Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques décisions de la jurisprudence administrative.

Voici un extrait du prochain numéro :

CÉ, 22 juillet 2022, Ministère de la Culture (458590)

Indemnisation du droit de jouissance d’un bien public inaliénable et imprescriptible détenu de bonne foi par son ancien possesseur

Que les biens du domaine public, même mobiliers, soient inaliénables et imprescriptibles (art. L. 3111-1 Cg3p) n’est pas une nouveauté. En revanche, sous l’action notamment du droit européen des droits de l’homme, le juge administratif accepte plus facilement d’indemniser les conséquences de la reprise par l’État d’un bien détenu, à tort, par un possesseur de bonne foi. C’est ce que va énoncer ici le CE à propos d’un manuscrit attribué à St Thomas d’Aquin.

« Nous valons ce que valent nos joies » est l’une des phrases tirées de la célèbre Somme de St Thomas dont les reliques reposent notamment dans le somptueux couvent des Jacobins de Toulouse. « Nous valons ce que valent nos joies » mais combien vaut un manuscrit comme ce « commentaire de l’évangile selon St Luc » attribué au « docteur angélique » Tommaso d’Aquino ? En 1901, une famille en a fait en tout cas l’acquisition lors d’enchères mais a décidé à la fin du siècle dernier de s’en séparer. A cette fin, les possesseurs du manuscrit devaient d’abord le mettre en dépôt de 1991 à 2016 auprès d’archives départementales ce qui a été respecté. Par suite, suivant l’art. L. 111-2 du Code du patrimoine, la famille a sollicité par son mandataire en 2018 « la délivrance du certificat requis pour l’exportation hors du territoire national des biens culturels, autres que les trésors nationaux, présentant un intérêt notamment historique ou artistique ». Malheureusement pour elle, l’État (qui n’avait pourtant rien dit entre 1991 et 2016) s’est réveillé, a refusé de délivrer le certificat sollicité et a même demandé la restitution du manuscrit « en se fondant sur la circonstance qu’il faisait partie de la bibliothèque de la chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, devenue la chartreuse d’Aubevoye, lors de l’intervention du décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 plaçant tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation ». En conséquence, le manuscrit apparaissait-il comme un bien meuble du domaine public national/étatique : protégé par son inaliénabilité et son imprescriptibilité notamment. Peu importe les siècles passés, le manuscrit demeurait un trésor de la Nation et l’État entendait bien le récupérer. En 2020, un jugement, devenu définitif, du TA de Paris a confirmé la légalité de ce « retour » en domanialité publique mais la famille, dépossédée, a cherché à en obtenir une indemnisation. Elle a alors demandé (…)

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