Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

CÉ, 16 juin 2023, Osez le féminisme ! (462951)

Recours (devenu) sans objet contre les fresques carabines

On se souvient de cette ordonnance du juge des référés du TA de Toulouse qui avait osé dire tout hait ce que chacun voyait (Ord., 7 décembre 2021, Asso. Osez le féminisme 31 ! (req. 2106915) et nos obs. « Cachez cette « liberté guidant l’hôpital » que l’on ne devrait voir » dans cette même revue) : des personnes représentées nues en train de matérialiser un acte sexuel reçoivent la qualification potentielle de pornographie et, dans un service public, leur vision par tout agent ou même administré est contraire au principe de neutralité des lieux. En application de cette décision ayant rapidement fait « jurisprudence » l’une des associations requérantes en avait demandé une exécution ministérielle en requérant un ordre de procéder au détachement des fresques susceptibles d’être reconnues pornographiques. Devant le silence du ministre, l’association avait porté l’affaire au contentieux mais, entre-temps, une instruction avait été prise rendant le recours sans objet.

Même s’il y aurait beaucoup encore à écrire sur lesdites décisions du TA de Toulouse ayant indirectement provoqué le présent contentieux notamment quant à leur emploi de la notion de dignité de la personne humaine, alors qu’à nos yeux le critère de la neutralité du service public suffisait amplement, on rappellera seulement deux éléments. D’abord, même si l’association requérante qui avait agi en janvier 2022 pour exiger du ministère de la santé  (et du Premier ministre) une « circulaire » imposant le retrait des « fresques à caractère pornographique ornant les salles de garde » a critiqué l’instruction ministérielle (DGOS/RH3/2022/272) du 17 janvier 2023 relative aux fresques dites « carabines » dans les salles de garde des étudiants en santé dans les établissements publics de santé en ce qu’elle ne serait pas aussi ferme et précise que leur demande associative, le Conseil d’État a très justement rappelé que l’acte, même avec des mots autres, arrivait sas ambiguïté au même résultat : le retrait, y compris au besoin avec appui des ARS, « de l’ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste figurant dans leurs établissements ». On soulignera même cet ajout intéressant qui répond aux peurs de certains que l’esprit carabin ne disparaisse totalement dans un monde aussi aseptisé et « woke » qu’un champ opératoire, « Tout aménagement relatif aux fresques carabines devra être inscrit dans le règlement intérieur et porté à la connaissance de l’ensemble des étudiants » ce qui doit, ajoute rassurant le Palais Royal être entendu « comme signifiant que les étudiants en santé gardent la possibilité d’apposer ou de faire apposer des fresques dans les salles de garde des internats à la condition qu’elles ne présentent pas de caractère pornographique ou sexiste et que la possibilité en soit prévue par le règlement intérieur de l’établissement ». On ne pense donc pas comme d’aucuns que les ordonnances ayant initié la présente démarche sonnent le triomphe d’un « gouvernement des juges » et encore moins de son « retour » ou que les jugent ont statué sur une histoire de goût, douteux ou non. La question est simple : est-ce un service public qui doit respecter la neutralité de ces lieux ? Oui. Est-ce pornographique et sexiste ? Oui. Et nous ne sommes pas dans un musée ou dans un bâtiment ou les fresques étaient accompagnées d’un commentaire permettant de les déconstruire : il s’agit d’établissements de santé. On aimerait donc que celles et ceux qui ont crié au retour à l’ordre moral s’émeuvent tout autant sinon plus lorsque des actes sexistes, machistes, homophobes, xénophobes ou encore antisémites ont lieu dans ces mêmes services publics.

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