Dans le cadre de la rubrique « Au Conseil d’Etat » du JCP A – Semaine Juridique – Edition Administration & Collectivités territoriales, j’ai l’honneur de chroniquer – chaque semaine – quelques arrêts et jugements de la jurisprudence administrative. Voici un extrait de la tribune qui ouvrira le prochain numéro :

Ceci n’est pas une crèche !

Obs. sur CE, Ass., 09 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne (395122) ; & CE, Ass., 09 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée (395223)

Il flottait, à quelques jours du premier dimanche de l’Avent, comme un saint esprit de doutes en cette fin d’année 2016. Ce 9 novembre deux résultats se faisaient effectivement attendre : le fruit détonnant des élections américaines et la réponse à cette question qui paraissait pourtant simple : une représentation matérielle par une personne publique de la crèche de la nativité est-elle un emblème religieux au sens de l’art. 28 de la Loi du 9 décembre 1905 ? Autrement dit : ce symbole incontestablement religieux est-il « vraiment » et / ou encore « seulement » religieux au regard de notre constitutionnelle Laïcité ? La question pourrait prêter à sourire tant la réponse devrait être a priori évidente : oui, la crèche qui symbolise la naissance christique est manifestement toute religieuse à l’instar d’un calvaire du domaine public symbolisant la Passion. Toutefois, la question (comme souvent en matière de laïcité) a divisé les juridictions et même les Conseillers d’Etat. Ces derniers – ce qui n’était pas arrivé depuis 1945 paraît-il – n’ont ainsi pas réussi à parvenir spontanément à un vote suite à l’audience du 21 octobre au point qu’il a fallu attendre novembre. Les faits étaient les suivants : plusieurs collectivités avaient installé dans leurs bâtiments pourtant consacrés au(x) service(s) public(s) des crèches, décisions contestées au nom de leur contrariété au principe constitutionnel de laïcité et à la Loi précitée de 1905. En premiers ressorts, des TA[1] comme des CAA[2] n’avaient pas su se mettre d’accord. Les uns voyaient un symbole religieux évident alors que d’autres acceptaient de reconnaître (tel le TA de Melun) un symbole « ayant perdu [son] caractère religieux » et s’inscrivant dans une tradition plus culturelle que cultuelle. On attendait donc du CE qu’il unifie la jurisprudence et indique – avec fermeté – la voie. Avant cela, la diffusion, dans la presse spécialisée et généralisée, du sens des conclusions du rapporteur public (essentiellement suivi), avait beaucoup attisé les émotions puisqu’il préconisait l’autorisation – sous conditions – desdites crèches dans les bâtiments publics. « Nous ne croyons pas que le contexte de crispation sur la laïcité vous impose d’instruire par principe le procès de la crèche » avait signifié Mme Bretonneau en prônant une dimension pragmatique et « pacificatrice de la laïcité » sauf lorsque ladite crèche a manifestement été érigée comme « le geste de reconnaissance d’un culte » c’est-à-dire par « prosélytisme religieux ».

  1. Un juge « à la Magritte». La crèche est un symbole cultuel avec un caractère potentiel « culturel, artistique ou festif ».

(…)

2. Un juge co-législateur ? La crèche ne saurait être un emblème religieux toléré puisque la Loi ne l’a pas prévu.

(…)

3. Un juge de la compatibilité pragmatique et de la laïcité latitudinaire.

En résumé, le CE nous a engagé à ne pas adopter une position tranchée et principielle mais au contraire pragmatique en matière de laïcité[1]. Au lieu d’exiger une stricte conformité à l’art. 28 de la Loi de 1905, le juge tolère une compatibilité qu’il justifie pour deux motifs : le caractère temporaire des installations et leur contextualisation. A ce dernier égard, il précise qu’a priori un bâtiment public abritant une collectivité ou un service public n’est pas le lieu pertinent pour recevoir une crèche alors que la voie publique le serait davantage. Par ailleurs, le juge renseigne les éléments de contextualisation suivants : « l’existence (…) d’usages locaux, (…) [et le] lieu de cette installation ». En outre, le juge réaffirme qu’aucune crèche ne devra « exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse » et bannir tout prosélytisme ce qui peut paraître très paradoxal puisque – par définition – et cela fait partie de cette « pluralité de signification » la crèche exprime la reconnaissance du culte catholique. En pratique, le juge casse les deux arrêts de CAA et demande à celle de Nantes d’appliquer la méthode qu’il vient d’expliquer alors qu’il prononce au fond l’illégalité de la crèche melunoise directement insérée dans une alcôve de la mairie sans se prévaloir d’usage local ou d’environnement artistique, culturel ou festif. En pratique donc, et pour l’instant, le juge condamne matériellement les crèches existantes et portées à son rôle même s’il permet – en pratique – l’existence de futures manifestations (et l’on ne doute pas que le contentieux naîtra en conséquence).

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[NB] (cf. notre note sous ; TA, Nantes, 14 novembre 2014 (n°1211647) ; TA, Montpellier, 19 décembre 2014 (n°1405626) & TA, Melun, 22 décembre 2014 (n°1300483) : Trois sermons (contentieux) pour le jour de Noël. La crèche de la nativité symbole désacralisé : du cultuel au culturel ? in JCPA ; et CAA Nantes, 13 octobre 2015, Département de la Vendée (req. 14NT03400) & CAA Paris, 08 octobre 2015, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne (req. 15PA00814) avec nos observations in JCPA)

[1] (ce qui est bien la continuité de sa jurisprudence que nous avions qualifiée de latitudinaire en la matière ; cf. notre note à propos de C.E., 19 juillet 2011, Communauté urbaine Le Mans Métropole] in Recueil Dalloz ; 07 octobre 2011 ; N°34, p. 02)

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