Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici des extraits du prochain numéro :

CAA de Bordeaux, 10 avril 2018, 3ème chambre, Semap (16BX00182 et autres)

Cotisations foncières sur blocs de béton

Les entreprises sont soumises à une cotisation foncière au titre notamment de l’art. 1447-0 du code général des impôts. Dans ce cadre, la société d’économie mixte de Peyragudes (Semap), exploitant le domaine skiable situé à cheval entre les Hautes Pyrénées et la Haute Garonne, a désiré contester la valeur locative de biens non passibles, selon elle, d’une telle taxation foncière. Concrètement, sur les deux télésièges de son patrimoine, la Semap faisait remarquer que si, effectivement, les gares en amont et en aval ainsi que les pylônes des câbles de transport des nacelles avaient entraîné des coûts conséquents et des constructions concrètes rentrant sans difficulté dans le champ d’application de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il en était en revanche différemment des simples socles desdits pylônes ; socles peu onéreux et constitués de « simples blocs de béton ».

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Ainsi, c’est à juste titre que leur valeur locative a été incluse dans les bases d’imposition de la Semap à la cotisation foncière des entreprises au titre des années litigieuses ». La neige – elle – se moque bien de ces considérations fiscales : elle tombe sur les pylônes comme sur les gares de télésiège : elle est « universelle » avait confié, non sans, raison René Théwissen.

CE, 11 avril 2018, Ministre de l’Intérieur (409648)

Rejet par le juge de cassation d’un « recours dans l’intérêt de la Loi »

En 1855, dans la dernière édition de ses Eléments de droit public et administratif, le doyen Foucart expliquait l’existence rare mais utile d’un « recours dans l’intérêt de la Loi » et ce, à l’appui de la jurisprudence CE, 10 mai 1851, Planchais (cf. au § 1941 et s. du Traité). Dans le sillage de la tierce opposition, ce contentieux, des mois ou des années après et malgré l’épuisement traditionnel des voies de recours, permet à quelques situations d’être sauvées sous strictes conditions (sur ce recours exceptionnel : cf. Apollis Benoît in RDP ; 2010 ; p. 1209 et s.). En l’espèce, en 2004, le préfet du Morbihan a prorogé la Déclaration d’utilité publique d’un projet de désenclavement communal dont un citoyen a demandé l’annulation en excès de pouvoir. En 2006, le TA de Rennes a rejeté cette demande tout comme, en appel, la CAA de Nantes et en cassation le CE par une décision du 14 octobre 2009 (req. 311999).

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Tout cela pour ça ! Tout ce temps pour si peu ! L’histoire est presque aussi longue que celle qui oppose les moines trappistes de l’abbaye Notre-Dame-de-saint-Rémy à la société Lhoist à propos de la source Tridaine qui abreuve la bière de Rochefort. A ce sujet, le Conseil d’Etat (belge) a rendu (CE, 03 avril 2018 (req. 241.200)) un arrêt dit de référé (et de suspension de permis) en attendant la suite.

CE, 13 avril 2018, Ass. du musée des lettres & manuscrits & alii (410939)

Des archives dites publiques du Général de Gaulle pendant l’Etat français

« Donnez-moi ce matin, ces heures – encore du petit matin – quand tout commence, donnez-moi, je vous prie, ce mouvement léger des branches, un souffle, rien de plus » écrivait le poète C. Esteban à propos de l’espoir et des lendemains. De l’espoir, le Général de Gaulle en a été plusieurs fois porteur pour la France et sa figure reste attachée à la République. Pourtant, qu’en est-il des documents qu’il a laissés ? Sont-ce tous (à l’exception des écrits privés) des archives publiques ? Le présent arrêt nous donne quelques indices en ce sens à propos de documents écrits pendant la période dite de l’Etat français. Rappelons en effet qu’au sens strict (historique mais aussi juridique), la qualification « d’Etat français » est réservée à la période dite de Vichy (du 10 juillet 1940 au 20 août 1944) et c’est pendant cette période – en l’occurrence entre le 11 déc. 1940 et le 11 déc.1942, que Charles de Gaulle a couché sur le papier 313 brouillons manuscrits de futurs télégrammes. Ces documents, dont la nature et la richesse historiques sont évidentes, ont été revendiqués comme archives publiques au sens de l’art. L 211-4 du code du patrimoine (Cdpat) par l’Etat à l’encontre de leurs propriétaires.

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Autrement dit, sont considérées comme archives publiques, les archives de l’Etat français (dont on continue cependant de nier l’existence) et celle de l’autorité qui n’était pas étatique mais dont la mémoire et l’orgueil nous poussent à les considérer comme tels. Ne serait-il pas plus simple d’affirmer, même si cela heurte à juste titre nos sensibilités, que « l’Etat français » a bel et bien existé comme Etat ce dont témoignent du reste des centaines de normes encore appliquées et transformées par la République (de la Licence IV au Rugby à XV, de la sirène du premier mercredi du mois à la carte nationale d’identité, du Smic au premier statut des fonctionnaires en passant par le carnet de santé obligatoire, etc.). La résistance, en revanche, et malgré sa reconstruction performative et a posteriori par l’ordonnance précitée de 1944, n’était pas l’Etat et luttait même contre l’Etat français. Aussi, que la protection de documents importants à l’instar de ces 313 documents d’archives, poussent l’Etat et le CE à sa rescousse à les considérer comme « archives publiques » n’est en rien choquant et l’on comprend la démarche réalisée mais la justification, quant à elle, nous semble discutable. Ne pouvait-on pas simplement parler d’un raisonnement a pari ou encore solliciter l’alinéa 2 de l’art. L 211-4 Cdpat (en assimilant les groupes de résistants à des personnes de droit privé exerçant une mission d’intérêt général (et donc de service public) manifeste) ?

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