Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

CÉ, 24 juillet 2023, Député X. (req. 471482)

Quand la séparation des pouvoirs fait obstacle au droit au recours

Pas si facile (même si la jurisprudence est constante) pour le juge d’affirmer que le droit au recours n’existe pas, lorsque l’on fait l’objet d’une sanction dans un État de droit, et qu’il n’existe pas de possibilité de contestation juridictionnelle. Pourtant, si la sanction émane d’une instance du pouvoir parlementaire, ni l’exécutif, ni le judiciaire ne vont oser s’y intéresser. Telle est l’application confirmée de la séparation des pouvoirs.

Dans une ordonnance de 2011, le Conseil d’État avait explicitement rappelé (avec pédagogie) que « le régime de sanction ainsi prévu par le règlement de l’Assemblée nationale fait partie du statut du parlementaire, dont les règles particulières découlent de la nature de ses fonctions » puis « que ce régime se rattache à l’exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement » et « qu’il en résulte qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci » (CÉ, Ord., 28 mars 2011 ; req. 347869). Autrement dit et en appliquant cette jurisprudence, la séparation des pouvoirs s’oppose à ce que la sanction infligée au député requérant le 10 février 2023 par le Bureau de l’Assemblée nationale (censure avec exclusion temporaire pour une durée de quinze jours pour « provocations envers l’Assemblée Nationale ») soit contrôlée par un juge « ordinaire ». Sans surprise donc, le Conseil d’État, reprend-t-il la formulation de l’ordonnance contentieuse de 2011 mais ajoute, ce qui est intéressant, « Il en résulte qu’en vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, il n’appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d’une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci ». Ce serait donc la tradition qui serait ici normative ! Et d’ajouter au regard du droit européen : (…)

(…) Par ailleurs, on se souvient qu’en 1947 (CÉ, Ass., 07 février 1947, D’Aillières), alors que chacun (commissaire du gouvernement compris) avait qualifié les « jurys d’honneur » de juridictions politiques (puisque parlementaires) échappant au contrôle du Conseil d’État, la doctrine avait encensé le Palais royal osant braver l’interdit de la « tradition » pour contrôler une sanction contestée au regard du droit au recours. N’est-il pas temps de s’y conformer ?

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