Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici des extraits du prochain numéro :

CC, 2017-695 QPC, 29 mars 2018, Rouchdi B. & alii

Censures et réserves multiples de la Loi RSI & lutte contre le terrorisme

Elle était très attendue cette décision QPC (qui vient compléter celle n°2017-691 QPC du 16 février 2018) et elle ne manquera pas d’être commentée tant elle est critique vis-à-vis du projet initial de l’exécutif et tant elle aurait peut-être pu même l’être encore davantage. Plusieurs décisions (dont CE, ord. 11 janvier 2018, Communauté musulmane de la Cité des Indes (416398) avec nos obs. à cette Revue) en attendaient la matérialisation et elle s’est opérée à la suite d’un renvoi du Conseil d’Etat (CE, 28 décembre 2017, 415434). Dans le cadre des présents résumés, il sera impossible d’en détailler l’ensemble mais il importe au moins et déjà de retenir qu’elle a été rédigée en quatre séries de dispositions relatives au contrôle a posteriori de la constitutionnalité de plusieurs articles (dont L 227-1 à L 229-5) du Code de la sécurité intérieure dans leur rédaction issue de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

(…)

En outre (3ème série de dispositions), à propos des mesures permettant au ministère de l’Intérieur de poser désormais des interdictions de fréquenter certaines personnes (aux fins de prévenir la commission d’actes terroristes), le Conseil a – globalement – accepté le principe même de la prohibition mais, au nom du droit de mener une vie familiale normale, il l’a entouré de trois réserves singulièrement constructives où il apparaît davantage en législateur créatif et prescriptif qu’en juge constitutionnel. En ce sens, le juge a-t-il créé ex nihilo un délai de douze mois (comme dans la décision QPC 2017-691 préc.) maximum d’application de la mesure et censuré la façon dont le juge administratif devait les contrôler. Toutefois, pour permettre au législateur de mettre en conformité la Loi avec le droit à un recours juridictionnel effectif, l’abrogation décidée des dispositions ne sera effective qu’au 01 octobre 2018.

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CE, 26 mars 2018, Union syndicale Solidaires

Contestation de la représentativité syndicale au CESE

Le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) dont certains attendent, espèrent ou annoncent toujours la fusion avec le Sénat de la République est une assemblée multiforme (à l’instar du désormais célèbre couscous Belda) composée de 233 membres répartis en sections et assurant une représentation de la société civile, sociale et économique auprès de l’Etat et notamment du législateur. L’assemblée consultative contient notamment, outre des personnalités qualifiées et directement nommées par le gouvernement, 69 représentants de salariés désignés par les organisations syndicales les plus représentatives « en tenant compte » selon l’ordonnance du 29 décembre 1958 instituant l’organe et interprétée ici par le Conseil d’Etat « de leurs résultats aux diverses élections professionnelles au niveau national ». Dans le cadre du renouvellement de l’institution, à l’automne 2015, plusieurs décrets (ici attaqués par le Syndicat Union Syndicale Solidaires (USS)) ont procédé aux désignations qui ont conduit à l’élection, à la tête du CESE, de son nouveau président (M. Patrick Bermasconi).

(…) On conseillera donc au syndicat requérant de continuer, selon les mots de la philosophe et chanteuse Mme Bent, à « viser la lune » en espérant pour lui que sa représentativité soit enfin davantage appréhendée.

TA de Lille, 26 mars 2018, Association « Mine de savoir »

Suspension de l‘opposition à l’ouverture d’une école privée musulmane et éco-citoyenne

La présente ordonnance est particulièrement intéressante car elle révèle – par-delà les mots juridiques – des maux et peurs sociétales. En l’occurrence, une association cherchait à ouvrir une école privée dite musulmane et éco-citoyenne. Selon le code de l’Education nationale (not. Art. L 441-1 et s. et L 241-7), la procédure d’installation d’une telle école privée suit un schéma par lequel après une déclaration d’intention d’installation en mairie, dont est accusée réception, non seulement la commune mais aussi le rectorat, au nom de l’Etat et du service public national de l’Education nationale, peuvent s’opposer à l’ouverture projetée et ce, au nom « des bonnes mœurs ou de l’hygiène ».

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Cass., Crim, 21 mars 2018 (n°360 – 17-81.011)

Condamnation confirmée du Shérif biarrot

Dans plusieurs systèmes juridictionnels, il existe – comme en Italie – des frontispices sur lesquels on peut lire que la Loi est la même pour tous (la Legge è uguale per tutti). C’est en partie ce que la Cour de cassation vient de rappeler à propos de l’une des affaires pénales mettant en cause l’ancien maire de la ville de Biarritz. En l’espèce, le juge a rejeté tous les arguments du requérant et confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Pau (du 26 janvier 2017) en condamnant l’élu à 30 000 euros d’amende. Concrètement, il était ici reproché au dépositaire de la Puissance publique (et en partie au directeur de la police municipale) d’avoir non seulement procédé à l’annulation, entre 2009 et 2010, de plus de 3600 avis de contravention de police mais encore d’avoir ordonné que la police municipale ne sanctionnât plus certaines infractions (faisant ainsi échec à la norme législative) ; infractions pourtant édictées à un niveau national et appliquées partout en France. On passera sur le fait que l’élu local est également parlementaire et que sa condition de sénateur aurait dû en être choquée ; sûrement, l’intention de l’élu avait-elle été de favoriser (sinon de protéger) ses administrés en prônant moins de sévérité. Outre la condamnation concrète prononcée, l’arrêt est surtout intéressant pour ces trois raisons.

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Puis les magistrats de rappeler que la police municipale n’est, malgré son nom, pas la police « du » maire mais surtout le bras armé de la police judiciaire nationale et non de l’élu qui n’est pas un Shérif local édictant « sa » loi sur « son » territoire. Par suite, les magistrats vont même expressément signifier « qu’un maire ne saurait s’arroger le pouvoir de filtrer la transmission à l’OPJ territorialement compétent des PV de contravention établis, en leur qualité d’agent de police judiciaire adjoint, par des agents de police municipale placés sous son autorité et d’annuler ou classer sans suite certains de ces PV, sauf à s’attribuer un pouvoir d’opportunité des poursuites que seul le Procureur de la République » détient.

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Il n’y a plus de nouveau Shérif en ville confirme donc enfin ici la Cour de cassation mais ce, près de huit années après les faits.

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