Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques décisions de la jurisprudence administrative.

Voici un extrait du prochain numéro :

Droit de grève « encadré » au nom du service minimum :

les communes ne sont pas encore prêtes à la culture de la négociation !

CAA de Marseille, 20 décembre 2022, Commune de Marseille (22MA02689)

Elle n’est pas encore arrivée la transformation du droit unilatéral des fonctions publiques en un droit du travail public et négocié. Ainsi, alors que la Loi du 6 août 2019 (à propos de laquelle on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina M., « Évolution dramatique ou révolution mathématique : la négation du service public et le retour du fonctionnaire contractuel » in Droit social n°03 ; mars 2020 ; p. 232 et s.) avait annoncé à grands renforts de communication un nouveau « droit » « transformé » des fonctions publiques, les partenaires publics employeurs et syndicaux ne s’y sont pas (encore) précipité. Le dialogue social prend son temps dans les fonctions publiques où la culture de la négociation n’est pas encore automatique ou habituelle. Et il en particulièrement ainsi dans la fonction publique territoriale.

Elles ont ainsi été rares les communes qui, depuis presque cinq années déjà, en application de l’art 56 de la Loi préc. du 6 août 2019, ont opté pour la « faculté » d’un encadrement négocié du droit de grève en engageant « des négociations en vue de la signature d’un accord visant à assurer la continuité des services publics de collecte et de traitement des déchets des ménages, de transport public de personnes, d’aide aux personnes âgées et handicapées, d’accueil des enfants de moins de trois ans, d’accueil périscolaire, de restauration collective et scolaire dont l’interruption en cas de grève des agents publics participant directement à leur exécution contreviendrait au respect de l’ordre public, notamment à la salubrité publique, ou aux besoins essentiels des usagers de ces services » (actuellement codifié à l’art. L. 114-7 Cgfp). « L’accord détermine, afin de garantir la continuité du service public, les fonctions et le nombre d’agents indispensables ainsi que les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible de ces services, l’organisation du travail est adaptée et les agents présents au sein du service sont affectés. Cet accord est approuvé par l’assemblée délibérante » (art. L. 114-8 du même Code). Il s’agit bien, dans six services publics estimés essentiels à la population par le législateur, de prévoir l’instauration négociée et potentiellement apaisée de services minimum.

Et, à l’heure où menacent de nouvelles (et continues) cessations de travail dans le cadre de la contestation de l’actuelle réforme des retraites, le présent arrêt de la CAA de Marseille marque l’actualité des fonctions et des collectivités publiques. En effet, alors qu’une délibération du conseil municipal marseillais en date du 8 février 2021 était venue approuver l’une de ces rares négociations passées entre trois organisations syndicales représentatives et l’employeur public des cantines et crèches phocéennes, quatre autres syndicats (qui avaient refusé de le conclure) en avaient demandé l’annulation contentieuse. En octobre 2022, y faisant droit, le TA de Marseille avait annulé ladite délibération ce contre quoi la commune avait interjeté appel au fond. Parallèlement, en application de l’art. R. 811-15 CJA, l’appelant avait demandé qu’il fût sursis à l’exécution de la décision juridictionnelle lui causant préjudice.

Toutefois, va répondre le juge d’appel, (…)

En l’espèce, le juge d’appel ne permet donc pas à la commune de voir suspendu le jugement du TA et vraisemblablement la décision au fond confirmera la première décision juridictionnelle. La délibération ayant validé l’une des premières négociations collectives au nom du service public continu est donc annulée et le droit de grève protégé. Peut-être va-t-on même bientôt réécouter Francesca Solleville lorsqu’elle chantait « Je me retrouve à l´atelier. Seulement, quelque chose a changé. J´ai compris que dans toute lutte. C´est aussi pour moi que ça lutte » (…) « C´est la grève, la grève ! Faut qu´on la gagne ou qu´on en crève. Et je dirais même, entre nous, vaut mieux manger des pommes de terre et rester debout et tenir l´ coup que manger du bifteck mais se mettre à genoux, Messieurs les patrons, devant vous » !

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