Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait du prochain numéro :

CE, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la Cfdt (414583)

CE, 18 mai 2018, Syndicat Cgt de l’administration centrale et des services des ministères économiques et financiers et du Premier Ministre (411045)

La Puissance publique – après 02 mois – peut se moquer de l’Etat de Droit : Rip l’exception d’illégalité

La gloire du Conseil d’Etat repose notamment dans son courage. Au 19ème siècle, alors qu’il avait été institué pour seulement conseiller l’Etat (d’où son nom), il a osé prendre son indépendance en devenant non seulement un véritable juge de l’administration (et non son allié) mais encore en proposant une multiplication des recours contentieux possibles contre les actes de celles-ci. Au nom de l’Etat de Droit qui plaçait également l’administration sous l’exigence de Légalité et non au-dessus d’elle, furent désormais susceptibles de recours contentieux (et non uniquement administratifs) non seulement les actes mettant en cause des droits subjectifs mais encore des actes qu’un simple intérêt à agir froissait : ce sera alors la naissance du recours en excès de pouvoir (sur ce moment, on se permettra de renvoyer à : Touzeil-Divina Mathieu & Foucart Emile-Victor-Masséna, Aux origines des branches du contentieux administratif ; Paris, Dalloz ; 2017). On a alors pu considérer que le CE protégeait et défendait les administrés. Par ailleurs, ce même CE a participé et a même animé la lutte contre la théorie et la pratique déplorables et liberticides de l’administrateur-juge et notamment du ministre-juge énonçant le principe simple (et basique) selon lequel le cumul des deux fonctions était mauvais et préjudiciable aux citoyens ; le juge devant être indépendant. Depuis plusieurs années pourtant, ce sont l’administrateur-juge et le juge-administrateur qui refont surface sans que cela ne semble gêner beaucoup de monde. On voit se multiplier des hypothèses où des administrations (notamment des AAI et des API) se mettent à agir comme des juridictions et où le juge administratif – CE en tête – assume même se comporter en administrateur. Le plus grave n’est alors pas que le juge tente d’administrer et administre dans les faits de plus en plus en lieu et place de l’administration mais que peu de monde ne s’en émeuve. Les deux arrêts d’Assemblée ici présentés ensemble par le CE lui-même en sont malheureusement une nouvelle manifestation.

Dans ces affaires, deux syndicats contestaient le décret du 29 mars 2017 fixant la liste des emplois dérogatoires à l’emploi permanent (par des fonctionnaires) et ce, au sein de l’Institut National de la Propriété Industrielle (Inpi). Dans la première affaire (411045), la Cgt en mai 2017 avait attaqué le décret par la voie dite de l’action (recours en excès de pouvoir (Rep)) directement ciblée sur le décret litigieux et dans la seconde affaire (414583), la Cfdt avait contesté ce même acte réglementaire par la voie de l’exception d’illégalité. En effet, au lieu d’intenter directement un Rep, le syndicat avait demandé au Premier ministre de bien vouloir abroger le décret estimé illégal mais, l’administration s’y refusant implicitement, la Cgt a donc attaqué par la voie de l’action le silence ministériel et – en exception d’illégalité fondant cette action – le décret réglementaire du 29 mars 2017. Le plus important n’est alors pas la réponse au fond que va apporter le CE qui rejette les deux recours et maintient la légalité de l’acte au visa de l’art. 03 de la Loi statutaire du 13 juillet 1983 énonçant le principe de l’occupation d’emplois permanents par les seuls fonctionnaires et non par les contractuels. En effet, prenant acte de ce que deux recours connexes attaquaient le même acte réglementaire, le CE va préciser dans la seconde affaire qu’il entendra désormais clairement distinguer les actions et surtout les moyens de légalité susceptibles d’y être invoqués. En deux considérants principiels définissant son office et partant, se donnant la compétence de sa propre compétence, le CE précise…

(…)

Or, depuis le 18 mai 2018, le CE a commencé à inhumer l’exception d’illégalité. On comprend évidemment (et il faut essayer d’être mesuré) les tenants et aboutissants de cette décision : la mise en avant d’une sécurité juridique dont bénéficiera l’action administrative. Et, évidemment, du point de vue de la puissance publique, on louera cette nouveauté mais le juge n’est-il pas censé trancher le Droit et non défendre les intérêts de l’administration ? Trop souvent on a écrit du CE qu’il était toujours du côté du pouvoir et – à titre personnel – nous avons souvent lutté contre cet a priori en expliquant qu’il était souvent infondé et nuisait à la juridiction administrative. Le juge est – et doit être – au nom de l’Etat de Droit d’abord un rempart contre l’arbitraire administratif éventuel. Or, depuis le 18 mai 2018, le CE a provoqué un enterrement de première classe (en Assemblée) de nombreux principes qu’il avait pourtant lui-même portés et énoncés.

On le regrette profondément et espère se tromper.

Tags:

Comments are closed