extraits du
Dictionnaire de Droit public interne
Mathieu Touzeil-Divina (c) ; 2017 LexisNexis

Cousins issus de la même branche familiale du Doubs, Jean-Baptiste-Victor (1758-1838) & Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) sont pourtant des quasi-visages inversés ! Le premier fut professeur de législation au temps des écoles dites centrales (avant la recréation napoléonienne des Facultés de Droit en 1804) puis professeur de Code civil et même doyen de la Faculté de Droit de Dijon. Bonapartiste, il se battit au nom des principes bourgeois et défendit une notion-clef des droits public et privé : la propriété comme droit inviolable et sacré de l’Homme (I). On lui doit de nombreux ouvrages juridiques savants et notamment le premier Traité du domaine public (1833). A l’inverse, Pierre-Joseph est connu pour avoir non seulement méprisé cette même propriété mais encore pour l’avoir affublée de la maxime anarchiste « la propriété c’est le vol » ! Auteur de nombreux pamphlets, il a été emprisonné pour raisons politiques (il défendait alors le socialisme) mais aussi député lors de la Seconde République (II). A Besançon, comme pour les réunir malgré tout, une rue porte le nom de l’un puis de l’autre.

I. De la propriété
comme accomplissement de l’Homme 
(Jean-Baptiste)

Jean-Baptiste-Victor est l’archétype du professeur bourgeois du XIXe siècle. Conservateur, chrétien, jusnaturaliste, défendant les valeurs du Code Napoléon, il entendait servir la nouvelle législation révolutionnaire et ses initiateurs bonapartistes en particulier. Rappelons que l’homme (qui sera docteur en Droit en 1789) a d’abord été administrateur départemental puis juge et professeur à la chaire de législation de l’Ecole centrale du Doubs (1795). Ici, malgré une formation originelle de privatiste, il est l’un des rares professeurs à oser s’aventurer dans les méandres du droit public et à en proposer quelques enseignements dont témoignent ses cours publiés. En 1806, avec l’installation de l’Ecole (qui deviendra Faculté) de Droit de Dijon, il est directement nommé, par Napoléon (1769-1821), pour diriger l’établissement (dont il gagnera par suite le titre de doyen). Après les Cent-Jours sa fidélité bonapartiste lui sera d’ailleurs reprochée et le fera même quitter, quelques mois, la Faculté. Ses enseignements et ses publications porteront d’abord principalement sur le droit privé (Traité sur l’état des personnes ; Traité des droits d’usufruit (…)) mais l’homme était un juriste accompli et ouvert, notamment, aux questions publicistes (qu’il enseigna en 1795 en école centrale mais aussi après 1806 aux détours de leçons de Code civil). Par ailleurs, il n’est pas, contrairement à ce que l’on dit encore beaucoup, le chef de file de la prétendue « Ecole de l’exégèse ». Jusnaturaliste, il a su commenter et non simplement décrire même s’il a également servi l’œuvre première de diffusion du Droit nouveau. Enfin, l’auteur ne s’est pas intéressé qu’à la facette privatiste du droit de propriété. Il est allé la confronter avec les questions du droit public en offrant un exceptionnel Traité du domaine public par lequel il va systématiser la notion même de domanialité et son régime de protection alors peu théorisés. Toutefois, promoteur de la seule propriété privée, et à la différence de Foucart (1799-1860), le doyen Proudhon refusait l’hypothèse d’une propriété et d’une personnalité publiques et soutenait que l’Etat n’avait que la « garde » du domaine public. Il en affirmait conséquemment que ledit domaine public se devait d’être le plus réduit possible afin de garantir la seule propriété privée.

II. De la propriété
comme asservissement de l’Homme 
(Pierre-Joseph)

L’imagerie d’Epinal (particulièrement portée par les courants marxistes) fait de Pierre-Joseph un autodidacte confus et inconstant ; un génie peut-être mais sans rigueur ni ligne directrice. Cet a priori a longtemps dominé à tort l’histoire des idées politiques. L’homme (qui fut notamment imprimeur) dont les concepts de République et de Propriété étaient les fils directeurs s’avéra un véritable humaniste au service du socialisme. Il vient du peuple, de la société, et c’est à ce titre que son socialisme est parfois plus percutant que celui d’un bourgeois théorisant la misère ouvrière. Son passage en prison puis son exil en Belgique (pour raisons politiques) ont révolutionné sa pensée. Proudhon se distingue alors des socialistes utopiques (Cf. Fourier (1772-1837)) et oppose (en combattant la propriété privée et ses méfaits) les propriétés collective et commune tout en promouvant les notions de mutuellisme, de droit au travail et d’Egalité. Paradoxal, il dénoncera l’appareil même de l’Etat et sa Constitution mais acceptera de se faire élire député !

Op. :      En droit public, on retiendra du doyen son Cours de législation et de jurisprudence française (1791) ainsi que son Traité du domaine public (1833). De l’anarchiste, on citera Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement (1840).

Cit. :      « Dans tous les instants de sa vie, le citoyen ne cesse d’être sous la protection des Lois d’administration générale. Rien n’est donc plus important de composer un corps de doctrine sur cette partie de notre législation. Le Français, même avant sa naissance, occupe l’attention prévoyante de la société, par l’établissement de fonctionnaires dont l’auguste ministère est destiné à ranimer le courage et l’espérance des mères, à les soulager dans les douleurs de la maternité, et à pourvoir à la conservation de l’être faible qui vient ouvrir, pour la première fois, les yeux à la lumière. Dès qu’il est au monde, c’est à l’administration qui a protégé sa naissance, qu’il doit être présenté pour lui en assurer les titres » (Jean-Baptiste-Victor Proudhon ; discours de rentrée ; 1806) ; « La propriété c’est le vol » (Pierre-Joseph Proudhon ; Qu’est-ce que la propriété ? ; 1840).

Biblio. Chambost Anne-Sophie, Proudhon, l’enfant terrible du socialisme ; Paris, Colin ; 2009 ; Dumay Gabriel, Etudes sur la vie et les travaux de Proudhon, doyen (…) ; Autun ; 1878 ; Haubtmann Pierre, Pierre-Joseph Proudhon, Paris, Beauchesne ; 1982 ; Dhjf ; p. 844.

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