Le présent texte paraîtra en partie au JCP A (prochaine édition) :

CE, Ass., 24 juin 2014, Famille Lambert (req. 375081 et autres)

Ultima necat ? Quatrième décision « Lambert » en six mois : non à l’acharnement ?

Dieu (s’il existe) qu’il est difficile de commenter en quelques lignes et « à chaud » une pareille décision aussi médiatique et proposant de résoudre des questions non seulement juridiques mais touchant également à des secteurs humains, éthiques et scientifiques. Le texte commenté que nous avons qualifié dans notre titre de – déjà – quatrième décision « Lambert » vient en effet succéder à trois premiers actes juridictionnels et à un acte administratif médical contesté : celui du 11 janvier 2014 par lequel un chef de service du CHU de Reims a décidé de mettre un terme à l’alimentation et à l’hydratation d’un patient tétraplégique – placé dans un état dit pauci-relationnel et recevant une alimentation et une hydratation artificielles – ce qui aurait inévitablement conduit au décès de ce dernier. A la suite de cela, quelques membres de la famille du patient ont saisi en référé le TA de Chalons (art. L 521-2 CJA) qui, par une ordonnance du 16 janvier 2014, (présentée par nos soins dans ces mêmes colonnes) a décidé de suspendre l’acte litigieux (ce que ce même TA avait déjà ordonné le 11 mai 2013). En réponse à l’appel formé contre l’ordonnance châlonnaise, le CE a réagi en trois temps et trois décisions successives : le 06 février 2014, il a aménagé – du fait des circonstances exceptionnelles – l’office habituel du juge des référés (statuant généralement seul et sous 48 heures) pour permettre un renvoi de l’affaire avec davantage de temps de réflexion(s) et ce, devant la plus haute formation solennelle du Conseil d’Etat : son Assemblée. Cette dernière, le 14 février 2014 a ordonné que soient réalisées des expertises médicales par des spécialistes des neurosciences et qu’il soit procédé à la consultation (pour remise d’observations par des « amicus curiae » au sens de l’art. R 625-3 CJA) de plusieurs autorités médicales nationales. On comprend bien sûr le pragmatisme et la volonté du juge de répondre non pas en urgence et de façon provisoire mais avec le temps d’une réflexion minimale, collégiale et assise sur des avis scientifiques et même par le biais d’une décision définitive. Mais l’on ne manquera pas de souligner les entorses ici sciemment réalisées à la procédure classique d’un appel en matière de référé liberté qui semble se changer par la seule volonté des juges en décision au fond. A situation exceptionnelle, procédure exceptionnelle ? On en comprend la logique mais les règles du CJA ne s’appliquent-elles alors plus totalement ? On pourra également être surpris par cette interprétation très extensive de la Loi dite Léonetti par laquelle, toujours le 14 février 2014, les juges ont affirmé (sans être devenus législateurs) que les dispositions du CSP issues de ladite loi du 22 avril 2005 et relatives à l’arrêt de traitement en cas d’obstination déraisonnable s’appliquaient que le patient soit – ou non – en fin de vie et pouvaient ainsi concerner l’état pauci-relationnel de l’espèce. C’est dans ce contexte où une famille se déchire autour d’un de nos frères en Humanité qu’arrive la décision d’assemblée du 24 juin 2014. A la lecture de cette dernière, la première chose qui frappe le lecteur est le degré de précisions, de gravité et la haute solennité qui l’entourent : quinze pages de textes, des considérants millimétrés et une décision rendue par l’Assemblée du Conseil d’Etat alors qu’il ne s’agissait originellement « que » d’un appel en référé-liberté. L’impression de solennité est d’autant plus renforcée que le CE s’est entouré pour rendre cet acte de plusieurs avis : les expertises unanimes (rarissimes dans le cadre habituel et contraint par le temps d’un référé liberté) réalisées par plusieurs spécialistes en neurosciences ainsi que les observations de quatre autorités : l’Académie nationale de médecine, le Comité consultatif national d’éthique, le Conseil national de l’ordre des médecins et M. Léonetti. La décision est de surcroît entourée de mille précautions et précise bien qu’elle n’est que circonstanciée et donc non applicable ou transposable à tous les cas notamment de patients maintenus artificiellement en vie. Il ne s’agit « qu’exclusivement » d’une décision d’espèce rappelle même explicitement le communiqué de presse du CE. Ce dernier n’étant ni médecin, ni omniscient, ni censeur, ni même habitué à gérer des questions de vie ou de mort (étant plus habitué à évaluer l’action administrative généralement a posteriori et lorsque toutes les conséquences y compris en matière de responsabilité(s) sont connues), a voulu proposer une rédaction pédagogique et s’entourer un maximum de considérations objectives et / ou consensuelles. En ce sens l’appel aux amici curiae fait sens puisqu’il s’agit, selon les mots de D. Chabanol, non d’une expertise particulière mais, devant l’importance sociétale de la question, d’un point de vue général à propos duquel la juridiction « hésite à trancher au vu du seul dossier et souhaite savoir comment se positionne » la communauté des sachants.

En l’espèce, plusieurs éléments (médicaux et non médicaux) ont alors convaincu le juge qu’il fallait, comme l’avait ordonné l’acte litigieux, mettre un terme à l’alimentation et à l’hydratation du patient : les conclusions ici unanimes des experts médicaux (basées sur une période d’examen suffisamment longue et non précipitée) notamment sur l’irréversibilité des lésions cérébrales, l’existence d’analyses médicales collégiales, le mauvais pronostic clinique en cours, l’hypothèse de souffrances, l’émission autrefois de la volonté de Vincent Lambert de ne pas être maintenu artificiellement en vie (même s’il ne s’agit pas de directives claires et anticipées au sens de la Loi Léonetti) et manifestement – surtout – le fait que les expertises aient établi une dégradation de l’état de conscience de l’intéressé vers un état végétatif chronique (ce qui n’était semble-t-il pas le cas en janvier 2014 où l’on évoquait un état de « conscience « minimale plus », impliquant la persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement »). Autrement dit, même si la décision du 24 juin réforme (en son article 3) le jugement du TA châlonnais « en ce qu’il [lui] a de contraire », il semblerait que les juges du Palais royal comprennent et valident même l’option prise par les premiers magistrats en début d’année, comme s’ils les dédouanaient de leur ordonnance optimiste en ce que ces derniers avaient voulu considérer l’existence maintenue d’une étincelle de vie et avaient refusé de consacrer l’existence d’un maintien artificiel de celle-ci. En janvier, donc, comme nous l’écrivions dans ces mêmes colonnes, le traitement qui était administré au patient ne pouvait être qualifié d’inutile ou de disproportionné, il ne pouvait être qualifié d’obstination déraisonnable. Désormais, il en est autrement.

Du point de vue de la procédure contentieuse cependant, on pourra s’étonner de ce que la présente décision (qui n’est plus une ordonnance de référé mais) semble statuer directement sur la légalité de l’acte attaqué n’ait l’air de respecter le principe – propre au contentieux de l’annulation – de l’analyse de la légalité de l’acte au jour seulement où il a été pris et non – comme en l’espèce – en tenant compte des circonstances postérieures de faits et de droit. En effet, normalement, le juge devrait dire si la décision médicale du 11 janvier 2014 était légale au 11 janvier 2014. Or, il nous est plutôt dit ici qu’eu égard à la dégradation de l’état de santé de l’intéressé, si un tel choix médical était fait aujourd’hui, il semblerait légal. Mais était-ce vraiment la question posée au juge ?

Il est enfin impossible de terminer cette présentation sans mentionner deux autres décisions juridictionnelles concomitantes : celle immédiatement prise (le même jour) par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans ce même dossier d’euthanasie dite passive puis un arrêt attendu de la Cour d’Assises des Pyrénées-Atlantiques. La CEDH a en effet – en urgence et de façon conservatoire et donc sans statuer au fond – ordonné la suspension de l’exécution de la décision française (au mépris de son autorité) et ce, au nom vraisemblable de l’atteinte irréversible qui serait portée au droit à la vie (ce que le CE en son cons. 13 avait exclu). En outre, dans une autre affaire (dite Bonnemaison), c’est (le 25 juin 2014) un acquittement qui a été prononcé par les juges pénaux à propos cette fois d’euthanasies actives. Il est donc surement temps que le législateur se réapproprie ces questions à une heure où chacun s’interroge sur l’avenir des autres ou de soi-même par-delà la mort (ce dont il sera notamment question lors du colloque manceau du 14 novembre 2014 sur les nouveaux droits de la mort : http://www.droitsdelamort.com).

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