Voici un extrait de mon Dictionnaire de droit public interne (Paris, LexisNexis ; 2017) :

(Paul Amédée) Gaston Jèze est né le 02 mars 1869 à Toulouse et décédé le 05 août 1953 à Deauville (où il repose encore au cimetière communal auprès de deux de ses enfants). Sa carrière fut mouvementée : riche, fructueuse et engagée (I à III).

I. Un universitaire publiciste généraliste investi

Jeze fit ses études à Toulouse où il y obtint son doctorat (le 02 juillet 1892). Il exerça d’abord comme rédacteur (administrateur) à la préfecture de la Seine puis donna quelques cours de droit public à la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence jusqu’au concours d’agrégation de 1901 (dans le jury duquel étaient Léon Duguit (1859-1928) et Raymond Carré de Malberg (1861-1935)) qui le conduisit à devenir professeur à Lille où il décrocha sa titularisation en 1905. Il rejoint par suite Paris en 1912 comme professeur adjoint puis comme titulaire pérenne en 1918. Il y conquiert la chaire de finances publiques en 1923. Ses enseignements lui permirent essentiellement de se consacrer au droit administratif ainsi qu’aux fonctions et aux finances publiques naissantes. Il écrivit d’ailleurs (avec Max Boucard (1855-1922), maître des requêtes au Conseil d’Etat) l’un des premiers ouvrages universitaires consacrés à ce sujet (Eléments de la science des finances et de la législation financière française ; 1896) et fonda la première revue spécialisée en la matière (la Revue de science et de législation financières, 1903). Parallèlement, il fit également publier des Principes généraux du droit administratif (1904) et (la même année) cofonda avec Hauriou (1856-1929) l’Année administrative. Cette entreprise s’est doublée d’une importante collaboration à la Revue de droit public (fondée en 1894) qu’il dirigea jusque dans les années 1940. Enfin, il fut, pour chacune de ces deux disciplines, sensible à la pénétration des doctrines étrangères. Aussi créa-t-il deux collections où il y fit traduire des ouvrages importants : la Bibliothèque internationale de science et de législation financière et la Bibliothèque internationale de droit public. Il traduisit lui-même quelques titres. En retour, on lui demanda parfois (comme le fit Georg Jellinek (1851-1911) pour l’Allemagne), de présenter le droit administratif français dans d’autres langues et d’autres pays. En résulta la parution, en 1913, de Das Verwaltungsrecht der Französischen Republik.

II. Un académique « hors normes » aux services de la Cité

Jeze ne fut alors pas un universitaire comme les autres mais un génie, bourreau de travail, parfois incompris et méprisé de ses collègues pour cette raison qu’il ne se fondait pas en totalité dans le « moule académique » ce qui se traduisait même formellement par son refus, dans les années 1930, de porter la toge (l’uniforme académique) pendant ses leçons qu’il tenait en veston ! Ce symbole n’était pas qu’anecdotique. De même, avait-il osé en 1896 sortir ses Eléments de la science des Finances alors qu’il n’était pas (encore) agrégé. En outre, il avait accepté de conseiller plusieurs personnages politiques (en France et même à l’étranger comme à Genève (notamment en 1935 devant la Société Des Nations (Sdn) et ce, en faveur du Négus d’Ethiopie, Hailé Sélassié (1892-1975) qu’il défendit ardemment ès qualité de conseiller et qui fut ostracisé de son pays par les troupes de Mussolini (1883-1945)). Or, autant un professeur cumulant les fonctions d’avocat semblait (et semble encore) naturel aux juristes, autant cet autre cumul (peut-être aussi par jalousie(s) ?) plus politique dérangeait. De surcroît, Jeze était homme de convictions. Il se présenta d’ailleurs aux législatives (en Guadeloupe en 1919) mais ne fut pas élu. Il participa au « livre manifeste » du Cartel des gauches : La politique républicaine (1934). Engagé (radical socialiste), il fit partie de ceux qui dénoncèrent expressément le fascisme puis le nazisme ce qui lui valut de nombreuses manifestations estudiantines aux relents d’antisémitisme et le conduisit même à annuler des cours (1935-1936) escorté par la police puis à démissionner en 1937.

III. Un promoteur réaliste de la notion – définie – de service public

Enfin, Gaston Jèze est surtout estimé de nos jours pour la portée doctrinale qu’il donna à la notion de service public ; notion qu’il accepta, quant à lui, de définir (ce que Duguit refusait) et qu’il lia à une conception dite réaliste et subjective centrée sur la notion d’intérêt général ce que nous avons traduit dans le présent dictionnaire par la théorie dite du post-it. Positiviste convaincu, on l’a même vu (en 1944) faire un commentaire de la législation antisémite. De fait, Jeze est-il le véritable « père » d’une Ecole du service public (si tant est qu’une telle Ecole ait réellement existé) car c’est sa théorie (plutôt que celle de Duguit dont il s’inspira certes dans les grandes lignes originelles mais qu’il transforma fortement) qui est majoritairement passée à la postérité et qui réussit, un temps, à supplanter celle de la puissance publique. C’est encore la notion de service public qu’il caractérisa de « pierre angulaire du droit administratif » et qui l’aida à formaliser une théorie des contrats administratifs.

Op. :      Eléments de la science des finances (…) (1896) ; Les principes généraux du droit administratif (1904) ; Les finances de guerre de la France (1914-1920) ; L’exécutif en temps de guerre (…) (1917) ; Théorie générale des contrats de l’administration (1934-1936).

Cit. :      « Le service public est aujourd’hui la pierre angulaire du droit administratif français » (in Das Verwaltungsrecht der Französischen Republik ; Tubinguen ; Mohr ; 1913 (en langue allemande puis dès 1914 dans ses Principes généraux …)).

Biblio. Milet Marc, La Faculté de Droit de Paris face à la vie politique. De l’affaire Scelle à l’affaire Jeze. 1925-1936 ; Paris, Lgdj ; 1998 ; Waline Marcel, « L’œuvre de Gaston Jèze en droit public » in Rdp 1953, p. 879 ; « Colloque Jèze » in Rhdf 1991, n° 12 ; Dhjf ; p. 554.

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