Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

CE, 16 février 2018, Mme A. (395371)

Autorité (confirmée) de la chose (même mal) jugée par la juridiction pénale

Le présent arrêt est une mine d’or pour tous ceux cherchant à examiner le fameux « dialogue des juges ». Il est relatif, au fond, à un contentieux fiscal opposant une société et sa gérante (britanniques) à l’administration fiscale française ; les premières contestant l’impôt sur les sociétés (art. 209 et s. CGI) que voulait mettre en œuvre à leur égard le fisc pour les années 2005 à 2007. Concrètement, la société litigieuse exerçait une « activité d’intermédiaire pour la location saisonnière » de biens immobiliers sur la Côte d’Azur et se réclamait du seul droit anglais et de son imposition alors que le fisc français, au visa de la convention franco-britannique du 22 mai 1968, estimait que la société devait être imposée en France car elle pouvait y être qualifiée d’entreprise établie de façon « stable » c’est-à-dire disposant « d’une installation fixe d’affaires par laquelle elle exerce tout ou partie de son activité, soit [ayant] recours à une personne non indépendante exerçant habituellement en France des pouvoirs lui permettant de l’engager dans une relation commerciale ayant trait aux opérations constituant ses activités propres ».

(…)

Autrement dit, le juge pénal a vu l’inverse de ce qu’a conclu le juge administratif pour 2005 (et ce, pour les mêmes faits !). Ne désirant pas totalement perdre la face et épris d’une « philosophie » que ne démentirait la chanteuse Mme Bent (« viser la lune, ça me fait pas peur »), le Palais royal a raisonné en deux temps qui témoignent de son agacement et de sa volonté d’affirmer sa qualification des faits. En ce sens, a-t-il d’abord reconnu une matérialité des faits pour 2005 et conclu à la bonne qualification juridique par le fisc français puis – pour 2006 et 2007 – même s’il ne partage pas les conclusions de son homologue pénal, il a accepté – du fait de « l’autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives » de consacrer (tout en ayant pris soin de le critiquer explicitement sinon de le « démonter ») le raisonnement pénaliste. L’unité du Droit et de la Justice y perdent car les mêmes faits sont interprétés de façon diamétralement opposés mais le système juridictionnel le permet encore et l’orgueil de chacun (celui du Conseil d’Etat comme celui de la Cour d’appel provençale) a été sauvegardé. La société quant à elle échappera pour 2006-2007 au fisc français mais aura la joie de lui faire face pour 2005.

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