Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

TA de Lyon, 7 novembre 2018, Mme A. (1604613)

La difficile mise en jeu de la responsabilité publique à la suite d’attitudes racistes en milieu scolaire : accompagner et réparer les préjudices subis

Résumé : le présent jugement (TA Lyon, 7 nov. 2018, A. req. 1604613) interroge la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat face à ses obligations d’accompagnement ou de protection des agents publics mais aussi de réparation des préjudices subis par des victimes d’attitudes (actes et propos) racistes au cœur du service public de l’Education. Autant, on trouve la justification proportionnée de la première obligation (accompagnement), autant on peine à voir la seconde (réparation).

« La souffrance des enseignants, un mal connu mais ignoré » titrait le journal Le Monde dans ses débats du 15 novembre dernier alors que d’autres médias se faisaient l’écho du jugement ici commenté et mettant en avant les tourments d’une professeure d’origine algérienne, victime d’insultes racistes mais aussi – selon les collègues la soutenant – xénophobes et antisémites et ce, à l’heure où la lutte contre ces mêmes mots est censée être devenue une cause nationale du service public de l’Education nationale. Cela dit, parmi les domaines dans lesquels l’Etat et les administrations de l’Education nationale et des Universités, même, ont de gros progrès à faire figure la question de la protection des agents qui servent l’intérêt général et les administrations précitées et qui – dans le cadre direct de leurs fonctions – se retrouvent par exemple insultées et/ou victimes mais ne reçoivent pourtant pas de réaction efficace et réparatrice de la part de leurs employeurs.

Le présent jugement en est malheureusement le témoignage. Pour comprendre cette décision, nous nous proposons de l’étudier à l’aune de l’article 11 de la Loi statutaire du 13 juillet 1983 qui dispose que « la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ». Etendues aux agents mêmes contractuels, ces dispositions ont manifestement établi, rappelle le jugement commenté, « à la charge de l’administration une obligation de protection de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais aussi d’assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu’il a subis ». Il y a donc bien deux obligations : de protéger (I) et de réparer (II) et ce sont ces deux obligations que l’on va ici décomposer, la première ayant été respectée de façon proportionnée selon le juge et la seconde ayant été ignorée (par l’administration comme par le juge) comme si elle ne se posait pas et ce, alors qu’elle est pourtant aussi essentielle.

Protéger et accompagner l’agent victime d’attitudes racistes

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Réparer et reconnaître les préjudices subis par l’agent victime d’attitudes racistes

Quiconque a été victime le sait, le plus important lorsque l’on subit un ou plusieurs préjudices n’est pas la réparation pécuniaire et symbolique éventuellement reçue mais – avant tout – la reconnaissance officielle et sociale du statut même de victime. Or, en l’espèce, c’est ce que l’Administration en partie et le juge ont refusé à l’agent et c’est, selon nous, ce qui est grave. En effet, si l’on suit aisément le Tribunal dans son appréciation – souveraine – des faits matérialisant un accompagnement objectivement incontestable de la requérante et donc une absence de mise en jeu de la responsabilité publique pour faute, on est bien moins convaincu par la seconde obligation pourtant rappelée par ces mêmes juges : celle de réparer les préjudices invoqués. Or, si l’on reprend les trois critères classiques de la responsabilité fautive rappelés supra, force est de constater qu’ils sont pourtant réunis : il existe des préjudices essentiellement moraux, des caractérisations d’infractions pénales, des manquements à l’obligation de réparer énoncée par l’art. 11 de la Loi statutaire ainsi qu’un lien de causalité direct entre l’action ou plutôt l’inaction administrative et les préjudices.

(…)

A titre personnel, on se souvient d’un agent qui avait été accusé par une collègue de vol puis de viol et alors qu’objectivement on avait demandé à cet agent de répondre des accusations diffamatoires, ce qu’il avait fait, rien ne fut ensuite accompli (une fois démontré l’ineptie des propos tenus) pour l’accompagner ni pour réparer. Hélas, nos services publics ont encore trop facilement tendance à n’accompagner que celles et ceux que l’on craint et qui parlent le plus fort. Or, ce sont les victimes qu’il faut soutenir. Il ne suffit pas de dire (ce qui est tout de même un premier pas évident et objectif) que l’administration a cherché à comprendre pour que les victimes se sentent accompagnées et voient leurs préjudices réparés. Demain, peut-être ?

En 1895, dans ses conclusions sous CE, Sect., 21 juin 1895, Cames (Rec. p. 509), lors de la toute première reconnaissance d’une hypothèse de responsabilité sans faute, le commissaire du gouvernement Romieu avait conclu de la façon suivante : « C’est le service public qui embauche, qui fournit les matières, qui installe les machines, qui règle les conditions de fonctionnement de l’atelier : si un accident se produit dans le travail et s’il n’y a pas de faute de l’ouvrier, le service public est responsable et doit indemniser la victime ». Et si l’atelier était ici scolaire et l’ouvrier professeur ?

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