À propos de la non-suspension de l’arrêté d’interdiction d’un office religieux en l’honneur de Philippe Pétain

Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative.

Voici un extrait du prochain numéro :

TA Nancy, Ord., 14 novembre 2025, Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain (req. 2503618)

La Laïcité, c’est la séparation des Églises et de l’État mais qu’aurait pu en dire l’Ordre public ?

À propos de la non-suspension de l’arrêté d’interdiction d’un office religieux en l’honneur de Philippe Pétain

Chacun a entendu parler – le week-end dernier – du raffut médiatique provoqué d’une part par des défenseurs de la mémoire (sic) du Maréchal (nunc) Pétain de vouloir honorer, en marge des commémorations du 11 novembre, cette dernière lors d’un office religieux catholique en l’église Saint-Jean-Baptiste de Verdun et, d’autre part, l’interdiction – datée des 09-10 novembre précédents – par le maire de la commune de tenir cette réunion publique. Saisi en référé par l’association ADMP, le juge des référés du TA de Nancy y a fait droit en ordonnant la suspension de l’exécution de l’arrêté municipal de police. Une messe a donc bien eu lieu le 15 novembre 2025 en l’honneur de la mémoire du « héros de Verdun » et ce, parce qu’aucun trouble sérieux à l’ordre public n’aurait ici été en jeu.

Il nous semble que trois enseignements juridiques peuvent émaner du présent conflit (sans avoir même besoin de se prononcer sur l’idée même d’envisager sérieusement une défense de la mémoire de celui qui fut le chef non républicain et collaborationniste de l’État français) : il s’agit d’une application classique des conditions d’un référé suspension (1) et même des matérialisations d’interdiction, par une mesure de police, de troubles potentiels à l’ordre public (jurisprudence constante Benjamin (CE, 19 mai 1933)) sans pour autant porter atteinte au principe de Laïcité (2). Cependant, au regard de la notion même d’ordre public, le juge n’aurait-il pas pu imaginer une autre solution conduisant au rejet de la demande des requérants (3) ?

1. (…)

2. Il faut d’abord ici rappeler la façon dont ce contentieux de police s’inscrit également dans celui de l’organisation d’une République laïque. En effet, comme l’ont relevé les requérants, a priori ce n’est pas au pouvoir temporel municipal de décider ce qui doit ou non se faire dans les sphères religieuses et s’il faut par exemple prier (ou non) en faveur de telle ou telle personne et/ou lui rendre hommage. Concrètement, c’est d’abord ici la hiérarchie ecclésiastique qui a autorisé l’office litigieux (par l’intermédiaire de l’archevêque-évêque de Metz) et puisque les appels comme d’abus n’existent plus depuis 1905, il ne revenait ni au maire ni au juge de régler une question d’organisation a priori intérieure aux cultes même en Moselle où le régime concordataire est encore maintenu et déclaré conforme au principe dit constitutionnel de Laïcité. Cela dit, puisque ce n’était manifestement pas au maire de statuer en matière religieuse – du fait de la séparation des Églises et de l’État – il lui était toujours loisible d’arguer (ce qu’il a fait) de ce que l’office cultuel projeté risquait d’entraîner des troubles à l’ordre public, notamment en ce que « dans un contexte national d’antisémitisme » contemporain, comme l’a rappelé son conseil, on pouvait craindre des atteintes à la tranquillité et – pourquoi pas – à la sécurité publiques si des actions ou des manifestations en réaction à la messe avaient été pressenties. Toutefois, (…)

Et l’on passera rapidement sur l’indélicatesse d’oser rassembler dans une même invitation des prières pour les victimes du nazisme et de la collaboration vichyste (puisque de « toutes les guerres ») avec le repos de l’âme de celui que normalement en droit on ne devrait plus pouvoir appeler de son ancien titre déchu.

3. Existait-il, cela dit, (et nous ne disons pas du tout cela pour conseiller les juges nancéens du fond puisqu’au jour de leur jugement, la messe – c’est le cas de le dire – a déjà été dite le 15 novembre dernier) une possibilité pour le juge d’ordonner un rejet de la demande de suspension ? Nous le croyons. Il existe effectivement (…)

Or, si des propos antisémites qui allaient être prononcés ont été jugés contraires à cette notion pour interdire a priori le spectacle d’un humoriste (CE, Ord., 9 janvier 2014, req. 374508), ne pouvait-on pas a pari brandir la dignité de la personne humaine non pour protéger la dépouille et les doctrines antisémites du « Maréchal » mais la mémoire des « victimes de guerre » qui y ont été assimilées ? Nous l’aurions aimé d’autant plus que l’on a appris qu’à l’occasion de la messe litigieuse, des propos révisionnistes décrivant le célébré comme « le premier résistant de France » auraient été tenus. Le préfet de la Meuse en a porté plainte, certes, mais n’aurait-on pas pu éviter cette nouvelle entorse à la République réalisée sous la protection frelatée de la Laïcité ?

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