Nous sommes aujourd’hui le 1er novembre, c’est la Toussaint et demain la fête des morts, quoi de plus logique – donc – que de réfléchir avec vous au statut juridique de nos défunts à travers ce commentaire d’arrêt :

Publication n°04 – du confinement de novembre 2020
Extraits de la Revue Droit & Santé (c)
– 2017 – Pr. Mathieu Touzeil-Divina (c)

Enfin, le cadavre ne serait plus
une « chose »
mais une « personne »
en Droit ?

Mathieu Touzeil-Divina
Professeur de droit public à l’Université Toulouse I Capitole
Président du Collectif L’Unité du Droit

A part un deuil évité ou une naissance, qu’est-ce qui rend les membres de la doctrine les plus heureux du monde ? Lorsque le Droit semble évoluer alors que peu de personnes y croyait et que vous faites partie de la doctrine ayant annoncé l’évolution en cours. C’est exactement ce qui s’est passé le 07 juin dernier – suite au prononcé de l’arrêt de la chambre criminelle (Cass. Crim., 07 juin 2017, pourvoi n°16-84120) ici brièvement commenté (et qui fera l’objet d’observations plus détaillées ultérieures) – pour Mme Bouteille-Brigant (Maître de conférences de droit privé à l’Université du Maine) et pour l’auteur de ces lignes. En effet, en 2014 nous avions soutenu au sein d’un Traité que nous avons co-dirigé (cf. Traité des nouveaux droits de la Mort ; Lextenso-L’Epitoge ; 2014) avec notre amie (et de surcroît collègue) que le cadavre d’un être humain (qui fut juridiquement une « personne » en vie) ne devait pas – ou plutôt plus – être considéré à l’instar des choses – et même des biens – mais à l’image des vivants : comme une personne (Cf. « Du cadavre : autopsie d’un statut » in Traité (prec.) ; Tome II ; Chap. VIII, Section 05 ; § 888 et s.).

Bien sûr, quelques jours seulement après le prononcé de l’arrêt ici commenté, il ne s’agit pas d’affirmer que l’ensemble du Droit a évolué et que l’ensemble de la doctrine en est convaincu. Cet arrêt de la chambre criminelle n’est qu’une pierre supplémentaire qui s’inscrit dans une démonstration plus longue et plus complexe mais nous avons la faiblesse de croire qu’il s’agit d’une pierre angulaire à partir de laquelle, demain, le droit des personnes, en France, va enfin accueillir les « personnes décédées » en son sein. Ce n’est effectivement pas en un ou deux arrêts que tout va changer même si – pour se faire – la notion de dignité est un argument majeur (II) mais contre elle se dressent des siècles de tradition juridique qu’incarne ici notamment la décision du 18 mai 2016 de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Pau (I).

I. La tradition juridique :
le cadavre, chose dénuée de personnalité

Les faits de l’affaire étaient – du reste (sic) – relativement simples : le centre hospitalier universitaire de Bordeaux avait – pour des raisons médico-légales et sur ordres de l’autorité judiciaire (dans une affaire criminelle et suite à la découverte d’un corps non identifié à autopsier) – conservé un cadavre « ainsi que des scellés toxicologiques, anatomo-cytopathologiques et d’examen radiologique durant 448 jours » jusqu’à ce qu’enfin il soit donné un permis d’inhumer (on notera que ce temps particulièrement long justifierait a priori et en application de Cedh, 30 oct. 2001 une condamnation potentielle). Les frais avancés par le centre pour la conservation du corps s’élevaient alors à plus de 22 400 €. Or, le magistrat taxateur avait dans cette affaire symboliquement réduit le chiffre avancé par l’hôpital au titre des frais de Justice à la participation d’une cinquantaine d’euros et ce, en application de l’art. R. 147 du code de procédure pénale (cpp) à propos du tarif de la conservation des scellés. Le centre hospitalier s’opposant à cette réduction drastique des frais, un contentieux s’en était formé.

Cela dit, l’arrêt du 07 juin 2017 comporte plusieurs enjeux et questionnements juridiques que ne traduisent pas les présentes et nécessairement courtes observations centrées sur la question du statut juridique de la personne décédée. En effet, plusieurs autres questions ou discussions juridiques méritent a minima d’être citées : d’abord, entre en jeu la question de la valeur (le juge tranchera en en déclarant la caducité suite à l’adoption du nouveau schéma national de médecine légale) d’une convention du 18 février 1999 signée entre le Ministère de la Justice et le centre hospitalier et qui aurait permis à l’hôpital de ne pas subir la réduction des frais imposée. Par suite, il faut citer également l’inconventionnalité ici reconnue de l’art. R 147 cpp au regard non seulement de l’art. 14 de la Cesdhlf mais également de l’art. premier du protocole additionnel à cette Convention. En effet, en instaurant une différence de traitement des indemnités accordées aux gardiens de scellés selon leur résidence parisienne (0.46 € par jour) ou provinciale (0.30 € par jour), une discrimination inconventionnelle se matérialise. Par ailleurs, était-ce vraiment au magistrat taxateur de fixer le prix litigieux alors que l’art. R. 2223-94 du Cgct désigne désormais le directeur de l’établissement de soins ? Enfin, relève la Cour de cassation, la chambre paloise de l’instruction ne s’était même pas interrogée sur la nature de la convention précitée : passée entre deux personnes morales de droit public, relevait-elle vraiment de la compétence judiciaire ? Pouvait-on y appliquer la théorie de l’imprévision qui aurait bouleversé l’équilibre contractuel ? La Cour de cassation a ainsi relevé plusieurs erreurs et même contradictions dans les motivations de la chambre occitane mais elle va – après les avoir exposées – les balayer en relevant un point – central – qui semblait ne pas avoir marqué les juges palois et qui va rendre inutiles les autres discussions : celui de l’inapplicabilité de l’art. R. 147 cpp alors qu’il paraissait évident – sinon naturel – aux juges de Pau (B) comme à la doctrine et à la jurisprudence majoritaires (A) de l’appliquer.

A. Le cadavre, une « chose » consacrée par la doctrine et par les normes

A priori, pour des raisons pratiques évidentes et parce que le cadavre ne fait – par définition – plus état de volonté(s) une fois la mort déclarée (mais quelquefois même avant ainsi qu’en témoigne la douloureusement célèbre affaire Lambert (cf. Touzeil-Divina Mathieu, « Ultima necat ? Quatrième décision « Lambert » en six mois : non à l’acharnement ? » in Jcp A ; n°26 ; 30 juin 2014 ; act. 539), le cadavre humain est considéré comme une chose (et parfois même comme un bien) et ce, non seulement par la doctrine très majoritaire mais encore par la plupart des normes législatives et réglementaires. Le raisonnement de cette tradition juridique est simple : seul devrait être considéré comme personne l’être humain en vie. En conséquence, l’embryon comme le cadavre ne pourraient appartenir qu’à la catégorie « fourre-tout » sinon accueillante des « choses » qui s’opposent – dans leur définition même – à la reconnaissance d’une personnalité. En ce sens, le Code pénal (art. 321-1 et 434-7 combinés) prévoie-t-il que le recel de cadavres est considéré comme celui de la dissimulation d’une chose. La doctrine quasi unanime, en droit privé, présente-t-elle également le cadavre hors de la catégorie des personnes (par ex. Teyssié Bernard, Droit civil – les personnes ; 2016, § 121 et s.) en insistant sur l’absence de potentialités de droits et d’obligations d’un cadavre qui ne pourrait conséquemment qu’être une chose.

Au Moyen-Âge, cela dit, parce que le Droit – et surtout l’économie – avaient besoin qu’une collectivité d’êtres ait la possibilité de posséder et de faire fructifier un patrimoine, on inventa la notion de personnalité morale. Cela fit du bruit. On crut et on invoqua la disparition du droit millénaire des Romains ayant consacré les personnes, les choses et les actions et finalement la terre continua de tourner. La tradition, lorsque les intérêts et la volonté politique sont présents, cède toujours.

B. Le cadavre, une chose parmi d’autres au regard de l’art. R. 147 cpp

Il est conséquemment très logique que les juges palois aient considéré le cadavre litigieux au titre des choses et que le magistrat taxateur ait appliqué l’art. R 147 cpp pour statuer sur un « gardiennage de corps assimilable à la conservation des objets tels que prévus » à l’article précité. Après tout, le cadavre n’a plus les attributs essentiels de la personnalité juridique (ce qui est indéniable) et il ne peut plus en faire état en qualité de sujet de droit(s). Par ailleurs, singulièrement après 448 jours, les aspects extérieurs de la personnalité s’estompent davantage avec la putréfaction.

Et, à part quelques auteurs (comme le Toulousain Gabriel Timbal qui revendiquait une théorie de la « demi-personnalité » (La condition juridique des morts ; Toulouse ; Privat ; 1903) ou plus récemment avec les interrogations portées par le – tout aussi Toulousain – professeur Xavier Bioy (au Traité précité mais aussi dès sa thèse portant sur le concept de personne humaine en droit public (Dalloz ; 2003)), rares sont les auteurs, les normes ou les jurisprudences revendiquant un statut de personnalité cadavérique. Une autre thèse remarquable a précisément étudié la catégorisation des corps (Paris I, Mme Carayon ; 2016) et mérite, pour ses conclusions fines et argumentées, une diffusion massive.

Par ailleurs, quelques arrêts (de la chambre criminelle déjà et comme Cass. Crim., 03 févr. 2010, pourvoi n°02.83.468 ; Bull. crim. n°18 ) avaient bien montré l’embarras récent des juges à oser affirmer que le cadavre était assimilable à un objet en affirmant par exemple que « les prélèvements faits sur le corps humains à des fins médico-légales (…) ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial aux termes de l’article 16-1 du Code civil » et « ne constituent pas des objets susceptibles de restitution au sens de l’article 41-4 du Code de procédure pénale » mais il manquait une affirmation plus nette et désormais réalisée.

II. La novation juridique :
le cadavre, personne qui implique la dignité

En effet, formellement tout d’abord, la Cour retient que les frais de Justice visés par l’art. R. 147 cpp « ne comprennent pas ceux de conservation d’un corps, dans une chambre mortuaire, sur réquisition d’une autorité judiciaire ». Par suite, elle ajoute qu’en « se déterminant ainsi, alors que le corps déposé en chambre mortuaire, s’il était sous main de justice, ne constituait pas pour autant un objet placé sous scellé et que les frais de conservation de corps relèvent des frais de justice criminelle, correctionnelle et de police prévus par l’article R. 92 cpp et doivent être fixés par le juge taxateur, la chambre de l’instruction » s’est fourvoyée. Consacrant en conséquence une cassation de l’arrêt du 18 mai 2016, la Cour va être encore plus explicite (à propos de la question qui nous intéresse ici) dans le corps de ses attendus : invoquant le respect de la dignité de la personne humaine même défunte (A) et conséquemment sa protection (B).

A. Le cadavre, une « personne décédée » digne à respecter

Le « respect dû au corps humain » et donc à l’intégrité corporelle « ne cesse pas avec la mort » comme en disposent l’art. R. 4127-2 (alinéa 2) du CSP ou encore l’art. 16-1-1 du Code civil notamment depuis sa rédaction issue de la Loi funéraire n°2008-1350 du 19 décembre 2008. « Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traitées avec respect, dignité et décence ». C’est effectivement depuis plusieurs années la notion – certes sulfureuse – de dignité de la personne humaine qui semble s’imposer en la matière. Or, à qui est attribuée cette dignité ? A une chose ?

Ici il n’est effectivement plus question de choses mais bien de personnes.

En prenant acte, la Cour de cassation précise même ici « que le principe constitutionnel et conventionnel de dignité de la personne humaine s’applique au corps humain après la mort ; que selon l’art. 16-1-1 du code civil, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et « qu’en assimilant ainsi la corps humain d’une personne décédée à un objet, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés ». C’est – selon nous – une véritable révolution juridique qui se met enfin en marche. D’autres traces de cette reconnaissance d’une personnalité juridique cadavérique existent par ailleurs et notamment à l’art. L. 225-17 du Code pénal qui punit – au titre des atteintes aux personnes – toute atteinte à « l’intégrité du cadavre ». Récemment la CA de Chambéry avait également osé affirmer que « le corps humain n’est pas une chose au sens des dispositions de l’article 1242 alinéa 1 in fine du code civil » (2e ch., 19 janv. 2017, n° 16/00560). Le changement de paradigme est ainsi bien amorcé.

B. Le cadavre, une « personne défunte » à protéger

Et, même si la notion d’origine philosophique est effectivement discutable (par ex. lorsqu’elle est employée – malgré eux – à propos d’être vivants capables d’exprimer leur(s) volonté(s) comme dans le cadre de la jurisprudence dite Dieudonne (Cf. « « Valse (contentieuse) avec Dieudonne » : liberté ou ordre public ? », Gaz. Pal.  22-23 janvier 2014 ; p. 05) ou celle dite du lancer de nains (CE, Ass., 27 oct. 1995), il nous semble qu’appliquée à des cadavres, elle est des plus logique car ceux-ci doivent faire l’objet d’une protection par la communauté des vivants.

C’est exactement le sens de la proposition de Loi que nous avions émise en 2014 au sein du Traité préc. et nous espérons donc que bientôt, de manière encore plus explicite que dans l’arrêt ici observé, le Droit permettra à chacun d’exprimer ce que le ressenti personnel reconnaît déjà : un cadavre est une personne.

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