Le mois prochain (fin juin – début juillet), le numéro 33 de la belle revue POLITEIA publiera l’article suivant dont voici – en amorce – de courts extraits :

Jupiter de continuité(s) constitutionnelle(s)

Une dévalorisation parlementaire toujours continue
et assumée au service d’une révision annoncée

 

Il est des sujets sur lesquels tout un chacun préfèrerait se tromper. Ainsi en est-il lorsque l’on annonce un décès, une catastrophe ou encore une « dévalorisation »[1]. On aurait alors pu espérer, entre 2012 et 2017, qu’un frein soit mis à ce que nous avions qualifié et continuons de qualifier de « dévalorisation parlementaire continue » et désormais assumée. Pourtant, même avec l’arrivée au(x) pouvoir(s) exécutif et parlementaire, de celles et de ceux ayant très critiqué – sous la présidence Sarkozy – la baisse des pouvoirs parlementaires, il n’a pourtant aucunement été mis un terme à cette même dévalorisation. Et, la première année de présidence Macron, quelques semaines avant la prochaine révision constitutionnelle annoncée, laisse augurer que, là encore, rien ne changera dans le bon sens. De fait, c’est manifestement l’équilibre actuel des pouvoirs qui semble plaire (puisqu’il est inchangé et même entretenu) – à la tête des principaux partis politiques français (à quelques rares exceptions) – et qui semble ainsi conduit à perdurer : avec un exécutif présidentiel très fort, un gouvernement exécutant et un Parlement soumis (II). Certes, la tête d’affiche a changé, on a annoncé des réformes, mille nouveautés y compris dans la façon de faire de la politique mais à de rares exceptions près (dont on veut et peut bien cela dit convenir) et en droit constitutionnel en tout cas : rien ne changera. Et l’on continue, en particulier, d’affirmer que le Parlement doit être rationalisé (comme s’il était un dangereux pouvoir dictatorial) alors qu’il ne s’agit bien trop souvent que d’une paire d’assemblées au service bien trop direct et soumis du pouvoir exécutif. Ce dernier cherche, malgré cet état de fait, à accroître encore sa domination comme s’il en avait vraiment besoin (I). Enfin, on conclura ce propos par une présentation de quelques éléments annoncés du projet présidentiel de révision constitutionnelle qui traduit non seulement lui aussi une continuité évidente de la pratique de la Cinquième République mais encore la mise en avant dangereuse selon nous d’un Etat de plus en plus assimilé à une entreprise (III). Concrètement, c’est d’abord à partir du discours du Président Macron à Versailles, devant le Congrès le lundi 03 juillet 2017 et à partir de premiers actes et des premières propositions de cette 15ème législature que l’on a choisi d’illustrer trois mouvements de continuité(s) constitutionnelle(s) (du régime et des équilibres en place) et de dévalorisation parlementaire (tout aussi continue mais désormais toujours plus assumée).

I. Continuité d’un régime politique
dominé par le pouvoir exécutif

C’est la première continuité que nous inspire la situation actuelle. Même modifié à bientôt vingt-cinq reprises, l’équilibre constitutionnel français de la Cinquième République n’a pourtant pas profondément été modifié par lesdites révisions. Le Parlement a été ultra rationalisé en 1958 et n’a jamais véritablement retrouvé de sa superbe. Hors cohabitation, le Président de la République est toujours à la tête de tout ou presque et, finalement, les deux grandes diminutions de son pouvoir sont le fait de deux autres phénomènes : la décentralisation et l’européanisation.

Le Président gouverne. Il est désormais inutile de faire semblant. Hors période de cohabitation (où l’on applique véritablement et pratiquement tout le texte constitutionnel selon la belle formule du Président Mitterrand[2] : « la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution »), la Constitution formelle du 04 octobre 1958 n’est pas appliquée. C’est un autre équilibre constitutionnel (une Constitution matérielle[3] et parfois même dite à l’Italienne) qui est concrétisé et cet équilibre est un déséquilibre profond du pouvoir au profit de l’exécutif présidentiel. En France, hors cohabitation, c’est le Président de la République qui gouverne ou plus exactement demande au gouvernement d’agir et au Parlement de respecter, en cascade, les ordres jupitériens de la Présidence de la République. Le Parlement est ainsi devenu, selon la formule consacrée, une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif et il applique à la lettre – ou presque c’est-à-dire avec si peu de marge de libertés – ce qu’on lui demande de faire.

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Une majorité parlementaire « en marche » et aux ordres de l’Exécutif. En effet, que les députés de la majorité soutiennent un gouvernement et un Président s’entend évidemment et cela permet la stabilité de l’exécutif si chère à notre Cinquième République. Qu’ils et elles acceptent parfois – par discipline politique et partisane – de ne pas (trop) faire entendre de sons dissonants est également compréhensible afin de ne pas perturber l’action gouvernementale et présidentielle mais qu’ils et elles – volontairement – en viennent à ne plus oser proposer différemment en ne s’écartant jamais du dogme majoritaire imposé est des plus inquiétant. Les Parlementaires ne sont pas les élus de l’exécutif. Ils sont les élus de la Nation ce qui n’est en rien synonyme. Ils et elles peuvent évidemment rallier une cause et un groupe (et non un parti) politiques au sein des chambres parlementaires et les servir mais ce, sans jamais oublier qu’ils servent en premier lieu la Nation et la République. Et, pour se faire, chacune et chacun, doit être indépendant. Or, sous la Cinquième République et sous la « République en Marche » en particulier, les députés – plus singulièrement encore que les sénateurs (pour des raisons constitutionnelles que chacun connaît) – acceptent de dépendre de l’Exécutif. En marche et au pas militaire et cadencé, les députés de la majorité jupitérienne le sont effectivement.

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L’hypothèse utopique d’une cohabitation.

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II. Continuité d’une République
qui rationalise toujours plus son Parlement

« Quand on veut noyer son Parlement, on dit qu’il faut le rationaliser » : tel aurait également pu être le titre de notre article et telle est malheureusement la pratique actuelle de nos institutions depuis plusieurs années.

Rationaliser comme si le Parlement devait l’être encore. Chacun le sait le Parlement, sous les Troisièmes et Quatrièmes Républiques et malgré plusieurs tentatives politiques et doctrinales de rationalisation(s)[7], a été tout puissant et c’est la raison pour laquelle la Constitution de 1958 l’a rationalisé c’est-à-dire (au sens étymologique) lui a fait retrouver la « raison » en le contrôlant. Toutefois, ayant rationalisé à l’excès en 1958 en utilisant tous les procédés techniques et politiques possibles (depuis la maîtrise gouvernementale de la procédure législative en passant notamment par l’assignation d’un domaine législatif), on pourrait croire – le fait majoritaire aidant – qu’il n’est non seulement plus possible mais évidemment encore plus souhaitable de rationaliser toujours plus un Parlement qui n’est plus maître de grand-chose, pas même de son ordre du jour[8] ! Et pourtant, alors que le gouvernement peut – avec l’appui de sa majorité – maîtriser l’ordre du jour législatif et – pour chaque texte – faire passer en force tout ce qu’il désire (au moyen d’une nouvelle délibération, de priorités multiples, du vote bloqué (art. 44 C), de l’art. 49-3 de la Constitution, d’ordonnances (art. 38 C), etc.) et alors qu’il est sûr de ne pas être inquiété politiquement ni renversé (le fait majoritaire agissant en ce sens), il en demande toujours plus (et pourra désormais même ajouter à cet ordre du jour déjà maîtrisé par le gouvernement de nouvelles « priorités » (art. 08 du projet de Loi constitutionnelle)) comme si le Parlement français était un ogre totipotent.

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Légiférer toujours plus vite au nom du Président ou de la Nation ? Voilà la cause de la « rationalisation » parlementaire annoncée. Les députés et sénateurs prendraient trop de temps à discuter les Lois (notamment défendant trop d’amendements) et l’action gouvernementale. Sans tomber dans les excès de la Troisième République où une Loi pouvait ne jamais être adoptée ou encore seulement après des années de débats, la Loi mérite un temps de réflexion(s) et d’action(s). La Loi vaut effectivement pour l’avenir et peut ne jamais être modifiée si besoin et si elle est de qualité. Pourtant, jouant sur les émotions et rebondissant sur l’actualité, voulant à tout prix tenir en cinq années un programme présidentiel annoncé en campagne, les Lois aujourd’hui adoptées le sont souvent avec un manque de recul, de réflexion(s) et de temps. Or, ce que l’on doit attendre de la République c’est qu’elle soit juste et réfléchie et non qu’elle agisse dans l’instantané au risque d’agir trop vite et donc mal. Pourtant, en moins d’un mois avec une procédure accélérée qui devient la règle et non l’exception, le Parlement peut adopter la norme commandée par le gouvernement et ce, même avec une éventuelle opposition ou un désaccord sénatorial. Le doigt sur la couture, la majorité parlementaire exécute consciencieusement les ordres du chef de groupe qui – lui-même – les reçoit du chef du gouvernement, ce dernier ayant appris par cœur le programme présidentiel et respectant à la lettre les injonctions jupitériennes. Si nous étions dans un pays étranger ou dans une secte, on convierait des observateurs internationaux afin de témoigner du risque d’endoctrinement et d’atteinte aux libertés fondamentales.

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Attention aux retours de l’antiparlementarisme. Quel est alors le discours et le marketing qui entourent le projet de révision constitutionnelle ? On y déclare que, du fait d’affreux amendements trop nombreux et trop fantaisistes de la part d’obscurs parlementaires d’opposition adeptes du filibustering, la Loi ne pourrait pas ou mal être votée ! La proposition de réforme constitutionnelle à cette fin veut davantage[11] « accélérer la procédure législative » comme si elle était lente et défaillante. Mais de qui se moque-t-on ? Comment peut-on non seulement oser dire que la Loi ne peut pas être prise assez vite quand elle mais à peine un mois pour l’être mais encore qu’il faudrait faire taire ces briseurs d’action gouvernementale ? Quelle insulte au Parlement !

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III. Continuité pour une Constitution
marketée au service d’un Etat entreprise  

République ou entreprise ? La magique mention de l’« efficacité ». Il en est ici en matière d’Institution parlementaire comme de Justice. Les deux ont besoin de sérénité et donc de temps et non de pressions et de calendriers. Or, les projets actuels – au nom de l’efficacité (avec le sentiment bien compris et la volonté généreuse de vouloir aider au plus vite) – bafouent ce temps de réflexions pourtant nécessaire. Pour la Justice, on songe ainsi – afin d’aller toujours plus vite – à supprimer – de façon expérimentale dans un premier temps – quelques jurys d’assise pour que certains crimes (dont les viols) soient jugés au plus vite. Or, la Justice réclame des moyens humains et matériels qui lui permettront d’aller plus vite mais non de réduire les procédures en augmentant d’autant les risques d’arbitraires ou de confusions. Efficacité !

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Un coup de communication marketing pour s’affirmer. Ce que va réaliser ici l’exécutif c’est un joli coup de communication pour affirmer toujours plus son pouvoir. Il ira ainsi plus vite (toujours plus vite) en éloignant toute pensée jugée contraire et en faisant croire qu’il existe un empêcheur de légiférer en rond et rapidement : le Parlement. Or, c’est exactement le rôle du Parlement que de discuter et d’améliorer les textes et non d’enregistrer sans avoir le temps de réfléchir. Car nous ne disons pas que la majorité parlementaire doit s’opposer au gouvernement : elle est dans son rôle. Nous disons qu’elle doit avoir le temps de se poser la question : ai-je raison de continuer à soutenir le gouvernement ? Les rôles ne doivent pas être renversés : ce sont les députés qui font la majorité gouvernementale et non le gouvernement qui – par l’intermédiaire jupitérienne – fait les députés. Et pour respecter ce choix d’un régime constitutionnel parlementaire, le temps doit être redonné au Parlement.

Il y aura bien sûr quelques nouveautés[18] ou propositions intéressantes comme la prohibition de nouveaux conflits d’intérêts (art. 01 du projet de Loi constitutionnelle), l’interdiction dans le temps des « cumuls » de (trois) mandats électifs (successifs) afin de renouveler les représentants (et ce, même si au fil des discussions et des tractations la mesure semble se réduire comme peau de chagrin), la fin de la présence des anciens chefs d’Etat au Conseil constitutionnel[19] (art. 10 et 18 du projet de Loi constitutionnelle), l’amélioration de la qualité de la Loi par la guerre faite aux « cavaliers législatifs » (art. 03 du projet de Loi constitutionnelle) et la suppression annoncée de la Cour de Justice de la République[20] (art. 13 du projet de Loi constitutionnelle) au profit de la Cour d’appel de Paris.

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« Révolution » ? Lol. La Cinquième République « au carré ». Ce que traduisent, selon nous, les propositions qu’il nous a été donné de connaître en matière de révision constitutionnelle et qui seront développées en trois projets de Lois (constitutionnelle, organique et ordinaire) présentées le 09 mai en conseil des ministres, c’est tout simplement la continuité d’une Cinquième République assumée et confortée dans ses équilibres même les plus dévastateurs : « cette rationalisation de la procédure parlementaire (…) s’inscrit dans l’esprit de la Constitution » assume ainsi pleinement l’exposé des motifs du projet de Loi constitutionnelle. C’est la Cinquième République « au carré » et non la Sixième qui se prépare et encore moins une « Révolution » pour reprendre le titre programmatique de l’ouvrage de l’ancien candidat à la Présidence de la République, Emmanuel Macron. Dans cet ouvrage[27], du reste, le Parlement était le grand absent des objets d’intérêt du candidat dont les intérêts clairement exprimés étaient davantage managériaux : « investir dans notre avenir », « produire en France » (aux chapitres VI & VII). On peut aussi penser que la « Révolution » ici projetée est celle des mathématiques : c’est-à-dire un strict retour après avoir fait un tour circulaire de piste à la même position : cette révolution-là : ce retour à 1958 avec un Président tout-puissant hors cohabitation et un Parlement toujours plus réduit au silence, c’est le programme assumé ainsi qu’en témoignait Edouard Philippe le 04 avril dernier lors de sa présentation de la réforme à Matignon : « Il ne s’agit ni de revenir à la IVe République ni de passer à la VIe, mais au contraire de revenir aux sources de la Ve ».

(…)

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur à la Faculté de Droit de l’Université Toulouse 1 Capitole
Institut Maurice Hauriou (ea 4657), Président du Collectif L’Unité du Droit

 

[1] Touzeil-Divina Mathieu, « Une dévalorisation parlementaire continue ! A propos du droit parlementaire prétendument revalorisé » in Politeia ; 2012 ; n° 18 ; p 65 et s.

[2] Dans son message du 08 avril 1986 aux députés de l’Assemblée Nationale.

[3] L’expression se retrouve en ce sens notamment avec Sartori et avant lui dans l’œuvre de Mortati. Cf. C. Mortati, La Costituzione in senso materiale, 1940, réimp., préf. Zagrebelsky, Giuffrè, Milan, 1998.

[7] On songe évidemment à la théorisation de Boris Mirkine-Guetzevitch mais pas seulement (avec Hauriou, Tardieu, Blum, et Jaurès même selon de très prometteuses recherches (en cours) de Mme Clothilde Combes).

[8] Il ne nous a pas échappé qu’en 2008, la dernière révision constitutionnelle avait annoncé une maîtrise partagée de l’ordre du jour parlementaire entre gouvernement et chambre parlementaire. Toutefois, qui lira en entier l’article et le confrontera à la pratique comprendra que cette « annonce » n’est qu’un bel outil de communication, les faits démontrant au quotidien un Parlement uniquement maître de son ordre du jour une à deux journées, en matière législative, par mois seulement et ce, hors vote des principaux textes financiers. En ce sens, on se permettra de renvoyer à notre article précité supra en note 01.

[11] Selon la présentation faite à Matignon le 04 avril dernier (Libération du 05 avril 2018 ; p. 13).

[18] A l’instar de la transformation (article 14 du projet de Loi constitutionnelle) du Conseil économique social et environnemental (Cese) en future Chambre de la participation citoyenne (sic).

[19] Que l’on continue de qualifier de « conseil » et toujours pas de « juge » constitutionnel.

[20] Les dernières décisions de la Cour plaident effectivement pour sa suppression. En ce sens, on se permettra de renvoyer à : « Cour de Justice de la République » in Touzeil-Divina Mathieu, Dictionnaire de droit public interne ; Paris, LexisNexis ; 2017 ; p. 105 et s.

[27] Macron Emmanuel, Révolution ; Paris, XO ; 2016.

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