Le présent article paraîtra – en entier – au JCP A … à la rentrée ….
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Obs. sous CE, 12 mars 2021, Sté Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île & Jean-Noël M. ; req. 443392

Solution. Par le présent arrêt rendu en cassation, à la suite d’une procédure d’urgence formée en application de l’art. L 521-3 Cja, le Conseil d’État est venu détailler les conditions d’utilisation et d’occupation (collective et privative) du domaine public maritime des plages distinguant les hypothèses compatibles avec l’usage domanial de celles prohibées.

Impact. Partant, le juge a rappelé, à l’aune du Code de l’environnement, la « destination fondamentale » des plages publiques : celle de leur accès libre et gratuit à toutes et à tous et ce, au détriment d’occupations privatives commerciales, même déguisées en libre accès.


A l’heure où la plupart des lecteurs prépare ou entame sa « rentrée », on se propose – au contraire – de rester un peu en retrait sous le soleil des plages corses à propos desquelles, au printemps dernier, une intéressante décision du Conseil d’État a été rendue aux conclusions (disponibles en ligne sur le site institutionnel) de M. Romain Victor (CE, 12 mars 2021, Société Hôtelière d’Exploitation de la Presqu’île (Shep) & Jean-Noël M. ; req. 443392 avec nos obs. dans cette revue). Les faits y ayant conduit étaient les suivants : un établissement hôtelier de luxe (le requérant) géré par la Shep possède un bâtiment (au nom évocateur de « La Plage – Casa del mar ») ancré au pied du littoral public à Lecci, en Corse-du-Sud, avec un accès privilégié au domaine public maritime de la plage. Cette dernière ne fait pas l’objet d’une concession privative au profit de l’hôtel-restaurant privé et est donc placée sous le régime, général et premier, de l’accès direct à toutes et à tous au domaine public.

Au préalable, et à plusieurs reprises depuis plusieurs années, la Shep avait été condamnée par le juge administratif pour une série de contraventions de grande voirie correspondant à son occupation privative illégale (et sans autorisation préalable) dudit domaine public. De 2015 à 2019, ainsi, cinq premiers jugements (avant l’ordonnance ayant donné lieu au présent contentieux) du Tribunal administratif de Bastia[1] ont condamné, parfois même en soulignant la récidive de l’établissement hôtelier, pour avoir voulu faire sien et avoir réservé à ses clients l’accès – pourtant public – à la mer Méditerranée. Constatant non seulement que malgré ces condamnations répétées, la Shep continuait ostensiblement d’installer au profit de ses seuls hébergés des transats, des chiliennes, des matelas et autres parasols sur la – pourtant étroite – barrière de sable fin (ce qui empêchait de facto un accès libre et facilité au public non client de l’hôtel-restaurant) mais encore qu’elle semblait peu atteinte par lesdites condamnations pécuniaires comme si elles étaient in fine intégrées aux dépenses de l’établissement, le préfet de la Corse-du-Sud a décidé de changer de modus operandi aux fins de protéger le domaine public maritime et d’assurer son libre accès. En effet, après avoir refusé (par deux arrêtés préfectoraux datés du 04 juin 2020) les demandes (enfin exprimées !) d’autorisation d’occupation temporaire (Aot) de la plage du Benedettu aux fins d’y installer d’une part des biens meubles de plages (tels que des transats et des parasols) au profit de ses clients ainsi qu’un ponton (non démontable), le représentant de l’État, au visa de plusieurs procès-verbaux dressés sur place par les forces de gendarmerie, a pris acte de l’occupation privative, pérenne et renouvelée – sans autorisation préalable – du domaine public et a décidé d’en requérir l’expulsion au moyen d’un référé « toutes mesures utiles » tel qu’envisagé par l’article L. 521-3 du Code de Justice Administrative.

Selon cette dernière disposition, « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ». Saisi en ce sens, le juge des référés du Tribunal Administratif de Bastia[2] a considéré que l’urgence justifiait, ainsi que le requérait la préfecture, que l’on expulsât la société hôtelière puisqu’elle était une occupante sans titre du domaine public. Contestant l’ordonnance, la Shep s’est pourvue en cassation mais le Conseil d’État ne lui a pas donné satisfaction ; bien au contraire. Cela dit, la présente décision n’est pas digne d’intérêt que pour les clients potentiels de l’établissement ainsi que pour ce dernier : elle impacte directement le droit de tout un chacun à se rendre sur une plage publique comme si le juge venait à consacrer une forme de « droit » à la page[3] (I) tout en reconnaissant l’existence potentielle d’utilisations privatives de ce bien public (II).  

I. Du droit – fondamental et collectif – à l’accès aux plages publiques

Si, à nos yeux, les plus belles plages sont en bords de Méditerranée, le domaine public maritime corse se place assurément sur le podium des littoraux les plus agréables. Et, parmi les plages corses, celles du golfe de Porto-Vecchio dont celle, litigieuse, de la presqu’île de Benedettu, sont assurément des plus prisées et agréables pour leur sable doré. S’y délasser, rêver, s’y laisser aller voire s’y échouer est effectivement un bonheur des plus luxueux mais, vient rassurer le juge administratif, ce luxe serait accessible à tous – et non uniquement à des clients privilégiés – à l’instar en partie de l’eau et du soleil généreux qui s’y matérialisent. Il y s’agirait même de la destination première et fondamentale des plages publiques : permettre un accès libre et gratuit à tous et à toutes.

a.      De la « destination fondamentale » des plages publiques

La présente décision n’est pas, loin s’en faut, la première à consacrer en contentieux l’importance du domaine public maritime des plages de Méditerranée. Ainsi, est-ce le célèbre arrêt dit Kreitmann[4] qui a consacré sur tout rivage, y compris ceux de la Mare nostrum, la façon de délimiter le domaine public afin de le protéger au mieux et ce, au regard de la vénérable ordonnance du 31 juillet 1681 (souvent qualifié d’ordonnance d’août 1681) de Colbert.

(…)

Conséquemment, hors concession ou autorisation d’occupation et d’exploitation (on y reviendra), personne ne peut « privatiser » un tel espace et le faire sien au détriment de la collectivité.

b.      De l’urgence à maintenir un accès collectif, libre et gratuit aux plages publiques

Les principes de l’utilisation collective d’un bien immobilier du domaine public sont simples et reposent sur la devise constitutionnelle nationale : liberté, égalité et fraternité : liberté d’accéder aux plages publiques, égalité d’accès sans que celui-ci soit réservé à une catégorie de privilégiés et conséquemment, fraternité, via la gratuité d’accès de celles et de ceux s’y retrouvant sans aucune distinction de fortune(s). Telle est bien la destination première d’un bien affecté à l’usage direct de tous : son utilisation collective et non – par exception – sa potentielle privatisation. C’est exactement ce que vient rappeler ici le juge administratif en faisant primer pour se faire, dans ses visas, non le Cg3p mais bien le Code de l’environnement comme s’il voulait souligner la primauté de cette « destination fondamentale » de la plage. Seules limitations reconnues à cette utilisation collective libre et gratuite : le maintien de l’ordre public (et notamment de la sécurité et de la tranquillité publiques) ainsi que le respect de l’affectation et donc de la destination domaniale affirmée par la puissance publique.

(…)

II. Des utilisations par exception – privatives – de la plage publique

Le domaine maritime corse, on le sait, a plusieurs fois marqué la jurisprudence tant administrative que judiciaire à la suite, par exemple, de l’affaire dite des « paillotes [7]» et du tristement célèbre Francis. A Benedettu, nous n’en sommes heureusement pas encore là. Ce faisant, l’arrêt ici commenté permet de revenir sur les deux formes d’utilisation et donc d’occupation privatives des plages en domanialité publique.

a.      Des occupations privatives autorisées

Il y a d’abord, réaffirme le juge, des hypothèses où, malgré le principe de l’utilisation gratuite et collective du domaine public, des occupations privatives sont admises. Il en est ainsi de la possibilité pour tout un chacun de venir profiter des lieux :

« En premier lieu, l’installation et l’utilisation à titre précaire et temporaire d’accessoires de plage par les piétons n’excèdent pas le droit d’usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu’est la plage, en vertu des dispositions combinées des art. L. 2122-1, L. 2124-4 du Cg3p et de l’art. L. 321-9 du C. env., quand bien même ce matériel ne serait pas la propriété des usagers concernés et aurait été mis à leur disposition par des tiers dans l’exercice d’une activité commerciale, dès lors qu’il est utilisé sous leur responsabilité, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu’il est retiré par leurs soins après utilisation ».

A priori donc, même avec un matériel de plage (comme un parasol) qui ne serait pas à soi mais prêté ou loué par un tiers, il est possible d’accéder librement aux plages du domaine public. Toutefois, rappelle-t-on, cet usage n’est que « précaire et temporaire ». Il en est de même, ajoute-t-on, des autorisations unilatérales (de type Aot – autorisations temporaires d’occupation) ou conventionnelles (de type concession domaniale) que la puissance publique accepterait de délivrer à d’autres personnes (dans notre hypothèse) privées. Cela dit, les Aot et les conventions permettant la privatisation également « précaire et temporaire » des plages[8] sont quant à elles payantes (et font l’objet de redevances). Elles sont par ailleurs prévues a priori et ainsi anticipées. La « règle d’or » de l’utilisation domaniale est alors la suivante : « le domaine public, tu aimes son utilisation collective ou tu t’acquittes (d’une redevance précaire et autorisée) ».

(…)

b.      Des occupations privatives prohibées

Deux occupations privatives prohibées sont ici dénoncées par le juge parce qu’elles conduiraient à une privatisation de facto des lieux au détriment de l’usage public prioritaire : il s’agit de l’emprise du ponton et, plus discutée et discutable, de l’utilisation temporaire (mais régulière) par les clients de l’hôtel des « accessoires » mobiliers de plage.

(…)

On pourra se réjouir, en conclusion, de la réaffirmation de ce droit à l’accès à la plage publique ainsi formellement consacré et protégé par le juge français. On espère surtout qu’à termes, un jour, ce sont tous les rivages de la Mer Méditerranée qui connaîtront cette protection à destination de toutes et de tous. Malheureusement, dans de nombreux Etats voisins, la privatisation maximale du rivage se fait aux détriments des citoyens et au profit des complexes touristiques privés. Une solution serait peut-être (et nous en rêvons) de reconnaître à la Mer Méditerranée (comme à certaines étendues d’eau sous d’autres législations) une personnalité juridique et/ou morale internationale placée sous la protection d’un organisme indépendant ou pluri étatique. A cet égard, entre autres, est programmée en mai 2022 à Naples, une réflexion du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public[12] concernant le(s) droit(s) de la Mer Méditerranée.


[1] Respectivement : TA de Bastia, jugements des 15 janvier 2015 (req. 1400767) ; 22 mars 2018 (req. 1700962) ; 17 octobre 2019 (req. 1900154) et 19 décembre 2019 (deux décisions aux req. 1901143 & 1901134).

[2] Par une ordonnance datée du 24 août 2020 (n°2000733).

[3] Avant d’aller plus loin, on tiendra pour acquis le fait qu’une plage (qu’elle soit faite de sable ou de galets) est une étendue immobilière d’un rivage (notamment maritime) où les vagues déferlent.

[4] CE, Ass., 12 oct. 1973, Kreitmann ; Rec. 563 et nos obs. in Des Objets du Droit Administratif ; Doda ; Vol. 1 ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ; p. 112 et s.

[5] Comme dans la célèbre décision CE, Sect., 30 mai 1975, Gozzoli (Req. 83245).

[6] Définie à l’art. L. 2132-2 et s. du Cg3p, elles protègent notamment les rivages. Plusieurs sociétés et personnes privées ayant désiré, sans autorisation,  « faire leur » le domaine public en y installant des matelas et des parasols au profit de leurs clients, en ont été condamnées (cf. outre les premiers jugements précités du TA de Bastia, CE, 29 mai 1974, Muscinesi ; Rec. 324 à propos de la plage de Carry-le-Rouet).

[7] Cf. Lavialle Christian, « L’affaire « des paillotes » et la domanialité publique », Rfda 2005, p. 105 et notamment pour l’aspect pénal : Cass., Crim., 13 oct. 2004 ; n°00-86726.

[8] Ce sont spécialement les art. L. 2124-4 préc. et s. du Cg3p qui organisent les Aot et les concessions de plage avec, même, l’organisation d’une mise en concurrence des secondes lors de leur passation.

[9] Cf. CE, Ord., 08 avril 2019, Commune de Cannes c. Société Bijou plage ; Req. 425373 et nos obs. in Des Objets du Droit Administratif ; Doda ; Vol. 1 ; Toulouse, L’Epitoge ; 2020 ; p. 198 et s.

[10] Cf. CAA de Marseille, 7ème ch., 17 mai 2019 ; Sarl Marco plage & alii ; req. 18MA00186.

[11] Rappelons, par ailleurs, que l’autorisation doit être expresse et explicite : CE, 21 mars 2003, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux.

[12] Http://lm-dp.org.

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