personnes – également physiques – mais humaines et représentées ainsi que d’aucuns (Cf. infra note 127) le proposent également pour les animaux de compagnie.

Des Arbres communiquant ? Si les opposants à la personnification retiennent souvent comme argument le fait que puisque les Arbres ne peuvent « parler » de langue humaine, ils ne peuvent et ne doivent plaider, plusieurs études ont voulu démontrer qu’au contraire des formes de communications entre Arbres et des Arbres vers les autres espèces (dont humaines) existaient. Ainsi, depuis plusieurs années, de nombreux travaux scientifiques ont acté de ce que les Arbres n’étaient pas si passifs et végétatifs qu’on ne les avait qualifiés. Mentionnons en ce sens l’étude de l’anthropologue Eduardo Kohn[118] qui a osé questionner avec provocation la façon dont les forêts « pensent » en expliquant qu’il faut dépasser notre vision déformée du langage comme ne pouvant être qu’humain et humanoïde, les travaux de Mancuso démontrant que les végétaux communiquent en continu par exemple pour prévenir de la présence d’un prédateur, pour prendre moins de place aux fins de laisser pousser une espèce arrivée[119], etc. Dans son ouvrage récent de vulgarisation forestière, Wohlleben[120] a d’ailleurs bien insisté sur cet état de fait d’une communication végétale (par exemple par l’émission d’odeurs répulsives). Fort des travaux de Monica Gagliano[121], Wohlleben n’hésite pas à évoquer même la façon dont les Arbres peuvent retenir et gérer des informations à la suite de stimuli répétés et ce, à l’instar de cerveaux humains ou animaux. En philosophie, lisons également les stimulantes théories proposées « de la feuille » ou encore « des racines » qu’Emanuele Coccia a rassemblées dans sa Vie des plantes[122]. Dévalorisées, ces dernières sont selon lui « la blessure toujours ouverte du snobisme métaphysique qui définit notre culture ». En particulier, l’auteur propose de très intéressantes réflexions sur l’utilisation dans le langage du terme arboricole de « racines » au fondement de toute création. Concrètement, dans la plupart de ces ouvrages, l’idée maîtresse (particulièrement chez Coccia) consiste non à faire primer l’Arbre mais à le re-connecter à l’Homme. Au présent ouvrage, c’est Marie-Angèle Hermitte qui évoque ainsi « les sciences pour écouter les arbres revendiquer leurs droits ».

De l’hypothèse aux droits de representation. C’est ici, selon nous, l’un des objectifs principaux de la personnification espérée : la possibilité (qui deviendrait un droit et non une faculté au gré des propriétaires et des juges) de représenter les Arbres lorsqu’ils sont attaqués ou subissent des préjudices. Par ailleurs, cette représentation n’est-elle pas déjà en germes dans la « pétition » du poète qui fait se défendre les Arbres par d’autres êtres vivants plus actifs et réactifs aux yeux des humains : les animaux.

« Vu la déclaration des droits de l’animal,

Vu le sacré principe de non-ingérence

dans les affaires intérieures d’un Arbre,

Vu le haut degré de pollution de l’air

en dehors des zones boisées,

Vu le développement intempestif

des nuisances acoustiques urbaines,

Vu l’intensité de la crise du logement

dans les forêts périphériques

et les papillons de banlieue,

Vu le conflit latent propriétaires/locataires

et la squatterisation galopante,

Vu le mépris affiché par la non-consultation

des populations concernées sur ce sujet,

pourtant vital et – ô combien – délicat,

Nous,
représentant l’immense majorité des locataires soussignés,

vous faisons part de notre indignation la plus distinguée et de notre sainte colère

face au diabolique projet d’abattage du grand chêne qui nous sert de logis,

projet relatif à la construction d’une bretelle d’autoroute,

En conséquence,

nous exigeons le détournement immédiat

de cette voie meurtrière afin, d’une part,

de sauver notre Arbre (ne serait-ce que

par respect pour son grand âge), d’autre part,

de protéger notre habitat et notre vie,

– encore miraculeusement libres aujourd’hui.

Nous vous informons que si nos revendications

ne sont pas prises en considération,

nous sommes déterminés à engager

divers types d’actions non violentes, comme par exemple :


– blocage de la circulation

sur les routes avoisinantes,

– grève du zèle et/ou de la faim,

– sit-in kamikaze devant les bulldozers.

Nous tenons à vous signaler enfin que

si nous étions amenés à mettre

nos menaces à exécution,

vous en porteriez l’entière

et lourde responsabilité

car vous n’ignorez pas que

que nous sommes ouverts au dialogue

et à la concertation à tout moment

pour voir l’aboutissement

de notre juste lutte.

Les soussignés :


– cinq musaraignes.

– sept petits mulots.

– une famille d’écureuils.

– une volée de moineaux.

– trois mésanges et deux bouvreuils.

– un geai (récemment veuf).

– trois cigognes immigrées.

– un couple de corbeaux.

– une chevêche (revêche).

– un grand-duc et sa femme (superchouette).

– un roitelet déchu.

– une pie noire et blanche.

– deux piverts.

– un coucou suisse.

– un essaim de frelons.

– deux cent treize abeilles

et autant de mouches.

– une dizaine d’araignées.

– douze chenilles, – donc, douze papillons.

– vingt-huit pucerons et quatre coccinelles.

– quatre maquereaux égarés, – plus très frais !

– trois courtilières des Andes.

– un capricorne du troisième décan ».


Touzeil Jean-Claude, « Pétition sauvage » in Peuples d’Arbres ;

Saint-Meen-le-Grand, Editions Inch’Allah ; 1984 ; p. et s.

Des sujets peuvent-ils voir leurs droits evoluer ? Oui ! La fatalite juridique n’existe pas. Le Droit, redisons-le, n’est que la traduction juridique d’une convention sociale en normes mais ces règles positives ne sont que des choix politiques qu’il est tout à fait possible d’envisager autrement et de vouloir faire évoluer. Heureusement pour l’Homme, le Droit n’est pas immuable car il dépend des volontés (et parfois des humeurs) humaines. Le Droit « vit » : il naît, il évolue et parfois il s’éteint. Conséquemment, une convention juridique adoptée à un endroit et à un moment donnés peut tout à fait être transformée. Ainsi, alors que longtemps la personnalité morale a été refusée comme non humaine, elle a par suite été adoptée. Alors que l’Autriche et l’Allemagne ont longtemps qualifié l’animal de chose appropriable (c’est-à-dire de bien), en 1986 et 1990, ils ont décidé de modifier leurs législations civiles[123], l’article 285 du Code civil général disposant désormais que « les animaux ne sont pas des choses[124] ; ils seront protégés par des lois particulières. Les prescriptions en vigueur pour les choses ne sont applicables aux animaux que dans la mesure où il n’existe pas de réglementations différentes ». En 2002, parmi de multiples exemples similaires en droits comparés, c’est le Code civil suisse qui disposait pareillement en son article 641. Au niveau constitutionnel même, la norme fédérale édicte désormais « des dispositions concernant l’obligation de traiter les animaux, les plantes et tout organisme vivant dans le respect « de la dignité de la créature »» explique Wohlleben[125]. Bref, le Droit évolue et les situations juridiques des choses et des personnes aussi. Rappelons d’ailleurs que si les animaux obtiendront peut-être bientôt aussi la personnalité juridique en droit français[126], cette qualité leur a déjà en partie et parfois été reconnue et ce, par exemple lors des retentissants procès que le Moyen-Age leur consacra alors qu’officiellement il s’agissait toujours de biens meubles[127].

C’est du reste l’un des arguments phares de Stone que Catherine Larrere[128] dans sa préface à l’édition française des Arbres doivent-ils pouvoir plaider ? résume de la façon suivante : « Si ce qui a paru « impensable » (reconnaître des droits aux femmes ou aux Noirs) est aujourd’hui admis, pourquoi n’en irait-il pas de même pour les droits des non-humains » ? Impensable, tel est le mot choisi par Stone dès 1972 pour expliquer précisément que même si une évolution semble impossible à d’aucuns, elle ne l’est pourtant pas[129] : « Tout au long de l’histoire juridique, chaque extension du droit à une nouvelle entité, avant d’être effective, a été un peu impensable ». Notons, cela dit, que les évolutions juridiques se font évidemment en tous sens. On peut refuser puis reconnaître des droits et réciproquement. Là encore, la fatalité juridique n’existe pas. En mars 2017, ainsi, si la High Court of Uttarakhand at Nainital a déclaré que le Gange et le Yamuna (avec d’autres éléments naturels) pouvaient recevoir des éléments de la personnalité juridique, la Cour suprême est revenue par suite sur ce choix audacieux.

Cela dit, ces évolutions lorsqu’elles sont espérées positives et traduisent des extensions de reconnaissances juridiques semblent parfois créer des ulcères à quelques collègues et citoyens comme si le fait que des personnes aient de nouveaux droits ou que de nouvelles personnes juridiques soient reconnues leur était préjudiciable. Or, les hypothèses que nous envisageons (et que nous défendons) ne viennent ôter aux personnes humaines aucun droit acquis. Elles viennent seulement (comment ne pas s’en réjouir ?) considérer davantage la situation juridique d’êtres vivants particulièrement utiles à l’Humanité. Comment et pourquoi refuser ces extensions juridiques qui, par ailleurs, n’ôtent rien aux situations (et même au patrimoine) des personnes humaines en tant que telles ? Il en fut ainsi de ceux luttant « contre » l’augmentation des droits des Noirs, des femmes, des homosexuels, etc. Il en fut ainsi de ceux cherchant à conserver leurs dominations et leurs prérogatives. Topique est en ce sens la démarche entreprise par Luc Ferry dans son ouvrage précité. Il lutte et déploie son énergie à lutter « contre » en tenant parfois des propos singulièrement méprisants et dévalorisants contre ceux qui soutiennent les hypothèses de personnifications non humaines (animale et végétale). Parmi les arguments de l’auteur, trois méthodes nous semblent ainsi particulièrement détestables. D’abord, lorsqu’en introduction[130] de son Nouvel ordre écologique, le philosophe aborde la question des procès d’animaux sous l’Ancien Régime, il commet un anachronisme désolant. Méprisant et dévalorisant le droit ancien, il le ridiculise en évoquant tel procès fait contre des insectes et telle affaire que ces derniers auraient même gagné. L’auteur qualifie alors la période de « parenthèses de l’humanisme » mais il ne rappelle pas que les procès faits contre les Hommes (les ordalies et autres inquisitions notamment) étaient loin d’être rationnels et humanistes. Il faut pourtant tout évoquer lorsque l’on veut comparer. Or, la situation des Hommes soumis à la « Question » au XVIe siècle était aussi aléatoire, en termes de respects d’un droit à un procès équitable, que l’existence de quelques procès contre des sorcières, des cadavres ou des animaux. Ne comparons que ce qui peut l’être. Par suite, lorsque l’ancien ministre[131] ose dire (en argument d’autorité et sans démonstration) que la tradition (sic) impose que seule l’Humanité soit titulaire de personnalité juridique, on pourrait défaillir. Cet argument est effectivement un non-sens dans l’histoire du Droit. L’appliquer reviendrait à dire que l’esclavage doit perdurer (et ne jamais changer au nom de la « tradition ») et qu’évidemment les femmes doivent demeurer juridiquement inférieures dans la plupart des législations. La « tradition » juridique n’est pas un argument en Droit. Enfin, à plusieurs reprises, M. Ferry, luttant contre la personnification non humaine, est assez méprisant et réducteur dans ses procédés. Ainsi, en utilisant par « exemple » une législation nazie (le Loi du 24 novembre 1933 sur la protection animale) pour parler de la personnification animale, il[132] insiste sur l’idéologie (et non sur le Droit) de ses promoteurs totalitaires sur des considérations tout autres. Il évoque (sans avoir même besoin de détailler) les horreurs du nazisme pour contrer (alors que le lien entre les deux est inexistant) une volonté positive. De même, lorsqu’en conclusion[133], M. Ferry écrit que les personnifications d’êtres vivants voulues par d’aucuns feront de ces choses des « alter égo juridiques », il dénigre la proposition faite et la réduit à une expression qui, sauf erreur, n’est portée par aucun juriste : celle qui consisterait à faire des animaux ou des Arbres des « Egaux ». Ainsi écrit-il : « Dira-t-on sérieusement que le Hiv est sujet de droits, au même titre que l’Homme » ? Non, précisément, personne ne le dit.

La personnalite juridique n’est pas la personnalite humaine. Prenons l’exemple néo-zélandais du fleuve Whanganui. Le 15 mars 2017, la Parlement national lui a reconnu la personnalité juridique et a chargé une communauté maorie d’être son représentant légal. A aucun moment, il n’a été pensé et édicté que le fleuve serait désormais une personne humaine. Il s’agit simplement d’un être vivant à qui le Droit attribue une qualification supérieure à celle de chose parmi ses catégories juridiques. Cette personnalité permet de considérer davantage le fleuve et de lui attribuer de nouveaux droits dont on a chargé des personnes physiques, par ailleurs réunies en personne morale, de les défendre et de les incarner. Or, voilà bien l’une des difficultés majeures à laquelle les promoteurs de la personnification sont confrontés : par « personnalité juridique », la plupart des gens entendent « personnalité » et « Egalité » humaines. Yan Thomas (à l’art. préc.) regrette ainsi qu’une personnification institue des « sujets rivaux du sujet humain » ce qui n’est qu’un pur fantasme. Personne ne soutient (et en tout cas pas nous) que les Arbres sont des êtres humains ou leurs Egaux comparables en tous points. Prôner la personnification de l’Arbre n’implique pas le refus de son utilisation économique (pour le bois, le papier, des essences précieuses, etc.) et le succès des ouvrages précités de Wohlleben et de Mytting le démontrent parfaitement.

Il s’agit seulement de repenser notre rapport à l’Arbre en le respectant davantage et non de faire de lui un être supérieur ou un Egal en tous points et dont on ne pourrait permettre l’utilisation. De la même manière que la reconnaissance de droits animaliers n’interdirait pas, par exemple, que l’on utilise le lait de plusieurs mammifères, c’est une question simple de respect de tous les êtres vivants qui est ici avancée. Cela dit, et c’est là une source de difficultés, il faut bien admettre que le terme même de « personne » est en Droit polysémique ou, en tout cas, utilisé de plusieurs façons. En effet, il peut s’agir évidemment de la personnalité juridique mais aussi – et parfois y compris dans la Loi – de la personne humaine ce qui trouble les esprits.

Une « personnalite » pour proteger[134]. Ce qui nous pousse notamment à la reconnaissance de la personnalité est une raison simple et elle est la même que celle qui consiste à offrir aux mineurs et aux incapables un état particulier : la protection des plus faibles. Une protection juridique et étatique que même un libéral comme John Stuart Mill (1806-1873) avait comprise lorsqu’il expliquait (dans De la liberté ; 1859) que la seule raison légitime au nom de laquelle l’Etat « peut user de la force contre un de ses membres, contre sa volonté, est d’empêcher que du mal soit fait à autrui ». On protège bien les mineurs et certains malades comme des « personnes particulières » nous proposons simplement de faire de même pour les Arbres.

Une « personnalite » representee & a minima. Pour autant, il ne s’agit évidemment pas d’accorder aux Arbres (ou aux animaux ou aux cadavres) autant de droits et de devoirs qu’aux personnes humaines en vie, capables d’ester en Justice et de manifester leurs volontés juridiques. La matérialité des faits ne le permettrait pas de toutes façons. Il ne s’agit pas de proclamer que l’Arbre pourra demain posséder des biens, contracter ou participer à la vie en société comme tout un chacun. Il s’agit – principalement – de protéger au mieux et de permettre, en cas de préjudices subis en particulier, des actions en Justice et en réparation(s). Comme pour les mineurs et les incapables, on pourra leur désigner des représentants. On l’a fait (et le fait encore) pour les mineurs. On l’a fait (et le fait encore) pour les personnes morales qui – par définition – ne peuvent s’exprimer seules mais à propos desquelles il ne viendrait à personne aujourd’hui l’idée de nier l’existence de droits et de préjudices potentiels. On conçoit bien évidemment que cette proposition décontenance et change nos habitudes mais le Droit n’a pas vocation à l’immobilisme même si certains de ses gardiens le croient. Ayant permis l’existence fictionnelle de la personnalité morale, le Droit peut donc, demain, faire de l’Arbre une personne pour le protéger ce qui ne signifie pas qu’il aura les mêmes droits et devoirs qu’une personne humaine en vie car le Droit sait établir des catégories et des sous catégories à l’instar des prérogatives distinctes selon que la personne est mineure ou majeure par exemple, capable ou non, libre ou sous tutelle ou curatelle, etc.

La personnalité juridique n’entraîne ni la disparition des objets ni celle de la propriété. N’y a-t-il pas un risque (pointé par plusieurs auteurs) à déclarer les Arbres sujets personnifiés de droit(s) si l’on se met également à personnifier tout être – non humain – considéré comme animé de vie : les animaux et les végétaux ? D’aucuns (dont nous sommes) vont même à proposer que des êtres humains non animés[135] (mais qui l’ont été) deviennent aussi des « personnes juridiques ». Si l’on ouvre cette catégorie des personnes juridiques aux Arbres et aux végétaux, aux animaux, aux fleuves et aux mers même, n’ouvre-t-on pas une boîte juridique de Pandore dans laquelle tout deviendrait sujet de droit(s) ? Nous ne le croyons pas.

Le Droit évolue lorsque les Hommes en comprennent la nécessité. Si nous proposons une nouvelle personnalité juridique c’est avant tout pour que les Hommes comprennent l’urgence de la protection des Arbres car ces derniers se moquent bien d’être ou non qualifiés de personnes juridiques. De surcroît, il ne s’agit aucunement d’affirmer que les Arbres personnifiés seraient par suite insusceptibles d’appropriation(s). Si le Droit précise que la personne humaine est insusceptible d’être effectivement un objet patrimonial, rien n’empêche une norme de préciser que les personnes végétales comme les Arbres seraient au contraire susceptibles d’appropriation. La personnification arboricole ne fait donc en rien disparaître la propriété (et tel n’en est pas le but). Il s’agit seulement de protéger davantage et de prendre acte de la nécessaire conscience écologique. Toutefois, notre pensée juridique est si marquée par le fait qu’un sujet de droit humain peut être le propriétaire de toute chose et conséquemment que[136] « la propriété [serait] un prolongement de la personnalité humaine » qu’il nous est devenu difficile d’envisager d’autres hypothèses et notamment la déconnexion des droits de propriété et de personnalité.

A-t-on besoin de la reconnaissance juridique ? N’est-elle pas « que » symbolique ? C’est un argument fréquent employé par les réfractaires à la reconnaissance de la personnalité juridique. On pourrait se contenter de « l’objet de protection » sans aller jusqu’à reconnaître des sujets de droits. Ici encore, il peut être intéressant de relire Stone. Expliquant sa démarche, Catherine Larrère[137] ajoute que pour le juriste américain, devenir un « right-holder » ou sujet de droit(s) impliquerait trois conséquences : « qu’il puisse engager des actions en Justice en son nom » et donc qu’il puisse agir juridiquement lui-même ou par son représentant ; que « les dommages qu’il a subis » ou même « infligés soient pris en compte » et qu’il existe donc des préjudices propres et enfin qu’il soit le « bénéficiaire » d’éventuelles réparations ordonnées. Force est alors de constater, continue Mme Larrère que depuis la reconnaissance du préjudice écologique, en France, les deuxième et troisième éléments semblent consacrés. A ce propos, écrit Stone[138], « c’est dans l’optique de l’économie du bien-être que l’argument en faveur de la personnification de l’environnement dans le calcul des dommages et intérêts trouve sa meilleure démonstration. Tout système juridico-économique qui fonctionne bien devrait être configuré de manière à mettre chacun de nous face à l’ensemble des coûts que ses activités dont supporter à la société ». Et l’auteur de poursuivre, aux pages suivantes, avec une vision finalement très proche de celle utilitariste de Bentham (1748-1832) deux siècles auparavant mais au profit globalisé de la nature et non seulement des hommes. Par ailleurs, s’agissant du « troisième élément » précité (le fait que les Arbres soient eux-mêmes les bénéficiaires des indemnisations des préjudices reconnus), Stone[139] relève non seulement que cette solution éviterait davantage (comme c’est souvent actuellement le cas avec des Arbres-objets) que les propriétaires (qui deviendraient des représentants) ne soient économiquement et socialement soumis par de grands groupes les dépassant et soient contraints de nier leurs droits. En outre, ajoute-t-il, en cas de condamnation à une somme d’argent par exemple, « la part revenant à l’objet naturel (sic) pourrait être placée dans un fonds fiduciaire, administré par son tuteur, via [un] mécanisme de tutelle ».

D’autres auteurs, comme François Ost[140] et plus récemment Mme Saurat dans sa thèse, proposent d’intégrer les Arbres à un ensemble qui serait qualifié de « patrimoine commun de la Nation » et conséquemment placé sous sa garde ce qui rejoint une proposition que nous avions faite (sur ce dernier aspect de garde) à propos de la personnification des cadavres ou personnes défuntes. Cette dernière auteure évoque alors des procédés qu’elle imagine contraignants avec un statut qui, placé sous le sceau de l’Unité du Droit, dépasserait même la vision traditionnelle du droit de propriété en réactivant la question des « communs » se plaçant alors sous l’autorité de Rousseau :

« Le bien commun se montre partout avec évidence,
et ne demande que du bon sens pour être aperçu
 ».

Rousseau Jean-Jacques (du Contrat social ; livre IV).

En effet, sans reconnaître de droits de personnalité, il arrive que certaines situations soient résolues en faveur des nécessités écologiques. Ne serait-il pas suffisant de s’en contenter ? En ce sens, le Code français de l’environnement a déjà acté d’au moins deux façons la représentation de préjudices naturels et l’action conséquente d’association de protection environnementale. Les articles L. 141-1 et L. 142-1 du Code de l’environnement permettent aux associations concernées (et notamment à celles qui sont agrées) d’agir comme si elles représentaient la nature (même si le terme n’est pas expressément consacré) et depuis 2016 (Loi n°2016-1087), la norme dite « biodiversité » a reconnu (aux art. 1246 et s. du Code civil) l’existence d’un « préjudice écologique » propre : mais est-ce vraiment la panacée car si, dans les faits, certaines associations « peuvent » représenter quelques intérêts biologiques ou écologiques, elles ne représentent pas pour autant les espèces concernées. En sens inverse, ne peut-on pas déduire de ces premières reconnaissances, qu’une forme de personnalisation écologique serait déjà en marche[141] ?

Contre ces arguments, l’exemple colombien que détaille Marie-Angèle Hermitte[142] est des plus éclairants. A la suite de l’intégration en 2008 dans la Constitution équatorienne de la Nature et de quelques communautés indigènes comme sujets de droits, la Colombie (parallèlement à la Bolivie) a, par une décision du 05 avril 2018[143], ordonné au gouvernement de désigner un représentant au fleuve Atrato reconnu sujet de droit. Ici, explique alors la spécialiste, « la Cour stigmatise l’inefficacité des mesures adoptées dans l’ontologie juridique traditionnelle et en déduit la nécessité de reconnaître la nature comme un « authentique sujet de droits », conformément à une perspective écocentrique (…), de protéger les formes de vie simplement parce que ce sont des entités vivantes et des représentations culturelles, donc des sujets de droit individualisables, tous interconnectés dans la biosphère, ce qui revêt une importance particulière dans le cas colombien du fait du pluralisme culturel et ethnique, et des savoirs des peuples indigènes, reconnus comme gardiens du milieu. Il s’agit donc de mettre en œuvre une nouvelle approche de « droits bio-culturels » fondés sur l’interdépendance entre la nature et l’espèce humaine. Cela oblige à prendre au sérieux le fait que la nature et son environnement requièrent la plénitude des droits accordés aux sujets de droits ». Effectivement, si la reconnaissance d’objet de droit ne suffit plus, celle de sujet s’impose.

Parallèle à la discrimination positive. Nous croyons alors que le meilleur parallèle possible avec cette question est celui des discriminations positives. A titre très personnel, nous sommes très rétifs à leurs mises en avant car, au nom du principe fondamental d’Egalité, nous estimons que toute discrimination – même dite positive et réalisée dans un but louable d’intérêt général – demeure une rupture d’Egalité et conséquemment un échec sociétal[144]. Toutefois, lorsque l’Homme ne réussit pas à changer une situation inégalitaire et qu’il l’amplifie même, lorsque les faits et les actions ne suffisent pas, il peut être « juste » que le Droit accompagne le fait. La nature a besoin ici du Droit car les enjeux économiques et les pratiques humaines sont telles que si le Droit ne fait rien, les choses ne changeront pas ou pas assez vite. Or, l’urgence écologique l’impose. Voilà pourquoi nous sommes persuadé que même si l’on arrivait aux mêmes résultats (de protection et de réparation surtout des dommages subis par des êtres vivants non humains) sans reconnaître la personnalité juridique, cela se produirait sans automaticité et avec des dizaines d’années de combat. La personnalité, elle, apportera des réponses plus rapides et plus sûres.

Technique ou politique ? La question de la personnalité juridique des Arbres est faisable et possible du point de vue technique. Rien ne s’oppose effectivement (à part la peur du changement) à une telle consécration. Le Droit le peut et cela n’entraînerait que quelques modifications législatives et réglementaires. La difficulté n’est donc pas juridique ; le Droit n’étant qu’un ensemble fictionnel, il dispose de ce qu’on veut bien lui demander de disposer. Or, la plupart des juristes, depuis Saleilles, lorsqu’il est question de fictions (comme celle de la personnalité morale) préfèrent nier ou atténuer ce caractère (que nous assumons pleinement quant à nous) en parlant d’une réalité quasi objective que le Droit consacrerait. Alors que Savigny (1779-1861) prônait sans difficulté une théorie fictionnelle ressuscitée du droit romain pour la personnalité morale par exemple, Saleilles – qui trouvait l’idée trop dépendante de la volonté de l’Etat législateur capable de tout reconnaître comme personne juridique (ce qui est effectivement le risque ou la dérive) – préférait rassurer ses lecteurs en invoquant un « principe de réalité » voire une « théorie de la réalité juridique »quasi « institutionnelle[145] » « à la » Hauriou et s’imposant – de façon objective – à chacun (et donc au Droit). La Loi ne créerait pas, selon Saleilles, les personnes morales, elle ne ferait que reconnaître leurs intérêts en les qualifiant de personnes juridiques « véritables ». Le problème – pensons-nous – est au contraire seulement politique[146] (il ne faut donc pas avoir peur des fictions[147]) : tant que nos représentants ne seront pas convaincus de la nécessité d’une reconnaissance de personnalité, elle ne pourra se faire.

Voilà pourquoi une publication comme cet ouvrage est importante (même si – ce qui a été voulu et assumé – tous ces auteurs ne promeuvent pas la même idée) : le débat doit avancer et les arguments (et contre-arguments) être échangés.

« Instituer pour proteger ». En conclusion de cette section, il nous semblait important de rappeler ici cette maxime « Instituer pour protéger » qui fut le titre de la troisième partie de l’ouvrage fondateur dirigé par Edelman & Hermitte (et préc.). En effet, soulignent les coordonnateurs, « Instituer un enfant comme sujet, c’est le faire passer de l’être biologique à l’être social, caractérisé par l’attribution d’une place prédéterminée dans un système généalogique. (…) Jusqu’ici, le droit ne s’était intéressé qu’à la nature domestiquée. C’était le droit de propriété qui permettait de l’appréhender » (op. cit. ; p. 203 et s.). En changeant de points de vue (voire de paradigmes), en acceptant de ne plus voir que l’Homme au centre du Monde et la propriété comme outil absolu et central de ce dernier, on doit pouvoir trouver d’autres solutions pour protéger l’Arbre : par exemple en l’instituant « personne ». Nous ne disons donc pas que tout être vivant doit devenir une personne mais seulement que ceux objets d’une protection particulière (comme l’Arbre) doivent requérir la personnalité juridique précisément comme outil de protection(s). Francesco Ferrara (1810-1900) en Italie, Léon Michoud (1855-1916) & Raymond Saleilles en France, se sont battus en ce sens pour la reconnaissance de la personnalité juridique aux groupements (avec l’idée de personne morale) afin de leur voir reconnaître des droits et des protections. C’est à ce but que le Droit s’est plié et non les faits qui se sont courbés devant une règle humaine.

Reste seulement à se poser la question suivante : la personnalité juridique serait-elle ou est-elle la meilleure forme de protection ? En l’état, nous le croyons[148].

Resumons-nous : l’Arbre peut-il être une personne ? Oui. Oui, mais uniquement si nous le voulons ou l’acceptons. C’est finalement la seule condition (mais c’est la plus difficile car le Droit, lui, en tant que tel n’y met pas d’obstacle infranchissable). Le Droit est un outil au service des hommes et de leurs volontés mais le Droit est là pour protéger les plus faibles (et c’est son intérêt premier car les plus puissants n’en ont a priori pas besoin). Et à l’argument selon lequel les Arbres ne plaident pas, on répond que l’Etat et les sociétés non plus ! Pourtant, le Droit l’a permis lorsqu’il en a compris les enjeux et les intérêts. A l’heure où nous clôturons ce chapitre, des habitants de l’Ohio tentent – dans cette même optique protectrice – d’obtenir la reconnaissance de la personnalité juridique du lac Erié. On leur souhaite d’y parvenir.

III. L’Homme, ami des Arbres,
collaborateur occasionnel du service public ?

« L’Arbre au poète a dit dans le creux de l’oreille
Tu m’as donné la vie je te dois un merci – si tu attends un peu je te fais une fleur
 ».

Touzeil Jean-Claude, « L’Arbre du poète » in Peuples d’Arbres ;
Saint-Meen-le-Grand, Editions Inch’Allah ; 1984 ; p. 36 et s.

La forêt, lieu de peurs hors-la-Loi. Dans l’imaginaire fictionnel, la forêt est fréquemment un lieu de peurs et de frayeurs. Il y fait sombre. La nature s’y exprime sans que l’Homme n’ait parfois réussi à la dompter : elle règne et s’affirme, hors de la civilisation, en toute bestialité (aspect que l’Eglise a particulièrement appuyé). En Droit, le fait que de nombreuses forêts aient été extraites de l’application du droit commun pour être réservées aux Rois (et donc à Dieu) a amplifié ce phénomène de connotation mystérieuse. En ce sens, relevons que l’Enfer de Dante (1265-1321) commence par une introduction forestière ce qui en est un exemple des plus topiques[149] :

« Nel mezzo del cammin di nostra vita mi ritrovai per una selva oscura
ché la diritta via era smarrita.
Ahi quanto a dir qual era è cosa dura esta selva selvaggia
e aspra e forte che nel pensier rinova la paura !
».

Dante (Durante Alighieri dit) in La Divina Commedia (di Dante) ;
Venise, Gabriele Giolito ; 1555, premier chant de l’Enfer (Inferno, canto I).

La forêt y est alors « obscure » et le « droit chemin » en semble perdu. De nos jours encore, plusieurs ouvrages font de la forêt un endroit maudit ou hanté comme dans ce bois vosgien du Cul-de-la-mort que décrivent Pierre Pelot dans sa Forêt muette ou Maxime Chattam dans Le Signal[150]. L’aspect « zone de non-droit » ou « hors-le-droit-commun » se retrouve d’ailleurs de façon contemporaine dans certaines luttes : Sivens, Notre-Dame-des-Landes ces derniers mois en sont d’autres témoignages.

« Que ces forêts offrent d’attraits » …. « Delivrons les forêts de ce monstre odieux » ! « Proteger les mortels, c’est imiter les Dieux : delivrons les forêts de ce monstre odieux ». C’est Jean-Joseph (Cassanea de) Mondonville[151] (1711-1772) qui a mis en musique ces appels (Les Fêtes de Paphos ; Acte I, Scène II, Venus & Adonis) repris par un chœur splendide. L’opéra vient seulement de commencer et, sur l’île chypriote, la scène a débuté dans un bois. Les didascalies qualifient même ce « Bois » de « Forêt » par les mots suivants : « La scène est dans un Bois. Le Théâtre représente une Forêt ». C’est dans cette dernière que tout commence et que tout peut finir comme si les Arbres y étaient synonymes de la naissance de toute vie et de tout espoir. Au début de la scène, Adonis chante ainsi :

« Que ces Forêts offrent d’attraits !
Le guerrier y rappelle – Sa valeur – L’Amant y renouvelle – Son ardeur
 ».

Or, ces forêts sont troublées et menacées par un « monstre odieux » (ce qui n’est pas sans évoquer Humbaba, gardien monstrueux de la forêt des Cèdres dont le roi d’Uruk, Gilgamesh triompha[152]) et il revient aux héros de l’opéra d’en délivrer les lieux. Adonis explique ainsi qu’il va s’y employer et que, partant, s’il réussit en protégeant les humains, il va – comme le Droit parfois – se prendre pour Dieu (ce qui est la plus belle des missions désintéressées : protéger les plus faibles).

« Délivrons les Forêts de ce monstre odieux !
Protéger les mortels – C’est imiter les Dieux – Délivrons les Forêts de ce monstre odieux 
» !

En protégeant les Arbres (qu’il délivre du monstre), Adonis entend aussi protéger les Hommes. Il est alors, comme Elzéard Bouffier, un collaborateur désintéressé agissant pour l’intérêt général. Et, en poussant la comparaison juridique, ne pourrait-on même pas aller jusqu’à considérer le héros de Giono à l’instar d’un collaborateur occasionnel du service public ?

Collaborateur occasionnel du service public ? Qu’est-ce d’abord que cette notion juridique barbare aux yeux du citoyen non juriste ? Selon une jurisprudence désormais établie (et initiée par CE, Ass., 22 novembre 1946, Commune de Saint-Priest-la-Plaine (Rec. 279)), un « collaborateur occasionnel de service public » est un citoyen qui a participé activement – à titre gracieux – et directement à l’exécution d’une mission reconnue de service public et qui, parce qu’il n’est pas un agent public, va bénéficier d’un régime de responsabilité sans faute. Clairement, l’objectif de la notion est effectivement d’appliquer aux citoyens qui aident l’intérêt général (alors qu’ils ne sont pas rémunérés en ce sens) une responsabilité sans faute, basée sur la solidarité, en cas de préjudice subi durant leur participation au service public. En 1897, à propos du « risque professionnel » dont la théorie émane directement, le doyen Hauriou expliquait[153] qu’il s’agit effectivement d’une « théorie originale qui fait honneur au droit public français : les choses se passent comme si l’Etat, en sa qualité de personne morale, gérait une assurance mutuelle contractée entre les administrés contre le risque des accidents administratifs ». Pour ce faire le « collaborateur » doit remplir plusieurs conditions (énumérées ci-avant) et notamment agir effectivement pour le service et non y participer indirectement ou de façon éloignée. Par ailleurs, l’origine de la collaboration (ce qui va nous intéresser tout particulièrement) peut être spontanée et non seulement (comme autrefois) avoir fait l’objet d’une réquisition explicite de l’administration (Cf. CE, Sect., 17 avril 1953, Pinguet (Rec. 177)). Toutefois, et l’on y reviendra, les cas de collaboration spontanée sont souvent basés sur des situations d’urgence. Par ailleurs, pour être ici retenue, la notion devrait impliquer un dommage (et une demande de mise en jeu de la responsabilité publique – a priori non sollicitée d’Elzéard Bouffier) ainsi qu’un service public. Or, la forêt en matérialise-t-elle un ?

Un ou des service(s) public(s) des forêts ou de l’Arbre ? Existe-t-il un service public de l’Arbre ? A priori non ou en tout cas pas formellement et globalement (encore). En revanche, l’un des premiers articles (le L. 112-1) du nouveau Code forestier précise bien que « les forêts, bois et Arbres sont placés sous la sauvegarde de la Nation, sans préjudice des titres, droits et usages collectifs et particuliers » pour ajouter que « sont reconnus d’intérêt général » cinq missions qui peuvent conséquemment se transformer en services publics : « 1° La protection et la mise en valeur des bois et forêts ainsi que le reboisement dans le cadre d’une gestion durable ; 2° La conservation des ressources génétiques et de la biodiversité forestières ; 3° La protection de la ressource en eau et de la qualité de l’air par la forêt dans le cadre d’une gestion durable ; 4° La protection ainsi que la fixation des sols par la forêt, notamment en zone de montagne ; 5° La fixation du dioxyde de carbone par les bois et forêts et le stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique ». De surcroît, l’une des manifestations formelles de la reconnaissance du service public forestier se matérialise en 1964[154] avec la création de l’Etablissement public « Onf » ; ce dernier étant, selon la formule d’Hauriou, un « service public spécial personnifié ». Et, même si l’Onf, comme d’autres établissements, a directement été chargé de plusieurs missions de services publics (administratif (Spa) mais aussi industriel et commercial (Spic)), cela n’a pas empêché le Conseil d’Etat[155] (par un arrêt du 29 avril 1994, Gie Groupétudebois (req. 91549)) d’y retenir précisément non seulement une mission de service public administratif mais aussi des activités commerciales et industrielles. En conséquence, jugea-t-il : le contentieux dont le Tribunal administratif de Paris avait été saisi « ne concernait pas l’activité de protection, de conservation et de surveillance de la forêt, qui relève de la mission de service public administratif dévolue à l’office » mais concernait l’activité « de service public industriel et commercial chargé de la gestion du domaine forestier et de l’équipement des forêts ». Le contentieux en était donc judiciaire. En droit positif, par ailleurs, l’Onf qui avait d’abord était qualifié par d’aucuns d’Etablissement public administratif apparaît bien dans la Loi (art. L. 221-1 du nouveau Code forestier) comme « un établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’Etat ». La première mission de service public visée n’est donc plus administrative. Enfin, l’expression même de « service public » n’apparaît désormais formellement qu’à trois reprises[156] dans le Code et ce, essentiellement à propos de l’Onf ce que l’on pourra regretter (l’idée et les valeurs du service public nous semblant au contraire à rappeler).

Nous croyons par ailleurs (ce que plusieurs auteurs comme M. Liagre[157] et plus récemment en partie M. Radiguet[158] confirment), qu’il serait heureux d’affirmer l’existence a priori d’un vrai service public environnemental propre à la fonction d’intérêt général des Arbres. Il faut lire en ce sens – dans cet ouvrage – le très beau texte sur l’existence d’un « véritable » service public forestier de Mme Clothilde Blanchon.

En outre, à propos de la décision TC, 18 juin 2001, Lelaidier c. Commune de Strasbourg (Rec. 743), on peut être fort surpris de ce que la mission précitée de Spic de l’Onf (celle de gestion forestière) ne soit plus une mission de service public lorsqu’elle est exercée par une autre personne publique et ce, comme si – pour des intérêts purement économiques – on préférait faire disparaître l’intérêt général. Récemment, aux Grandes décisions du droit administratif des biens, la professeure Caroline Chamard-Heim est revenue sur cet état de fait et l’on ne peut qu’acquiescer à son expertise[159] : « Il est vrai qu’existe un paradoxe : la gestion des forêts domaniales et l’application du régime forestier dans les autres forêts publiques sont confiées [à l’Onf], établissement public exerçant à la fois une mission [de Spic et une mission de Spa]. Il est donc un peu (sic) contradictoire de refuser, par principe, la qualification de service public de gestion des forêts, alors que la personne publique qui est précisément en charge de cette gestion, exerce légalement une activité de service public ». Il apparaît alors clairement et malheureusement selon nous qu’au fil de plusieurs jurisprudences et législations, la qualification de service public évolue au détriment de l’intérêt général et environnemental et au profit de la seule considération financière visant à permettre à l’Etat d’assurer des coupes rentables et facilitées de bois. Dans telle affaire ou norme, on osera qualifier la mission de protection et de gestion forestière de Spa puis on indiquera qu’elle est devenue un Spic et parfois même une activité purement industrielle ! Cet empirisme dessert clairement la forêt[160] qui apparaît la plupart du temps, quand elle est publique, appartenir au domaine public (dont elle remplit les critères d’usage direct et d’aménagement de service public) ainsi qu’on l’a rappelé supra à propos de la jurisprudence Abamonte. A quand, appelée de nos vœux, une reconnaissance simple et claire d’un service public forestier ?

Bouffier, collaborateur du service public sylvestre ? La réponse à cette question est davantage un clin d’œil de juriste (raison pour laquelle les propos seront courts) qu’une réelle interrogation. En effet, pour y répondre il faudrait que se matérialise une mise en jeu de la responsabilité publique avec un dommage invoqué par Elzéard. Or, précisément, Bouffier ne demande rien sinon qu’on le laisse tranquille. Il agit, il propose, il vit, il observe mais il ne sollicite ni aide ni ne cherche l’admiration. En conséquence la question de sa qualification juridique en collaborateur éventuel du service public est bien seulement théorique. Quoi qu’il en soit… Sommes-nous en présence d’un service public ? Assurément, non seulement parce qu’il existe selon nous de façon générale un service public forestier (Cf. supra) mais encore parce que dans le texte de Giono, la présence publique est matérialisée et le « service public » officiel des forêts est effectivement mentionné explicitement lorsque l’auteur narre la venue, en 1935, d’une « véritable délégation administrative » notamment composée d’un « grand personnage des Eaux et Forêts » c’est-à-dire d’un représentant de l’actuel Onf qui décida avec d’autres de mettre « la forêt sous la sauvegarde de l’Etat » ce qui est effectivement l’une des missions du service public forestier de l’Office National. Nous voilà donc fixé : il existe bien un service public forestier (celui de l’Onf) même si la « forêt naturelle » n’a pas été originellement placée sous la protection publique mais l’a seulement été par suite. En ce sens, tout forestier public (comme le « capitaine forestier », ami du narrateur) est-il bien un agent du service public et ce, dans ses missions[161] de surveillance, de protection, de coupe, de (re)plantation, etc.

Quid (diront les juristes) d’Elzéard Bouffier ? « C’était un berger » nous renseigne Giono mais ce berger pouvait-il aussi être considéré comme collaborateur occasionnel du service public forestier du fait de son action ? Existe-t-il un service public forestier ? Oui ! Dans ce service explicitement reconnu par les agents des Eaux & Forêts (même a posteriori), la mission de Bouffier le faisait-il participer directement, bénévolement et effectivement au service public ? Oui, sans conteste, notre héros plantait et replantait, sélectionnait les meilleurs fruits, optimisait ses plants, les surveillait, etc. Il était véritablement un agent ou fonctionnaire « de fait » mais non « de droit » pour reprendre une autre notion connue des juristes. Cela dit, si l’on a rappelé supra qu’un collaborateur occasionnel de service public peut se voir qualifier comme tel même en ayant agi de façon spontanée et non sur demande publique, il faudrait ici soutenir que Bouffier n’avait pas d’autre choix au nom d’une urgence. Or, si nous sommes convaincu, à titre personnel et certainement comme Giono et Touzeil (père), de l’urgence environnementale à planter et à replanter, il est moins sûr que l’administration et son juge en soient également assurés. Par ailleurs, Bouffier agit aussi contre la désertification, ses plantations ramenant la vie à Vergons ce que relève avec précisions le beau texte de Mme Fassi de Magalhaes au présent ouvrage.

Jean-Claude Touzeil, un Bouffier incarne ? On sait que Bouffier n’a pas existé (ce qui a même été longtemps préjudiciable à Giono ; d’aucuns le considérant alors comme un imposteur) mais en revanche le poète Jean-Claude, lui, existe et a bien existé. Et des Arbres il en a sûrement autant planté qu’offert. Des chênes, notamment, comme pour Bouffier ont été semés et / ou replantés par Jean-Claude dans de multiples recoins du bocage normand et son action dans l’association préc. « 50.000 chênes » ne manque pas d’achever la comparaison qui s’impose. Finalement, Jean-Claude est à nos yeux l’incarnation d’Elzéard, un homme bon, ne parlant pas inutilement et ayant pour la nature et les Arbres une passion et un respect incommensurables. On comprend alors son affection pour le garde forestier Hippolyte Foinet (1876-1956) qui a vu son prénom (celui du chêne Hippolyte) donné à l’un des plus remarquables Arbres de la forêt des Andaines (à Saint-Michel-des-Andaines près du carrefour dit de l’Epinette). Demain, on espère donc qu’un puissant ginkgo biloba prenne le prénom de Jean-Claude et ce ne sera que Justice.

Du droit de se promener avec les Arbres. En guise de conclusion, on souhaiterait attirer l’attention du lecteur sur les droits et les devoirs du promeneur en forêt(s) et parmi les Arbres ; droits et devoirs sur lesquels notre collègue Loïc Peyen est revenu avec conviction (naturaliste et comparatiste) dans sa très belle contribution au présent ouvrage. Oui, il faut se promener en forêts. Oui, il faut aller admirer et saluer les Arbres. Plus nous le ferons et plus leur cause sera entendue. C’est évidemment à nous d’agir – outre ce livre – pour que la parole des Arbres (avant leur personnification souhaitée) se matérialise. A ce titre, et pour l’anecdote finale, nous sommes heureux avec quelques étudiants (Mmes Godel et Mytnik ainsi que M. Gausserand) et avec le concours de Mme Eude, d’avoir obtenu de la mairie de Sainte-Menehould en fin d’année 2018 l’abrogation de son arrêté municipal (n°327/2018 en date du 01 octobre 2018) interdisant la promenade en forêt au nom d’un droit de chasse prioritaire. Le droit de promenade y est désormais consacré !

« + Bisous ».

Jean-Claude Touzeil,
à la fin de chaque lettre, courriel, petit mot,
post-it, etc. adressé à ses deux enfants préférés.


[1] Il faut lire à cet égard : Arrouye Jean, « De l’imposture littéraire à la posture métaphysique : L’homme qui plantait des Arbres de Jean Giono » in L’imposture dans la littérature ; Angers, Pur ; 2011 ; p. 205 et s. Il existe de très nombreuses éditions de la nouvelle (qui a longtemps été libre de droits). Notre préférée (parce qu’elle contient deux images extraordinaires de Joëlle Jolivet) est la suivante (elle sera ici la référence citée) : Giono Jean, L’homme qui plantait des Arbres ; Paris, Gallimard Jeunesse ; 2010.

[2] Giono Jean, « The man who planted hope » in Vogue International ; 1954, 15 mars ; p. 108 et s. paru également in The World in Vogue ; 1963 ; New-York, Viking Press ; p. 308 et s.

[3] Par ailleurs, le présent ouvrage a même été présenté au public officiellement le 30 mars 2019 au cours d’une cérémonie organisée à Manosque, au Paraïs, dans la maison même de Jean Giono.

[4] Etymologiquement, le patronyme Touzeil n’est d’ailleurs pas éloigné de la vie végétale. Il s’agit d’un blé… sans barbe (ce qui est « au poil » lorsque l’on sait que depuis un lustre au moins Jean-Claude ne s’est pas rasé) !

[5] L’association (présentée ici : http://jenolekolo.over-blog.com/article-24144413.html) a vocation non seulement à faire vivre et revivre le bocage (par des plantations continues d’Arbres appartenant à l’espèce Quercus des chênes) mais a aussi (ce qui n’étonnera personne lorsque l’on connaît Jean-Claude) connu une dimension sociale par la mise en avant de travailleurs en difficultés. Par ailleurs, avec l’objectif fièrement annoncé de (re)planter « 50 000 chênes » (soit autant que ce que Guillaume le Conquérant aurait fait abattre en Normandie pour constituer sa flotte et cinq fois plus que les « 10 000 chênes » générés par Elzéard Bouffier (op. cit ; p. 21), l’association prône un but qui la dépasse et défie les temps humains pour adopter ceux des Arbres : c’est pour les générations futures qu’elle agit. Depuis les années 2000, même, se compose grâce à elle un « arboretum éclaté » sur les différentes communes situées autour de (l’ancien) établissement public de coopération intercommunale dont la commune d’Athis-de-l’Orne est le siège. Ces espèces sont étiquetées, présentées au public : magnifiées.

[6] Http://biloba.over-blog.com/.

[7] En 2016, il reçoit ainsi le prix Georges Perros et, depuis 2018, c’est même son patronyme qui a été associé au prononcé d’un prix de poésie.

[8] Touzeil Jean-Claude, Peuples d’Arbres ; Saint-Meen-le-Grand, Editions Inch’Allah ; 1984 pour la 1ère édition rééditée par suite aux Editions Donner à Voir en 1990, 1997 et 2009.

[9] Ce qui aurait pu justifier l’intégration du présent opus au sein de la collection « rouge » dédiée : l’Unité du Droit (série ayant vocation à rassembler des ouvrages transcendant les frontières académiques) à la suite par exemple de l’ouvrage sur le(s) droit(s) du Bio (2018) reprenant les actes du colloque du 23 mars 2017.

[10] « Livre de Nehemie » in Traduction Œcuménique de la Bible ; Paris, Cerf ; 1988 ; chapitre 02, verset 08 (Tome I, p. 1748).

[11] Harrison Robert, Forêts, essai sur l’imaginaire occidental ; Paris, Flammarion ; 1992 (pour la version française) et Forests, the shadow of Civilization ; Londres & Chicago, The University of Chicago Press ; 1992.

[12] Op. cit. ; p. 83 et s.

[13] C’est en effet le terme « nemus » qui a d’abord signifié la forêt en latin.

[14] Inventaire forestier national (Onf).

[15] En ce sens, voyez l’article de Martine Valao au Monde du 09 novembre 2018 (p. 13) : « L’impact de la France sur la déforestation mondiale ».

[16] Stone Christopher, « Should Trees Have Standing ? Toward Legal Rights for Natural Objects » in Southern California Law Review ; 1972, vol. 45 ; n°02 ; p. 450 et s. Depuis, l’article a rencontré le succès aux Etats-Unis comme en France et a connu plusieurs éditions dont : Should Tree Have standing ? Law, Morality and the Environnement ; Oxford, Oxford University Press ; 2010 (3e éd.) & (en français) Les Arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Vers la reconnaissance de droits juridiques aux objets naturels ; Paris, Le passager clandestin ; 2017. C’est cette dernière édition qui sera ici utilisée.

[17] Wohlleben Peter, La vie secrète des Arbres ; ce qu’ils ressentent ; comment ils communiquent ; Paris, Les Arènes ; 2017 (pour la version française ; la version originale allemande datant de 2015). Signalons, par ailleurs, la parution suivante de deux très intéressantes éditions de ce bestseller : une édition dite intégrale en grand format et richement ornée de photographies couleur (Paris, Les Arènes ; 2018) ainsi qu’une édition destinée aux plus jeunes : Ecoute les Arbres parler ; à la découverte de la forêt ; Paris, Michel Lafont ; 2017.

[18] A l’époque le terme de domaine public comme notion juridique à part entière n’existe pas vraiment d’où notre préférence pour celui de domaine de la Couronne.

[19] Op. cit. ; p. 111 et s.

[20] Dont la plus célèbre faisant autorité est a priori celle datée de 1615 : Manwood John, A treatise of the lawes of the forest : wherein is declared not onely those lawes, as they are now in force, but also the originall and beginning of forests : and what a forest is in his owne proper nature, and wherein the same doth differ from a chase, a parke, or a warren (…) ; Londres, Societie of Stationers ; 1615. Une édition posthume et augmentée de 1665 est également souvent citée.

[21] Ce sur quoi revient : Harris William, « Bois et déboisements dans la Méditerranée antique » in Annales. Histoire, sciences sociales ; 2011, n° 1, p. 105 et s.

[22] Perrier Roland, Législation des forêts (soumises au Régime forestier) ; Nancy, Ecole nationale du Génie rural, des eaux et des forêts ; 1966 (deux vol.) dans la collection « Métier forestier » ; Tome I, p. 04.

[23] Marguenaud Jean-Pierre, L’expérimentation animale, entre droit et liberté ; Versailles ; Quae ; 2011.

[24] Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, 19 avril 1972, Sierra Club v. Rogers Clark Ballard Morton, Secretary of the Interior & alii ; 405 U.S. 727.

[25] Labrusse-Riou Catherine, « La vérité dans le droit des personnes » in L’Homme, la nature et le droit ; Paris, Bourgois ; 1988 ; p. 166 et s.

[26] C’est aussi l’idée qui nous a poussé à confier à Mme Eude la rédaction de travaux de doctorat (en cours).

[27] Sur le second aspect, voyez par exemple : Le droit de la forêt au XXIe siècle ; Paris, L’Harmattan ; 2017.

[28] Parmi laquelle on retiendra : Martin Guillaume, Recueil des ordonnances générales faictes par les roys de France sur le faict des eaues et forests, avec aucuns arrests, jugements et réglements conformes à icelles observés en la pluspart des forests de ce royaume, mesme au duché d’Orléans… des ordonnances générales des Eaux et Forêts ; Orléans, Gibier ;1582 ;Chauffourt Jacques (de), Instruction sur le fait des Eaux et Forêts ; Rouen, Petit Val ; 1602 ; Sainct-Yon Louis (de), Edicts et Ordonnances des Rois, coutumes des provinces, arrêts et jugements notables des Eaux et forêts ; Paris, Langelier ; 1610 ; Rousseau Claude, Edicts et Ordonnances, Arrests et réglemens des Eaux et Forests ; Paris, Louyson ; 1633.

[29] L’apport de Colbert au Droit est exceptionnel sinon vertigineux. Il mériterait notamment de véritables et nouvelles études doctorales juridiques (qui ne nieraient pas son implication dans l’organisation de l’esclavage colonial). On lui doit énormément ainsi qu’en témoigne par exemple sa maîtrise des monopoles juridiques et économiques comme celui des savonniers. En ce sens : Touzeil-Divina Mathieu, Lami Arnaud, Combes Clothilde & Gonnet Jade, « Droit, « Bio » & huile(s) d’olive : le cas du savon de Marseille » in Droit(s) du Bio ; Toulouse, L’Epitoge ; 2018 ; p. 135 et s. Par ailleurs, signalons la publication de l’extraordinaire catalogue d’exposition (tenue à la Monnaie en 1983) suivant : Colbert (1619-1683) ; Paris, Archives de France & Bnf ; 1983.

[30] Sur cette évolution séculaire, on conseille la lecture de : Morin André-Georges, « La continuité de la gestion des forêts françaises de l’ancien régime à nos jours, ou comment l’Etat a-t-il pris en compte le long terme » in Rfap ; 2010 ; n°134 ; p. 233 et s.

[31] Le second, en 1376, prit également une ordonnance importante réglementant notamment l’usage des « tocottes », ces marteaux forestiers destinés à marquer les Arbres d’une empreinte afin d’y imprimer un choix (comme une coupe projetée à vendre, un abattage ou un soin particulier par exemple sur des « chablis », ces Arbres abîmés (déracinés, fracturés, etc.)). Ainsi que l’explique Joseph Baudrillart en son Traité général des eaux et forêts (Paris, Bertrand ; 1825 ; Tome II, p. 365), ce marteau forestier dont l’ordonnance de 1669 va codifier les emplois « porte d’un côté une masse sur laquelle est gravée une empreinte, et de l’autre côté un tranchant ou espèce de hachette qui sert à emporter un morceau d’écorce sur l’Arbre qui doit recevoir l’empreinte. Il est emmanché comme une hachette ordinaire. On fait avec le tranchant de la hachette une entaille dans l’écorce, et qui va jusqu’au bois ; elle se fait en portant d’abord un coup à la partie inférieure, puis un autre coup à la partie supérieure, et en faisant sauter l’écorce d’un demi-tour de main. Cette entaille, qu’on appelle aussi miroir, ou plaquis ou placage, ne doit avoir que les dimensions nécessaires pour recevoir l’empreinte du marteau. Après avoir enlevé l’écorce, on frappe l’Arbre avec le côté du marteau portant l’empreinte ». Les tocottes à l’instar d’objets d’imprimerie contiennent ainsi plusieurs chiffres et lettres (comme « AF » pour « Administration Forestière » sur les « marteaux d’Etat » (sic) et souvent les initiales de leurs propriétaire) afin de donner des instructions lisibles par tous les agents forestiers.

[32] Bourgenot Louis au catalogue d’exposition préc. ; op. cit. ; p. 175 et s.

[33] « Une admirable réforme administrative. La grande réformation des forêts royales sous Colbert (1661-1680) » aux Annales de l’Ecole nationale des Eaux et Forêts et de la station de recherches et expériences ; Paris, Tome XIX ; 1962 ; p. 169 et s.

[34] Caron Claude, Traité des Bois, servans (sic) à tous usages, contenant les ordonnances du Roy touchant les règlemens (sic) des bois, leurs proprietez, nature & difference (…) ; Paris, Chez l’auteur (sic) ; 1676.

[35] Plusieurs ouvrages, souvent très techniques, émanent des professeurs et agents de cette Ecole depuis 1824. Parmi ceux-ci, citons par un ingénieur du Génie rural, des eaux et des forêts : Perrier Roland, Législation des forêts (…) ; op. cit.

[36] Cf. notamment la Loi (51-516) du 08 mai 1951, le décret (79-113) du 25 janvier 1979 ou encore l’ordonnance (2012-92) du 26 janvier 2012.

[37] Et ce, à propos d’un remarquable Filaire planté au cœur de la commune. Interview de Georges Ravoire in La Dépêche (de Toulouse) ; 24 juin 2018 ; p. 25.

[38] L’un des premiers colloques à s’être intéressé aux liens entre Arbres et Droit en fait un sujet d’importance avec plusieurs contributions relatives auxdites responsabilités encourues. Cf. L’Arbre et la Loi ; actes du colloque de la société française d’arboriculture ; Paris, Sfa ; 1999.

[39] Sur l’auteur et sa doctrine, on se permettra de renvoyer aux ouvrages issus de nos travaux de doctorat et notamment à : Touzeil-Divina Mathieu, Le doyen Foucart (1799-1860), un père du droit administratif moderne ; Paris, Lgdj ; 2019 (en cours).

[40] Eléments de droit public et administratif ; Paris, Maresq ; 1855 ; 4e édition ; Tome II ; § 864 et s.

[41] La question n’était pourtant pas encore considérée comme d’importance constitutionnelle.

[42] Eléments préc. … ; 4e édition ; Tome III ; § 1660.

[43] D’où la précitée « guerre des demoiselles ».

[44] C’est-à-dire le « droit de se faire délivrer des Arbres destinés à la réparation et construction des bâtiments ».

[45] Touzeil-Divina Mathieu, Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017 ; p. 36.

[46] Cf. CE, 02 mai 2018, Commune de Chanaleilles (req. 392497) avec nos obs. au Jcp A ; 22 mai 2018 ; n°20.

[47] Il en est de même – dans les Arbres – avec la catégorie de fruits récemment réexaminée par : Jaoul Mélanie, La notion de fruits : étude de droit privé ; Paris, Defrénois, 2018.

[48] Il en est ainsi du bois (domaine public) de Boulogne que célèbre (sans jeux de mots déplacés) l’arrêt : CE, Sect., 23 février 1979, Gourdain (req. 04467) in Ajda 1979 ; p. 40.

[49] C’est l’hypothèse – aussi célèbre en jurisprudence – de l’allée dite des Alyscamps (c’est-à-dire des Champs-Elysées en provençal) à Arles : CE, Ass., 11 mai 1959, Dauphin (Rec. p. 294).

[50] Ces dernières étant, par définition et depuis des siècles désormais, soumises au « régime forestier » du Code éponyme ainsi que le rappelle par exemple l’art. L. 2211-1 Cg3p.

[51] Et ce, par exemple, dès l’article « forêt » rédigé par Charles Le Roy (conservateur du parc du château de Versailles) dans l’Encyclopédie de Diderot. On retrouve la même idée explicitement formulée par Merlin de Douai : « Les bois de peu d’étendue sont-ils compris dans la les Lois, sous la dénomination de forêts ? » in Recueil alphabétique des Questions de droit (…) ; Paris, Garnery, 1820 ; 3e éd. ; Tome III ; p. 234.

[52] TA de Lyon, 13 octobre 1983, Brevet.

[53] A cet égard, on se permettra de renvoyer au chapitre 3 de nos Dix mythes du droit public ; Paris, Lgdj ; 2019.

[54] Par la combinaison connue des deux arrêts du Conseil d’Etat des 28 juin 1935 (dit Marecar) & 19 octobre 1956 (Sté Le Béton).

[55] Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.

[56] CE, Sect., 28 novembre 1975, Office National des Forêts (Onf) c/ Abamonte et Cpam de la Haute-Saône : Rec. p. 602 ; req. 90772.

[57] Sur cette question : Lavialle Christian, « Remarques sur le classement des forêts publiques dans le domaine privé » in Mélanges en l’honneur de Pierre Bon ; Paris, Dalloz ; 2014 ; p. 945 et s.

[58] « Font également partie du domaine privé : 1° Les chemins ruraux ; 2° Les bois et forêts des personnes publiques relevant du régime forestier ».

[59] Les Arbres de la liberté ; Paris, Actes Sud ; 1989.

[60] Ibidem.

[61] Cf. arrêté du 28 pluviôse an VI (16 février 1798).

[62] A propos de laquelle on est revenu au premier chapitre de l’ouvrage préc. sur les mythes du droit public.

[63] Eléments préc. ; 4e édition ; Tome II ; § 865 et s.

[64] En 1522 puis en 1552, des ordonnances citées par Foucart avaient ainsi prescrit « à tous seigneurs hauts justiciers, et à tous manants et habitants des villages et paroisses, de faire planter le long et sur le bord des grands chemins publics, dans les lieux qu’ils jugeraient à propos et commodes, des ormes » (Eléments … ; 4e édition ; Tome III ; § 1255). En 1579, une autre ordonnance, signée à Blois, précisait qu’il s’agirait surtout d’essences comme les « ormes, noyers ou autres, selon la nature et la commodité du pays ». 

[65] Eléments préc. ; 4e édition ; Tome III ; § 1264.

[66] Ibidem.

[67] Eléments préc. ; 4e édition ; Tome III ; § 1265 et s.

[68] Eléments préc. ; 4e édition ; Tome III ; § 1262.

[69] Dont la n°89-64 du 10 octobre 1989 relative aux plantations le long des routes nationales.

[70] Ibidem.

[71] Dans ces écrits Daphne devient ainsi Laurier (I, v. 452 et s.) et Cyparissus un Cyprès (X, v. 106 et s.).

[72] Par exemple exprimée dans la récente thèse de Saurat Jessica, L’Arbre et le droit ; Université de Montpellier ; 2017 suivant celle de : Le Meignen Benoît, La forêt, objet de droit administratif ; Université d’Aix-Marseille ; 2009.

[73] Il faut lire en ce sens : Dross William, Les choses ; Paris, Lgdj ; 2012 ; p. 342 et s. notamment.

[74] Demogue René, « Le sujet de droit » in Revue trimestrielle de droit civil ; 1909 ; p. 611.

[75] Op. cit.

[76] Il s’agit de la célèbre opinion dissidente du juge William Orville Douglas à la suite de la décision de la Cour suprême précitée dans l’affaire Sierra Club v. Morton.

[77] Notamment in Hermitte Marie-Angèle & Edelman Bernard (dir.), L’Homme, la nature et le droit ; Paris, Bourgois ; 1988.

[78] Serres Michel, Le contrat naturel ; Paris, Bourin ; 1990.

[79] L’édition anglaise de Forests, the shadow of Civilization lui est d’ailleurs dédiée.

[80] Ferry Luc, Le nouvel ordre écologique ; l’Arbre, l’animal et l’homme ; Paris, Grasset ; 1992.

[81] Goyard-Fabre Simone, « Sujet de droit et objet de droit ; défense de l’humanisme » in Cahiers de philosophie politique et juridique ; Puf ; 1992, n°22 ; p. 07 et s.

[82] Ost François, La Nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit ; Paris, La Découverte ; 1995.

[83] Thomas Yann, « Le droit, la nature et la politique. Sur la critique contemporaine du sujet de droit » in Le Débat ; 1998 ; n°100, p. 85 et s.

[84] Le Louarn Patrick, « L’Arbre de l’objet naturel à l’objet juridique » in actes du colloque régional de l’Arbre ; 2011 (en ligne sur : http://www.arbres-remarquables-bretagne.org/pages/media/conference.pdf).

[85] Giudicelli-Delage Geneviève & Martin-Chenut Kathia, « Humanisme et protection de la nature » in L’environnement et ses métamorphoses ; Paris, Hermann ; 2015 ; p. 227 et s.

[86] Hermitte Marie-Angèle, « A chaque objet son sujet ! Les révolutions juridiques de la relation homme-nature » en cours de parution.

[87] L’auteure définissant l’animisme juridique comme « les différentes manières qu’a le Droit d’animer le monde, c’est-à-dire de faire produire des effets au fait que toute entité vivante a des besoins qui s’étendent au monde physico-chimique dont elle dépend ». En ce sens : Hermitte Marie-Angèle & Chateauraynaud Francis, Le droit saisi au vif. Sciences, technologies et formes de vie ; Paris, Pétra ; 2013 ; p. 93 et s. Dans ses différents écrits, Mme Hermitte propose par suite la catégorisation de trois formes d’animismes juridiques : à consonance indigéniste, à consonance religieuse ou mystique et à consonance et base scientifiques.

[88] A l’exception partielle de la Suisse.

[89] Saleilles Raymond, De la personnalité juridique ; Paris, Rousseau ; 1910 ; 1ère leçon ; p. 10.

[90] Kohn Eduardo, Comment pensent les forêts ? Vers une anthropologie au-delà de l’humain ; Paris, Zones sensibles ; 2017.

[91] Op. cit. ; p. 292.

[92] Coccia Emanuele, La vie des plantes ; Paris, Rivages ; 2016.

[93] Hermitte Marie-Angèle, « Artificialisation de la nature et droit(s) du vivant » in Les natures en question (…) ; p. 260 et s.

[94] Edelman Bernard, « Critique de l’humanisme juridique » in L’Homme, la nature et le droit ; Paris, Bourgois ; 1988 ; p. 287 et s.

[95] Mytting Lars, L’homme et le bois ; Paris, Gaia ; 2016.

[96] Harrison Robert, Les Morts ; Paris, Pommier ; 2003.

[97] Hardin Garret, « The Tragedy of the Communs » in Science ; 1968 ; Vol. 162, n°3859 ; p. 1243 et s. Nous pensons quant à nous que la seule tragédie humaine en cause n’est pas celle des communs mais bien celle de l’individualisme humain. A pari : Propriété et communs ; idées reçues et propositions ; Paris, Utopia ; 2017.

[98] Dans ses conférences de 1911 à Buenos Aires, citées par Jean-Louis Halperin au Dictionnaire des biens communs ; Paris, Puf ; 2017 ; p. 559 et s.

[99] Coriat Benjamin (dir.), Le retour des communs, la crise de l’idéologie propriétaire ; Paris, Les liens qui libèrent ; 2015 & Parance Béatrice & de Saint-Victor Jacques (dir.), Repenser les biens communs ; Paris, Cnrs ; 2014.

[100] Cf. Les biens communs environnementaux : quel(s) statut(s) juridique(s) ? ; Limoges, Pulim ; 2017.

[101] Op. cit. et, du même, Retour au Contrat naturel ; Paris, Bnf ; 2000.

[102] Dans l’ouvrage préc. Retour au Contrat naturel ; op. cit. ; p. 24.

[103] Les ouvrages précités de Wohlleben sont quelquefois présentés comme tels et l’édition pour enfants (op. cit. ; p. 09 et s.) en est un témoignage topique : « l’Arbre a un corps gigantesque qui tout comme le tien, est composé de différentes parties. Il possède ce qui ressemble à des os, des veines et une peau ».

[104] Baudry-Lacantinerie Gabriel, Traité théorique et pratique de droit civil ; Paris, Sirey ; 1899 ; 2nde éd. ; Tome V, « des biens » ; p. 19 puis p. 41 et s.

[105] Domat Jean, Les Lois civiles dans leur ordre naturel ; Luxembourg, Chevalier ; 1702 ; Tome I ; p. 17.

[106] TA de Marseille, ord., 09 septembre 2016, Ass. Adie & alii. (req. 1606640).

[107] Caa de Marseille, ord., 10 avril 2017, Commune d’Aix-en-Provence (req. 16MA03776) avec une note Boul Maxime, « L’Arbre, une nouvelle branche de bien public » in Ajda ; 2017 ; p. 2324 et s.

[108] Remond-Gouilloud Martine, « Le prix de la nature » in Recueil Dalloz ; 1982, 5e cahier.

[109] Https://www.francetvinfo.fr/sante/environnement-et-sante/ce-n-est-pas-une-usine-a-bois-
des-forestiers-manifestent-dans-l-allier-contre-l-industrialisation-de-la-foret_3003685.html.

[110] CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole (req. 417580) in Jcp A, 11 juin 2018 ; n° 23, p. 06 et s. avec nos observations : « Quand l’environnement et les questions sociales s’effacent au profit du droit de la concurrence ».

[111] L’histoire ne dit pas, en 2019, si ces peupliers sont encore en vie.

[112] Par exemple, en Haute-Garonne, pour cet extraordinaire magnolia planté par les belles-sœurs de la Comtesse du Barry a priori en 1784 et que l’on peut encore admirer au cœur de l’Ecole d’ingénieurs de Purpan.

[113] Continué notamment par : Neyret Laurent, « Construire la responsabilité écologique » in Prendre la responsabilité au sérieux ; Paris, Puf ; 2015 ; p. 127 et s.

[114] C’est là l’application de la jurisprudence CE, Sect., 10 mai 1974, Denoyez & Chorques (req. 88032).

[115] Ce fut l’hypothèse de Mme Remond-Guilloud dès 1982 dans son article préc. (op. cit. ; p. 215 et s.).

[116] Michoud Léon, La théorie de la personnalité morale (…) ; Paris, Lgdj ; 1906 ; I ; n°48.

[117] Pour la version française préc. de 2017 ; p. 46.

[118] Kohn Eduardo, Comment pensent les forêts ? ; op. cit.

[119] En ce sens, Wohlleben parle quant à lui d’une forme de « Justice distributive » ; op. cit. ; p. 28.

[120] Au chapitre : « le langage des Arbres » ; op. cit. ; p. 19 et s.

[121] Cf. https://www.monicagagliano.com/.

[122] La vie des plantes ; op. cit. ; particulièrement p. 99 et s. pour sa belle « théorie de la racine ».

[123] Il faut lire à ce propos les exemples réunis par Suzanne Antoine dans son Rapport sur le régime juridique de l’animal ; Paris, Ministère de la Justice ; 2005.

[124] La France, quant à elle, est encore cantonnée (même après l’entrée en vigueur de la Loi du 16 février 2015) à ne reconnaître l’animal qu’à l’instar d’un être « doué de sensibilité »mais toujours qualifié juridiquement de chose et même de bien.

[125] Op. cit. ; p. 329 de l’édition préc. illustrée.

[126] La personnalité juridique de l’animal ; l’animal de compagnie ; Paris, LexisNexis ; 2018. Laurent Pennec y propose notamment un régime de protection assimilable à celui des incapables et cette solution serait tout à fait applicable aux Arbres.

[127] A ce propos : Chauvet David, La personnalité juridique des animaux jugés au Moyen-Age ; Paris, L’Harmattan ; 2012.

[128] Larrere Catherine, « Préface » in Les Arbres doivent-ils pouvoir plaider ; op. cit. ; p. 16.

[129] Op. cit. ; p. 48.

[130] Aux pages 09 et s. de l’édition de poche (Paris, Grasset ; 1992).

[131] Op. cit. ; p. 23.

[132] Op. cit. ; p. 147 et s.

[133] Op. cit. ; p. 207 et s.

[134] On reprend ici des éléments publiés au dernier chapitre des Dix mythes préc. du droit public.

[135] C’est l’hypothèse que nous avons défendue (avec Mme Bouteille-Brigant) de la personnification juridique du cadavre et que nous avons par exemple exposée au Traité des nouveaux droits de la mort ; Le Mans ; L’Epitoge ; 2014.

[136] Renard Georges, Théorie de l’institution, essai d’ontologie juridique ; Paris, Sirey ; 1930, Tome I ; p. 331.

[137] Op. cit ; p. 29.

[138] Op. cit ; p. 73.

[139] Op. cit ; p. 81.

[140] Ost François, La Nature hors la loi (…) ; op. cit. ; p. 306 et s.

[141] Le 22 décembre 2018, le journal Le Monde proposait dans ses colonnes un « plaidoyer pour la forêt » de Catherine Vincent qui témoigne de la progression, dans la société, des idées que nous défendons ici.

[142] Au § A du II de « A chaque objet son sujet ! » ; op. cit.

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[144] Nous nous sommes exprimé en ce sens au Dictionnaire de droit public interne ; op. cit. ; p. 132 et s.

[145] C’est aussi l’avis de : Mancini Anna, La personnalité juridique dans l’œuvre de Raymond Saleilles ; Paris, Buenos Books ; 2007.

[146] Alain Papaux dans l’ouvrage préc. sur l’animal de compagnie en arrive à la même conclusion.

[147] Dans ses leçons préc. (op. cit ; p. 366 ; leçon XVI), Saleilles rédige à ce propos ce passage savoureux pour expliquer, en bon privatiste, toute la haine qu’il a des fictions : « Telle est la théorie de la fiction. Ce n’est pas une théorie de droit privé. C’est une thèse de droit public dissimulée sous des concepts de droit privé (sic). Les civilistes ont été dupes des théoriciens du droit public ». Vive l’Unité du Droit ?

[148] Pour une réflexion générale sur les formes de protections : Larrère Catherine & Raphaël, Penser et agir avec la nature (…) ; Paris ; La Découverte ; 2015.

[149] On s’est ici basé sur la première version imprimée (1555) sous le titre osé de Divina Commedia ; la première version imprimée datant de 1472 (sans le célèbre adjectif) et les manuscrits étant établis entre 1307 et 1321. La traduction offerte des premiers vers est souvent depuis Lammenais : « Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvais dans une forêt obscure. Ah ! qu’il serait dur de dire combien cette forêt était sauvage, épaisse et âpre, la pensée seule en renouvelle la peur ».

[150] Chattam Maxime, Le signal ; Paris, Albin Michel ; 2018 et Pelot Pierre, La forêt muette ; Paris, Albin Michel ; 1982.

[151] Sur un livret (concernant l’Acte I) de Jean-Baptiste Collet de Messine.

[152] Il faut lire à ce propos le chapitre que Robert Harrison y consacre dans ses Forêts ; op. cit. ; p. 35 et s.

[153] Note au Sirey 1897.III.33.

[154] Par la Loi de finances rectificative n64-1278 du 28 décembre 1964.

[155] CE, 29 avril 1994, Gie Groupétudebois (req. 91549).

[156] Respectivement aux articles L. 221-3, 222-7 & 331-19 du nouveau Code forestier.

[157] Liagre Jacques, La forêt et le droit ; Paris, La Baule ; 1998.

[158] Radiguet Rémi, Le service public environnemental ; Toulouse, Université Toulouse 1 Capitole ; 2016.

[159] Commentaire sous TC, 18 juin 2001, Lelaidier c. Commune de Strasbourg in Grandes décisions du droit administratif des biens ; Paris, Dalloz ; 2015, 2nde éd. ; p. 408.

[160] On croit lire à demi-mots une critique a pari in : Morand-Deviller Jacqueline, Bourdon Pierre & Poulet Florian, Droit administratif des biens ; Paris, Lgdj ; 2018, 10e éd. ; p. 358 et s.

[161] Il faut lire ou au moins parcourir le très beau Traité d’exploitation commerciale des bois (1906-1908)d’Alphonse Matey, ancien inspecteur des Eaux et des Forêts, pour se rendre compte de l’amour des forestiers pour les Arbres et de l’ensemble des missions de la très grande majorité des agents dévoués de l’Onf.

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