par Mathieu Touzeil-Divina
Directeur du Journal du Droit Administratif

Dans le cadre des « actions & réactions » (au Covid-19 du JDA) « pour administrativistes confiné.e.s » et en partenariat étroit avec La Semaine juridique Administrations et Collectivités territoriales (JCP A), le professeur Touzeil-Divina vous proposera chaque semaine aux colonnes notamment du JDA de réviser votre droit administratif (confinement oblige) et ce, de façon renouvelée.

En effet, à l’heure des confinements mais aussi des révisions pour les étudiant.e.s publicistes (ou non), parallèlement à une publication (en ligne et papier au Jcp A) nous vous proposerons chaque semaine pendant deux mois une autre façon de (ré)apprendre les grandes décisions publicistes.

Ainsi, à partir de la photographie d’un « objet », ce sont précisément les « objets » du droit administratif (service public, actes, libertés, agents, biens, responsabilité & contentieux) qui seront ici abordés avec une présentation renouvelée des faits et des portées prétoriennes.

Alors, en mettant en avant une image et des événements associés à un jugement ce sont aussi les mémoires visuelles et kinesthésiques qui seront stimulées (alors qu’en cours c’est principalement la seule mémoire auditive qui l’est). Le Jda pense ainsi à vous et vous prépare à vos examens 🙂

Liste des décisions présentées sur le site chezFoucart, celui du Journal du Droit Administratif ainsi qu’en publication (papier/en ligne) au JCP A :

CE, 10 février 1905, Tomaso Grecco
CE, 06 février 1903, Adrien Terrier
CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers
CE, 30 novembre 1903, Basileo Couitéas
CE, Sect., 18 décembre 1959, Les Films Lutétia
CE, 19 mai 1933, René Benjamin
CE, 26 juillet 1918, Epoux Lemonnier
CE, Ass., 07 février 1947, Bernard d’Aillières

Septième décision :
CE, 26 juillet 1918,
Epoux Lemonnier
c/ commune de Roquecourbe

#fautepersonnelle
#fautedeservice #cumul
#tirssurcible #fêtecommunale

Rec. Lebon : p. 761.
Bibl. : note de Maurice Hauriou
in Rec. Sirey 1918-1919-III-41.

Carte postale reproduisant par « photographie véritable » la promenade du Pontet
et le pont sur l’Agoût à Roquecourbe (Tarn).
Circa 1940 – Papier

En 1909, la promenade publique de la carte postale n’avait pas encore été aménagée. Elle le fut en 1910 et Mme Lemonnier qui s’y prit dans la joue une balle perdue s’en est bien souvenue

Les faits

Les époux Lemonnier ont décidé le 09 octobre 1910 de se rendre à la fête de la Saint-François à Roquecourbe. Deux animations y étaient particulièrement appréciées : l’existence de cibles flottantes sur lesquelles on plaçait des animaux tels des canards ou des lapins sur lesquels des tireurs s’exerçaient d’une rive. Face à elle, on venait d’aménager en 1910 une promenade publique dite du Pontet donnant sur la rivière de l’Agoût. Malheureusement pour elle, Mme Lemonnier reçut dans la joue une balle perdue tirée depuis l’autre rive et qui causa un irrémédiable préjudice : sa mâchoire fut détruite (et l’on ne put même pas récupérer le projectile). Sa vie s’effondra et son mari, qui la nourrissait par sonde, attaqua immédiatement le maire de la commune, Victor Laur, pour avoir permis l’irréparable. Il faut dire que tout l’accusait : non seulement il n’avait pas balisé l’accès à la promenade ou fait indiquer les risques de balles perdues mais surtout, quelques heures avant l’accident, des tirs avaient déjà frôlé des passants et le maire en avait été explicitement averti. D’ailleurs, le juge judiciaire (2e chambre de la Cour d’appel de Toulouse, 30 janvier 1913) ne s’y trompa pas et le condamna à 12.000 francs de dommages et intérêts en réparation de sa grave faute personnelle. Cela dit, pouvait-on aussi obtenir la condamnation de la commune de Roquecourbe par une faute de service ? C’était la question posée au Conseil d’Etat.

La portée

Pour statuer, le juge fut éclairé de conclusions de Léon Blum expliquant : « si la faute personnelle a été commise dans le service, ou à l’occasion du service, si les moyens et les instruments de la faute ont été mis à la disposition du coupable par le service (…), si un en mot, le service a conditionné l’accomplissement de la faute ou la production de ses conséquences dommageables (…), le juge (…) devra dire : la faute se détache peut-être du service – c’est affaire aux tribunaux judiciaires d’en décider -, mais le service ne se détache pas de la faute. Alors même que le citoyen lésé posséderait une action contre l’agent coupable, alors même qu’il aurait exercé cette action, il possède et peut faire valoir une action contre le service ». On en tirera ces enseignements : d’abord, un même fait peut entraîner la reconnaissance de deux fautes (personnelle et de service). Ensuite, l’administration étant toujours solvable, il y a intérêt à la poursuivre en priorité. Cela dit, l’existence d’une condamnation judiciaire (pour faute personnelle) n’empêche pas (comme ici) une action devant le juge administratif. Toutefois, en l’espèce, le juge après avoir acté l’existence d’une faute de service (outre celle personnelle) va également estimer le préjudice à 12.000 francs sous réserve de ce que le maire aurait déjà acquitté pour les mêmes dommages. Autrement dit, la victime ne sera pas doublement indemnisée mais aura le choix du débiteur : le maire ou la commune (qui peut se retourner au besoin contre son agent en cas de faute personnelle).

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