extraits du
Dictionnaire de Droit public interne
Mathieu Touzeil-Divina (c) ; 2017 LexisNexis

Girondin de souche, né à Libourne le 04 février 1859 et ayant effectué de brillantes études à Bordeaux où il décédera le 18 décembre 1928, Léon Duguit est considéré comme l’un des pères du droit public français au côté d’Hauriou (1856-1929) ; les deux ayant souvent été qualifiés de frères ennemis alors qu’ils étaient bien plus proches qu’on ne l’a mystifié. Il débuta sa carrière à Caen puis rejoignit la Faculté de Bordeaux qui en fera son doyen de 1919 à sa mort. Il y enseignera les droits constitutionnel et administratif, deviendra conseiller municipal, s’investira dans plusieurs sociétés locales dont l’association de défense du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli (dont il fut le président) rendue célèbre par la jurisprudence éponyme du Conseil d’Etat (CE, 21 décembre 1906). Il échouera cependant dans sa tentative de rejoindre l’Assemblée Nationale. Sa tombe est d’ailleurs encore visible au cimetière bordelais de la Chartreuse. Présentons-le en trois temps (I à III).

I. La doctrine incarnée :
le Droit tel qu’il devrait être

Pour Duguit, à la différence de Jeze (1869-1953), les professeurs n’ont pas à « coller » au droit positif. Plus encore, au lieu de se contenter de le décrire en tentant de le justifier coûte que coûte, ils doivent systématiser le Droit tel qu’il devrait être selon eux. Comme Foucart (1799-1860) avant lui, Duguit concevait donc sa mission comme essentielle et refusait de considérer comme nécessairement justes et positives les normes et jurisprudences qu’il présentait. Il acceptait conséquemment de les critiquer (parfois même vertement) : « le juriste manque à sa mission s’il n’indique pas au Législateur » ou au juge « quel est » selon lui « le Droit ». On peut dire qu’il a véritablement incarné ce que la doctrine doit être ; raison pour laquelle il eut de multiples disciples même si aucun d’eux n’a en totalité suivi sa vision. Il n’a donc pas été (au sens où nous avons défini (Cf. infra) le terme « Ecole ») le chef de l’Ecole dite du service public qui n’est qu’un mythe et traduit plutôt un courant de pensée(s) et de doctrine(s) issues de la pensée duguiste mais évoluant au fil des auteurs s’en rattachant ou qui y furent rattachés (dont Rolland (1877-1956), Jèze, Bonnard (1878-1944) ou de Laubadère (1910-1981) par exemple). C’est alors bien une nouvelle manière de penser et de réinventer le Droit dans son ensemble que nous a invités à adopter Duguit. Après lui, les juristes n’ont ainsi pu feindre de ne concevoir le Droit qu’à l’instar d’un artifice fictif, technique et juridique : le Droit est devenu indissociable de la Sociologie. Le doyen ajoutait très justement à cet égard : « que le droit n’est point cette construction édifiée de toutes pièces par les juristes sur le fondement peu stable du droit individuel ou de l’omnipotence de l’Etat, que tout cet ensemble de fictions et d’abstractions s’évanouit à la simple observation de la réalité ». Avec Duguit – affirmons-nous – on peut enfin découvrir le Droit en trois dimensions : juridique (et technique), sociologique et politique.

II. Le service public révélé :
l’Etat devenu légitime

Pour Duguit, l’importance du droit dit objectif est capitale. Selon lui, les normes s’imposent aux gouvernants qui n’ont pas d’autre choix que de les transposer. Duguit nie alors aux autorités (même s’il est conscient qu’il existe) un pouvoir d’appréciation et de subjectivisation et affirme que celles-ci ne peuvent que s’y plier. Elles ne sont donc pas créatrices du Droit mais n’en sont que les passifs serviteurs. La volonté humaine n’a alors aucun rôle à jouer dans la création duguiste du Droit. Toute la doctrine de l’auteur (notamment dans son Traité) est ensuite tournée vers une vision sociologique solidariste (influencée notamment par Durckheim (1858-1917) et Bourgeois (1851-1925)) ainsi que vers une théorie de l’Etat entendu comme un faisceau de services publics.

III. Le service public identifié mais non défini

Duguit va toujours appliquer une conception objective desdits services qu’il va bien se garder de définir mais qu’il va seulement vouloir identifier partant du principe que ces activités sont le fruit des relations et de l’interdépendance sociales qui s’imposent, là encore, aux gouvernants et non un simple reflet de l’intérêt général, concept jugé (comme ceux de souveraineté et de personnalité morale) trop métaphysique. Gardons-nous bien conséquemment de dire de Duguit qu’il a défini le service public par des critères car, précisément, il s’y est toujours opposé en se contentant de seulement vouloir et pouvoir l’identifier par des indices. Il faut, cela dit, retenir que la théorie du doyen bordelais fut entièrement travaillée par et pour la finalité de l’action étatique (ce qui lui vaudra d’être affublé du qualificatif « d’anarchiste de la chaire » par Hauriou !) : l’Etat n’étant et ne devenant légitime que s’il sert et met en œuvre les services publics qui lui sont assignés. Matérialisant l’interdépendance sociale, le service public devient conséquemment pour Duguit une véritable « machine » à produire l’Etat légitime ; ce dernier n’étant autorisé à utiliser ses prérogatives de puissance publique qu’en présence d’une telle finalité.

Léon Duguit revu par la série Droit & Playmo !

Op. :      L’Etat, le droit positif et la Loi positive (1901) ; Manuel de droit constitutionnel (1907) ; Traité de droit constitutionnel (1911 – 1925) ; Les transformations (…) du droit privé (1912) du droit public (1913).

Cit. :      « Le droit public est le droit objectif des services publics » (1913).

Biblio. Blanquer Jean-Michel & Milet Marc, L’invention de l’Etat ; Duguit & Hauriou et la naissance du droit public moderne ; Paris, Odile Jacob ; 2015 ; Espagno Delphine, Duguit : de la Sociologie et du Droit ; Le Mans, L’Epitoge-Lextenso ; 2013 (préface Touzeil-Divina Mathieu, « Relire Duguit en 3d ») ; Autour de Duguit ; Bruxelles, Bruylant ; 2011 ; Pacteau Bernard, Duguit à Bordeaux (…) ; Pub ; 2009 ; Pisier-Kouchner Evelyne, Le service public dans la théorie de l’Etat de Léon Duguit ; Paris, Lgdj, 1972 ; Congrès (…) ; 1959 ; Dhjf ; p. 358.

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