Nous mentionnons ici quelques développements (issus de nos travaux de thèse) relatifs au port du costume universitaire (cf. TOUZEIL-DIVINA Mathieu, Eléments d’histoire de l’enseignement du droit public : la contribution du doyen Foucart (1799-1860) ; Poitiers, LGDJ ; 2007 ; § 30 et s. ou p. 39 et s. ; Tome XXIX de la collection des publications de la Faculté de droit et des sciences sociales de l’Université de Poitiers). Ces lignes sont en outre un hommage à un professeur qui s’est déjà reconnu 🙂

 

A l’origine consulaire, l’article 68 du décret de Mayence avait rétabli les Facultés de droit (alors nommées Ecoles) et leur avait octroyé l’uniforme suivant : « les professeurs (1) et les docteurs en droit porteront (…) un costume semblable à celui des professeurs docteurs en médecine, si ce n’est qu’au lieu de la couleur cramoisie on y emploiera le rouge assigné au costume des cours de justice ».

Lorsque, passé 1808, on créa l’Université, le costume universitaire fut maintenu (2) et les monarques ne le firent pas modifier. Concrètement, l’uniforme retenu était assez proche de celui porté, à Paris notamment, sous l’Ancien Régime.

Il s’agissait d’une robe ample et rouge aux grandes manches à revers de soie noire. La toge portait les stigmates de la simarre (3) noire et était serrée à la taille par une ceinture de soie puis fermée par une rangée de boutons (4). Elle était flanquée à l’épaule gauche d’une chausse (5) reflétant le grade de celui qui la portait (6) et, abandonnant la pratique du rabat double encore porté par certains pasteurs, on lui avait imposé une cravate de batiste (7) plissée faisant office de rabat.

Enfin, on avait maintenu le port de la toque rouge (et garnie d’un galon d’or (8)), rappel ancestral du mortier judiciaire. Mais il ne faut pas s’y tromper le costume instauré n’avait pas qu’un seul objectif : auréoler d’apparat la fonction prestigieuse (9) de membre de l’Université, il était aussi, et avant tout, un costume officiel « défini par la norme administrative et légalement protégé (10) ».

Les Facultés de droit n’avaient donc pas la possibilité d’y ajouter ou d’omettre tel ou tel élément : il s’agissait d’une obligation comme l’habit que doit encore revêtir aujourd’hui le militaire ou le fonctionnaire civil de police. Aussi, si une Ecole de droit désirait ajouter au costume une décoration ou y modifier une quelconque partie, elle devait avoir été autorisée explicitement par le ministère.

FOUCART, quant à lui, était très attaché au port du costume qui reflétait, là encore, l’une des valeurs auxquelles il croyait le plus : l’Egalité. On sait en effet que FOUCART était issu d’un milieu social peu élevé et qu’il ne possédait pas de fortune personnelle (11). Alors qu’aucun de ses parents ou proches ne lui avait ouvert les portes de l’Ecole de droit, c’est par son talent et son mérite personnel qu’il avait conquis la dignité professorale puis décanale. Il était donc très attaché à l’idée même de la méritocratie dont il était issu. Or, le port d’un costume, dans ses conditions, est le reflet de l’Egalité (12) car il transcende les différences originelles pour placer tous les hommes, riches ou pauvres, derrière un uniforme commun : une fonction (13).

A proprement parler d’ailleurs il n’y avait pas un uniforme mais trois et même quatre costumes officiels. Nous venons de décrire le grand costume (la robe rouge) porté par les professeurs, les suppléants, et depuis 1855 par les agrégés dans les occasions solennelles. Mais il existait aussi un petit costume (aux couleurs inversées du précédent (14)) pour les « travaux quotidiens ». De surcroît, existait un troisième costume noir, sans simarre, et donc très proche de la robe d’avocat et qui ne s’en distinguait que par le port d’une épitoge rouge. Ce costume était celui des docteurs, et nous dit NEVEU (15), « le costume que doivent en principe revêtir les candidats à l’agrégation lorsqu’ils font leurs leçons ».

Enfin, sous le Second Empire (16), le régime voulut instaurer un quatrième uniforme court et brodé (17) pour les fastes de la vie officielle mais il semble n’avoir pas ou peu été porté peut-être en raison de son prix exorbitant et de l’attachement séculaire des Facultés de droit au port de la robe écarlate. Dans l’Ecole du doyen FOUCART, le port de la robe a toujours été très suivi (18) et fortement pris au sérieux. Au XIXème siècle, deux anecdotes peuvent en témoigner : en 1829, par exemple, la Faculté dut se réunir plusieurs fois pour pouvoir fixer ce qui semblerait superfétatoire aujourd’hui : le costume à porter lors des honneurs funèbres (19). Et comme la situation n’avait pas vraiment été tranchée et que quelques incidents étaient survenus (20) en 1860 le recteur JUSTE provoqua un nouveau règlement (21).

De même, en 1846, FOUCART prit le soin de réglementer la situation des suppléants provisoires non considérés comme des membres de la Faculté. Afin de les intégrer au corps enseignant, FOUCART avait décidé d’obliger tout enseignant, quel que soit son statut, à porter au moins le « petit costume ». Et lorsqu’on lui fit remarquer que certains vacataires n’avaient pas encore conquis le grade de docteur et ne pouvaient donc pas porter l’uniforme, le doyen leur répondit simplement (22) : « achetez donc dès demain une chausse de docteur et faites-en découdre le troisième galon que vous garderez précieusement » et que vous pourrez ensuite appliquer « une fois ce grade conquis ». Cette innovation sera d’ailleurs reprise et généralisée en 1888 par une circulaire ministérielle prescrivant le port de l’épitoge avec un rang de moins pour tous les chargés de cours non titulaires (23).

Notes :

1) Il en sera de même pour les suppléants selon le décret du 28 floréal an XIII (18 mai 1805) in Recueil de BEAUCHAMP ; TI, p. 159. Sur cette question, voyez outre l’étude de NEVEU (citée infra), les écrits « classiques » de DAUVILLIER Jean, « Origine et histoire des costumes universitaires français » in Annales de la Faculté de droit de Toulouse ; Toulouse, Faculté de droit ; 1958 ; Tome VI, p. 3 et s.

2) Voyez ainsi le décret précité du 31 juillet 1809 in Recueil de BEAUCHAMP ; TI, p. 225.

3) La simarre, d’origine italienne, est une seconde robe dite « de dessus » qui se porte sur une autre robe « de dessous ». Par désuétude l’usage de la double robe tomba. Néanmoins on en retrouve encore l’origine à travers les devants de soie noire posés sur tous les costumes.

4) 25 en principe selon NEVEU Bruno, « Le costume universitaire français : règles et usage » in La Revue Administrative ; Paris ; 1996, p. 487 (mais actuellement et fréquemment de 13 comme sur une soutane).

5) Ou épitoge (morceau d’étoffe placé sur la toge). La chausse est la modernisation du chaperon d’Ancien Régime. Elle se compose de deux parties : la cornette et le guleron (respectivement les parties avant et arrière).

6) En effet, selon le nombre de bandeaux d’hermine (de 1 à 3) cousus sur la cornette et le guleron on peut connaître le grade de son possesseur : bachelier, licencié ou docteur.

7) Cette dernière étant considérée comme une « cravate », nous dit NEVEU, il est déconseillé de porter sous l’uniforme une autre cravate, ou même un nœud papillon, car « ce serait mettre cravate sur cravate ». Néanmoins, « on peut considérer aussi que le port du nœud blanc est acquis en vertu d’une coutume plus que centenaire ».

8) Si le titulaire du costume était doyen de la Faculté, il ajoutait à sa toque un second galon et pouvait, selon l’usage, porter un rabat de dentelle en lieu et place de celui de batiste. On notera toutefois que cet usage encore pratiqué de nos jours par certains doyens est contra legem car, à l’origine, le décret précité n’avait réservé le port de la dentelle qu’aux inspecteurs généraux.

9) Quant au port du costume nous nous rangeons à l’opinion d’Ariane MNOUCHKINE qui considère qu’au théâtre le costume aide en premier lieu à « porter » celui qui le revêt.

10) NEVEU Bruno, op. cit. p. 485.

11) La seule fortune qu’il avait pu toucher lui provenait de la famille de son épouse, Nina Paris. Or lorsque celle-ci décéda en 1834, FOUCART se retrouva sans économies.

12) Voyez en ce sens nos propres développements in TOUZEIL-DIVINA Mathieu, « Réflexions sur un port honni : le costume universitaire » in Un Dix juridique (journal des étudiants des Universités de Paris X et de Paris I) ; Paris, Adfu ; 2005 ; n° 3 (novembre) (p. 1 – éditorial).

13) Voyez plus récemment en ce sens : JULIEN Jérôme, « Histoires de robes » in La Gazette du Palais ; n° du 14 au 16 mars 2004, p. 2 et s.

14) C’est-à-dire une robe noire aux revers rouges : en somme, le « rouge de travail » du juriste.

15) NEVEU Bruno, op. cit. p. 489.

16) Décret du 24 décembre 1852 in Recueil de BEAUCHAMP ; TII, p. 263 et réception de la présente norme dans la Faculté de droit de Poitiers avec les réactions enthousiastes du recteur in A.U. 356.

17) « Broderie en soie violette et or au collet, parements, taille, bande brochée en soie violette sur fond noir au pantalon ; chapeau à plumes noires ; épée à poignée de nacre avec garde dorée ».

18) Encore aujourd’hui, l’Ecole de Poitiers est une des rares Facultés de droit dans laquelle lors de solennités telle qu’une soutenance de thèse ou une séance de rentrée, l’uniforme est porté.

19) Voyez ainsi les délibérations de la Faculté de droit de Poitiers des 10 mars et 25 mai 1829 : A.U. (Registre). L’une des questions posées était notamment celle de savoir s’il faudrait revêtir le même costume pour un membre de la Faculté, un suppléant ou une épouse de l’Ecole. En l’occurrence la Faculté de droit de Poitiers décida de toujours porter le grand costume « même pour les veuves non remariées et pour les femmes de professeurs suppléants ».

20) Notamment en 1830 (A.U. 11 ; Lettre rectorale du 07 août 1830) lors des obsèques de Madame GUILLEMOT (épouse d’un professeur qui était de surcroît membre du conseil municipal et avait donc posé de nouveaux problèmes de préséance) et en 1842 (A.U. 148 ; Lettre rectorale du 22 juillet 1842) lors de la commémoration en l’honneur du Duc d’Orléans où la Faculté de droit se demanda où « poser la crêpe à la toque » (sic).

21) Rapport de l’abbé (recteur) JUSTE du 09 février 1860 in A.N. F17 / 4336.

22) Voyez ainsi la lettre du 12 novembre 1846 : A.U. 228 bis.

23) Circulaire du 12 mai 1888 et réception de la présente norme à Poitiers le 14 juin 1888 : A.U. 570.

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